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L’e-book à la Foire internationale du livre de Francfort

Par Lorenzo Soccavo

Julie Jammot a réalisé pour M21 éditions un reportage dans le cadre de la Foire internationale du livre de Francfort qui vient de fermer ses portes.
Son thème : L'e-book s'impose dans les esprits, mais dans les cœurs ?
Une mise en perspective intéressante, à lire et à commenter...

L'e-book s'impose dans les esprits, mais dans les cœurs ?

Prise de température de l'avancée du livre électronique dans les mentalités des éditeurs français...

L’e-book Foire internationale livre Francfort
Enquêter sur l'e-book à la foire internationale du livre de Francfort, au milieu de toutes ces couvertures cartonnées, fleure bon le grotesque, le pari perdu d'avance. Autant demander aux luthiers ce qu'ils pensent des synthétiseurs. Mais, après tout, nous ne sommes pas au salon des artisans du livre, mais au cœur même du marché de l'édition : une dizaine de halls immenses, investis par des négociants de droit, des PDG de maisons d'édition et autres directeurs des copyrights du monde entier... Pas de gratte-papier amoureux de leur stylo à plume ni de relieurs minutieux.
Au salon de Francfort, le livre est un produit. Alors pourquoi pas des electronic books ?

Les organisateurs de la foire n'ont pas posé la question en ces termes, mais leur enquête sur l'avenir de la branche apporte tout de même des prémices de réponse. 53% des 1324 professionnels interrogés considèrent la numérisation comme le principal défi à relever dans un futur proche, et 44% voient dans l'e-book le facteur essentiel de croissance pour les prochaines années. Ils ne sont qu'un petit quart à craindre la piraterie, et 11% à estimer que l'e-book pourrait remplacer le livre imprimé d'ici 50 ans... Un avenir radieux pour le livre virtuel, alors ?
Pas forcément. Réticences et appréhensions se font jour d'un stand à l'autre. Au Cherche-midi, un jeune négociant échevelé affecte un scepticisme mélancolique. Non, il n'a jamais vu de lecteur d'e-book, mais de toute façon ce doit être « froid » de lire sur un appareil, et puis ça lui manquerait, le plaisir d'organiser les livres dans la bibliothèque... Qui est encore attaché à ses CDs aujourd'hui ? « Moi ! » clame-t-il doucement, avec un sourire d'excuse - réponse et attitude que je vais obtenir très souvent dans le salon. Alors que le support matériel perd chaque année de son importance dans l'audiovisuel, le papier imprimé va être défendu bec et ongle. « Et le plaisir des cinq sens ? » me demande un employé de l'Ecole des loisirs. La vue, l'odorat, le toucher... Ok. L'ouïe... Les voix dans nos têtes ? Non, le bruit des pages qui tournent, bien sûr. D'accord mais le goût ?! « Les bébés mordent bien dans les couvertures cartonnées », me rétorque-t-il avec un clin d'œil.

Plus pragmatiquement, si les éditeurs sont convaincus de l'inéluctabilité du marché de l'e-book, ils se placent majoritairement dans une position attentiste, d'autant que les coûts de numérisation restent très élevés. « C'est normal qu'ils soient frileux », analyse Eric Neu, de Giantchair, une entreprise qui conseille les éditeurs pour leurs stratégies web et numériques. « Ils ont beaucoup investi dans la numérisation il y a cinq ans, et ce fut un échec. Donc ils attendent de voir si l'effet de mode annonce vraiment une tendance lourde. » Mais il y a cinq ans, les lecteurs d'e-book ne comportaient ni l'encre électronique ni le papier virtuel qui les rend attrayants et parfaitement maniables aujourd'hui.
Pourtant ils ne font pas l'unanimité, même chez ceux qui ont déjà eu l'occasion de les manipuler. Au-delà du prix, (il avoisine actuellement les 300-400 euros minimum), qui va avoir envie, à part les « early adopters », de se doter d'un nouvel appareil, en plus du baladeur mp3, de l'ordinateur portable, du téléphone et de l'agenda électronique ? Pour Corinne Quentin, directrice du Bureau des copyrights français, personne. Selon elle, les e-books vont marcher, mais sur les téléphones portables, dont les écrans gagnent en taille à chaque nouvelle génération.

Finalement, tout le monde est convaincu qu'il faudra s'y mettre, mais personne n'ose se lancer, alors chacun guette, observe ce que font les autres. Certains se rassurent en traitant la question avec désinvolture. Au Dilettante, l'éditeur m'explique qu'ils ne veulent pas être les premiers. « Nous allons moins souffrir que les autres. », ajoute-t-il. « Nous éditons de beaux livres de fiction, nos lecteurs aiment les manipuler. Mais ceux qui font du livre industriel vont devoir s'y mettre parce que l'e-book va marcher dans leur secteur. Le papier électronique est en effet devenu très confortable à lire. »
Voici un autre discours très répandu : seraient principalement concernés par l'e-book les éditeurs de guides, de livres pratiques, de dictionnaires, de romans de gare - les éditions Harlequin seraient en train de numériser toute leur collection. Les journaux seraient aussi très concernés, les Echos ont d'ailleurs lancé un pack incluant l'appareil avec une sélection d'e-books et l'abonnement à la version électronique du journal. L'avenir des encyclopédies en 43 volumes passe-t-il par ce boitier de 10x15 cm ? Oui et non, d'après René Bonenfant, directeur des droits étrangers chez Fides, maison d'édition québécoise. Il donne 5 ans au e-book pour se tailler son marché, mais recommande la prudence quant aux conclusions hâtives sur les secteurs concernés : « Il y a 7-8 ans, Universalis avait arrêté d'éditer la version papier. Mais leurs fidèles ont tellement protesté qu'ils ont dû reprendre. » Pour lui comme pour le négociant de l'Ecole des loisirs, l'e-book ne vaut que s'il apporte une valeur ajoutée par rapport au livre, comme des ajouts interactifs ou des bibliographies avec lien vers les ouvrages...

Quand le directeur d'une maison d'édition est intéressé, les démarches s'accélèrent. Sandrine Boissard, chargée du développement international aux presses de Sciences-po, explique que la directrice de l'école, ancienne directrice de la Fnac, est très concernée par la numérisation. Les revues sont déjà toutes disponibles en PDF, et une réunion avec les éditions M21 est prévue pour explorer plus avant l'idée de l'e-book. Mais elle reconnaît qu'il faudra convaincre les auteurs, réticents à la mise en ligne de leurs ouvrages, qu'ils perçoivent comme une menace accrue de piratage.

Résignés et pessimistes, les éditeurs français ? L'espoir que l'e-book ne remplacera pas le livre, pas plus que les magasins en ligne n'ont éradiqué les librairies, les fait avancer et se préparer à l'avènement de la petite boîte. Quant à moi, je suis rassurée. A première vue, tous ces bouquins exposés me semblaient figés, tentant en vain de nous atteindre avec leurs couvertures colorées, sobres ou bigarrées, réduits au silence par leurs maîtres, qui ne parlaient d'eux qu'en chiffre. Mais ne réveillez-pas le lecteur qui dort en l'éditeur... Vous vous exposeriez à des tirades lyriques, du côté des éditions du Cerf, rayon philo, sur le « rapport érotique au livre quand la page se déploie et se tourne... »

Julie Jammot
(Interviews, texte et photo)


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