Quand l’amour nous rend aveugle …

Elle a traversé un océan pour le rejoindre. Pour le retrouver. Son beau soldat anglais : D. Elle a tout quitté. Son enfance, sa ville, ses amis, sa famille, son chien, sa vie pour vivre une autre vie. Là bas. Loin. Je t’attends, lui a-t-il écrit. Une lettre tant espérée. Des mois de formalités et là voilà sur le pont du paquebot qui l’emmène, elle et leur fille vers un nouveau soleil. Granny est du voyage. Ne laisse pas ta Maman seule! lui avait-il dit. Gentleman D ! Elle aurait aimé effectuer cette traversée en femme libre et heureuse d’aimer. Elle est déjà mère, elle est encore fille… Comment abandonner une veuve sur le quai ? Au nom d’un père adoré, on ne laisse pas la femme qu’il a aimé. C’est un héritage… En silence, elle dit adieu à ses souffrances. L’amer souvenir de son père déporté, les nuits glacées en prison, sept mois d’effroi et de putréfaction. Le retour à l’air libre. Sa maman, libre elle aussi ! Et puis l’insoutenable et vaine attente du retour du mari et du père vénéré. Elle s’égare dans les rues, une foule en liesse célèbre le terme d’une guerre impitoyable. Dans une impasse, un café. Elle s’attable, son regard parcours la salle : quelques habitués, cinq ou six militaires grisés, son âme en peine. Elle plonge dans son verre, retourne à son chagrin.

- Vous avez l’air si triste !

La voix lui semble venir de nulle part. Elle résonne pourtant. Elle éveille sa poitrine. Son cœur sursaute. Cette voix masculine la rappelle à la vie. Elle déchire le brouillard qui embrume ses pensées. Elle lève la tête vers la tonalité grave et profonde et rencontre deux yeux noirs qui la fixent avec une rare intensité. Une onde de choc la fait vibrer de la tête aux pieds. Elle en tremble. Il s’assied face à elle, il ne lâche pas son regard. Elle souteint le sien… Ils sont subjugués. Ils savent, à cet instant qu’ils ne vont pas se quitter, ni ce soir, ni demain. C’est irrémédiable. La force qui les attire l’un vers l’autre est d’une évidence telle qu’ils n’ont surtout pas besoin de mots. Aucune gêne ne vient troubler la magie de cet instant. Sans se connaître ils savent déjà tout de l’autre, leurs vies viennent de basculer.  

- Mon père est mort !

 
Et elle lui raconte… La guerre, les bombardements, les pénuries du quotidien et la résistance. Ce parachutiste hébergé chez eux, par son père. La sauvagerie de leur arrestation. Ce buste de Beethoven, sur son piano. C’est son amour de la musique lui a sauvé la vie. Elle s’épanche, se raconte, relate… C’est sa libération. Il est fasciné. Il admire son courage et sa force. Sa beauté le captive. Ce petit bout de femme incarne à elle toute seule, les raisons qui l’ont fait s’engager dans l’armée. Une certitude s’empare alors de son être : Il va aimer cette femme et panser toutes ses plaies. Il va réparer l’horreur, apaiser sa peine et soulager sa douleur. Lui le héro, Major D, militaire britannique venu de Jamaïque en libérateur, sera le rédempteur.

Le café a fermé ses portes. Ils marchent tard dans la nuit, il la raccompagne chez elle et au seuil de sa porte lui fait la promesse de toujours veiller sur elle, de ne jamais la laisser tomber, elle et sa mère. Contrairement à son père ? Pourquoi ne relève-t-elle pas la faille de cette remarque ? Sans doute parce qu’on a plus de repères quand on vient de perdre son père. La suite ? Une immense passion. Ils se sont retrouvés quelques heures après ce serment, qui fût, comme il se doit, accompagné d’un doux et long baiser. Et tout s’est enchaîné. A toute allure ! L’ivresse des sentiments balaie les doutes et les incertitudes. Rien ne fait barrage lorsque deux âmes en peine se réparent par l’amour. Elle est enceinte. Ils se marient. C’est une fille. Aussi belle qu’une poupée ! Il est fou d’elle, fou d’amour pour sa jolie petite poupée… Mais le héro, le chevalier triomphant doit rentrer au pays. Elle le rejoindra. Ils sont mariés maintenant. Un océan s’apprête à les séparer mais rien ne peut faire obstacle à tant d’amour… Darling I love you so ! Les mois passent. La petite fête ses un an. Pas de cartes. Pas de nouvelles. Noël… Triste et froid. Enfin la lettre. La poupée a deux ans maintenant, de jolies boucles brunes encadrent son visage. La traversée est longue tout comme l’impatience.

Kingston, terminus tout le monde descend. Il est là, il l’attend. Elle ne le reconnaît pas. Amaigri, il a perdu de sa superbe. Il flotte dans son pantalon blanc. On dirait une ombre… Le regard baissé, il a l’air d’un enfant fautif. Il l’enlace sans l’embrasser, sans la serrer. Son cœur se déchire dans une douleur atroce qui lui envoie un message qu’elle ne peut pas encore décoder.  

- Regarde ta fille, comme elle est belle…
- Oui … Elle a grandi…

Le frère de D s’approche en toussotant. Il se présente. Visiblement gêné, il s’affaire autour des bagages… Il invite ces dames à le suivre, à rejoindre sa demeure. Quelques secondes à peine… Un peu plus loin sur le quai, une femme blonde, sort d’une grosse voiture noire. Elle interpelle D, qui penaud, bafouille une excuse. Je dois y aller, je vous rejoins un peu plus tard. La porte de la berline noire se referme et emporte avec elle la blonde suffisante et le chevalier déchu.

Miss Bélier pique un sprint, ouvre la porte de la berline et décroche un master coup de poing à cet enfoiré de british !

Miss Taureau reste plantée là, tétanisée par la douleur, incapable de réagir, d’hurler ou même de pleurer ! Elle a besoin de temps pour ingérer cette situation qui lui semble irréelle.

Miss Gémeaux pique une crise de nerfs, fait un scandale et exige des explications immédiates ! Sa voix monte dans les aigus. Elle fait concurrence à la Castafiore !

Miss Cancer est broyée par le chagrin, elle s’empare de sa fille, et la serre très, très fort dans ses bras pour la protéger et se barricader. Elle se referme sur sa douleur…

Miss Lion est outragée, elle fulmine mais majestueuse et solennelle, elle emprunte un chemin où la fierté seule peut réparer la blessure d’amour propre. Demain, elle prendra le premier bateau, qui lui permettra de retrouver sa dignité.

Miss Vierge est pétrifiée. Elle lance cependant une réplique cinglante qui atteint sa cible en plein cœur. Ensuite elle attend d’avoir la force d’affronter la situation. Après analyse. Elle a besoin de prendre du recul.

Miss Balance perd son équilibre. « C’est injuste » hurle-t-elle intérieurement ! Mais douce et pacifique, elle n’affronte pas le dragon. Elle entend juste son cœur qui pleure…

Miss Scorpion dégage la pétasse blonde par la peau du coup et envoie une violente claque à la figure de celui qu’elle va désormais haïr à mort !

Miss Sagittaire pousse un véritable cri de guerre, déploie ses ailes, sa fougue et son courage pour arranger si possible la situation ! Vaillante Miss Sagittaire !

Miss Capricorne se statufie … Elle cherche à maîtriser de toutes ses forces ses émotions, elle jugule ainsi sa peur d’un avenir devenu soudain bien incertain.

Miss Verseau est abasourdie. Elle cherche une explication. Il y a en forcément une. C’est impossible ! Elle hallucine, elle n’y croit pas. Elle a un cœur de Saint Thomas !

Miss Poissons savait ! un rêve prémonitoire l’avait averti de cette issue fatale. Sa lucidité subite déchire le ciel comme l’éclair. C’est tellement insoutenable qu’elle préfère à nouveau fuir la réalité. Le temps d’assimiler et de comprendre… Peut-être.

L’épilogue ?  Il ne les a jamais revues. Il s’est abimé de femmes en femmes, de jeux en alcool. Pourtant sur son lit de mort, c’est à elles qu’il pensait. A elles seules. Elle l’a longtemps pleuré. Elle n’a plus jamais aimé d’autre homme. Mais si l’amour ne l’avait pas rendu aveugle, sa fille chérie ne serait pas née, ses petites filles non plus. Pour ces trois belles raison, elle n’a jamais regretté sa naïveté.

Et vous les Miss ? (Et les Mister !) Que feriez-vous ?