Magazine Beaux Arts

Le dernier des Mohicans

Publié le 02 novembre 2009 par Marc Lenot

2009-10-fiac-2020.1257183893.JPGLoin de moi l’idée de ne pas attribuer à Jean-Jacques Lebel la place qu’il mérite, moi qui, à tout juste 20 ans, assistais émerveillé à un de ces happenings. Bien plus qu’une certaine grande surface, Lebel est un agitateur d’idées et l’exposition à la Maison Rouge, fort bien titrée Soulèvements et fort bien agencée par Jean de Loisy (jusqu’au 17 janvier), en est un témoignage remarquable.

D’autant plus remarquable qu’elle mêle oeuvres d’art (jusqu’à un Arcimboldo) et objets trouvés, chinés aux Puces (dès l’âge de 14 ans avec André Breton, excusez du peu, un cadre pour photographies fait à partir d’une douille d’obus). On commence par une allée dédiée aux barricades, celles de 1871, de 1944, de 1968 et d’ailleurs, juste pour poser le personnage de l’anar rebelle; on continue avec une Pisseuse de Rembrandt grandeur nature (ci-dessus), fontaine inondant le patio, et par une vitrine de Fannys et autres aimables cochoncetés

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, juste pour renforcer le côté paillard, et on passe à la transformation : cadavres exquis, visages cachés (d’où Arcimboldo, mais aussi Lesage), avatars de Vénus en morphisme sur quatre écrans, création sous hallucinogènes (psychovitamines, comme il dit), ce diable d’homme a tout vu, tout assemblé.

Ensuite, une bien énigmatique Chasse à la chouette du XVIIème siècle, pour jouer sur l’étrangeté, puis une collection de douilles d’obus de la guerre de 14, sculptées par les poilus (dans les tranchées ? plus probablement à l’arrière ou après leur démobilisation) : chaque maison française avait un ou deux de ces reliquaires

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décorés de motifs floraux, héritage d’un oncle ou d’un grand-père, mais ici la profusion fait horreur, conjuguant la mort et l’art à grande échelle.

Ensuite une salle dédiée aux amitiés de ce collecteur, qui échange et découvre plus qu’il ne collectionne, avec au centre de cette Place du Rhizome, un monument à son ami Félix Guattari, délicieusement grandiloquent;

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puis une autre salle où l’artiste Lebel montre ces carnets de croquis, pour finir sur deux apothéoses. L’une est la reconstitution de la chambre où Antonin Artaud subit des séances d’électrochoc brutales à l’hôpital psychiatrique de Rodez : l’horreur absolue, un mémorial. Et juste avant de s’enfoncer dans ces profondeurs, une salle véNUs dédiée à Eros, “le premier des dieux, celui qui fut songé” selon Parménide. Même si d’aucunes la trouvent trop hétérosexuelle, elle est splendide, regroupant là encore oeuvres d’art et art populaire. Ci-dessous, côte à côte, une Fanny et les fesses (Autoportrait) de l’artiste Laura Panno (dont Lebel fut très proche, comme on dit), sculpture de grillage sur une peinture à l’huile. Plus loin, sur un petit guéridon à napperon de dentelle, le crucifix fessu de Man Ray, Hommage à D.A.F. de Sade, un petit bijou.

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Diable d’homme, d’artiste, de collectionneur, d’écrivain, de perturbateur, en effet. Mais on ressort avec le sentiment qu’on a vu là un témoignage historique sur une époque révolue, que Lebel est le dernier encyclopédiste de la perturbation. Plus jeune que lui, je m’interroge sur ce décalage, cette non-pertinence de cette exposition par rapport au contemporain. La réponse qui m’est venue après coup est qu’aucun artiste présenté ici n’a, sauf erreur, moins de 50 ans (Sue Williams, née en 1954) : la jeunesse éternelle de Lebel, qui stigmate le jeunisme, n’est pas un palliatif suffisant, pour lui le temps semble s’être arrêté il y a vingt ou trente ans. C’est une exposition historique pré-posthume que la Maison Rouge présente, l’histoire d’un passé passionnant, mais dont le dernier chapitre a été écrit il y a déjà longtemps, un peu trop loin du monde actuel.

Photos de l’auteur. L’artiste Jean-Jacques Lebel étant représenté par l’ADAGP, la photo de sa Pisseuse sera ôtée du blog à la fin de l’exposition, ainsi que celle de l’oeuvre de Man Ray.


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