Se rendre voyant...

Catherine Millet, dans « Jour de souffrance », souligne qu’il faut définitivement accepter d’être « indifférent à la mise en ordre du monde » si l’on cherche à voir ce que d’autres ne voient pas. Mais cette indifférence radicale, douloureuse à vivre, n’est pas sans conséquences pratiques. Sans repères, le sol se dérobe, vos meilleurs amis se défilent, ça ne traîne pas, croyez-moi. En deux mots, il n’est pas donné à tout le monde de « se rendre voyant » : « Dali prend prétexte de sa démonstration pour attaquer la géométrie euclidienne qui non seulement régit notre représentation du monde au travers de la perspective pyramidale, mais a fini par s'imposer à notre mode de perception, et même à notre façon de penser. Pour être sensible à ce qui se passe dans les marges et dans les coins, il faut avoir l'esprit libre par rapport aux systèmes hiérarchiques qui leur accordent moins d'importance qu'à ce qui se trouve au centre ou au sommet, que ces systèmes s'appellent ordre social, morale ou encore esthétique. /…/ Un regard si parfaitement disponible, qui opère une si parfaite

«

mise à plat» du réel, appartient à celui qui se déplace dans le monde en se laissant guider par une curiosité absolument dépourvue d'a priori. Celui-ci récuse d'emblée les distinctions entre l'intéressant et l'inintéressant, le noble et l'ignoble, le beau et le laid. Le monde conserve à ses yeux quelque chose de l'unité d'avant la chute. Fondamentalement, il est amoral.

» Il est plus simple, naturellement, de raconter des histoires (auxquelles personne ne croit !).

Illustration : Salvatore Dali, bien sûr.