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Fantômes et samouraïs

Par Argoul

Kidô Okamoto (Kidô étant le prénom) est un auteur japonais à cheval sur le 19 ème et le 20 ème siècle. Né en 1872 et mort juste avant la guerre, en 1939, il a écrit une centaine de pièces de théâtre kabuki. Mais comme son père était secrétaire de la légion britannique, l’enfant Kidô, éveillé et curieux, lisait dans le texte les Aventures du fameux Sherlock Holmes. Il se décrit sans doute lorsque qu’il met en scène ce garçon de 12 ans, froussard mais avide de connaître : « Fasciné par tout ce qui fait peur, j’adorais écouter, oreilles grandes ouvertes et muscles tendus, toutes sortes de récits fantastiques. (…) En faisant celui qui ne craignait aucune histoire de fantômes du moment où il était à l’abri sous la lumière d’une lampe à pétrole, je bombais le torse et fixais Oncle K. Ces manières puériles de montrer mon courage semblèrent l’amuser. » (p.10)

Okamoto a donc créé au Japon dès 1917 le personnage de l’inspecteur Hanshichi (Hanshichi torimono-chô). Les enquêtes policières ont pour cadre Edo, le Tokyo féodal fin de siècle – et c’est tout un monde qui émerge à peine à la modernité qui ressurgit de ces pages.

« Fantômes et samouraïs » recueille quatorze énigmes, traduites par Karine Chesneau. Outre le suspense, nous y trouvons surtout matière, de nos jours, à pénétrer ce Japon de l’ère Meiji qui sort tout juste de deux siècles d’isolement. Le petit peuple a créé une façon de vivre originale, hiérarchique et communautaire, très vivante. Les samouraïs ne sont pas tous propriétaires terriens, mais parfois des sabres sans maîtres, libres comme le vent. Les fils d’aristocrates se doivent d’être cultivés et un concours de lecture des classiques chinois les rassemble à 13 ans, épreuve indispensable pour devenir adulte. Les fils du peuple entrent en apprentissage tôt, vers 9 ans, mais dans leur quartier, et ils doivent 3 ans sans salaire à leur mentor. Mais le plus souvent ils tombent amoureux vers 15 ou 16 ans et épousent l’une des filles du patron. Si celui-ci n’a pas de fils, il adopte le gendre pour lui faire hériter de son affaire. Les filles sont servantes ou « prostituées » occasionnelles (on dirait de nos jours qu’elles flirtent, tout simplement). Elles trouvent rapidement un beau parti et se rangent pour aider au commerce et faire des enfants. Tout le quartier vit en communauté et les voisins se chargent des cérémonies, mariages et enterrements. Les gens se connaissent sur plusieurs générations et s’amusent ensemble, tout comme ils prient au temple bouddhiste.

Cette existence collective n’empêche nullement les passions : amour, haine, ressentiment, entraide, avarice, cupidité, générosité, pitié… Les superstitions ne submergent jamais le profond réalisme du peuple japonais, qui ne croit aux « fantômes » que lorsqu’aucune explication rationnelle ne peut surgir. Et c’est justement l’enquêteur Hanshichi qui met de la raison là où les rusés cherchent à voiler leurs turpitudes de surnaturel. C’est une femme qui croit voir le fantôme d’une noyée chaque nuit, alors qu’un moine pervers a menacé la vie de sa petite fille ; c’est un être mystérieux qui fait sonner la cloche à incendie sans jamais se faire prendre, ou vole un kimono qui sèche sur un toit ; c’est un jeune garçon de 13 ans, trop beau peut-être, qui disparaît d’un coup, sur le chemin de l’épreuve ; ce sont des chats qui accaparent lentement l’esprit de leur maîtresse… A chaque fois, tout est bien qui finit, mais humain.

Les ruelles, les échoppes, les vêtements, les saisons, les maisons de bain, les cloisons en papier et les lanternes de pierre, rien ne manque des détails quotidiens. Nous ne sommes pas dans la Londres froide et brumeuse de Sherlock mais dans le Tokyo traditionnel, bâti de maisons de bois sans étage. Nous ne dégustons pas thé au lait ou whisky, mais thé vert et saké. Pas de rognons au petit déjeuner, mais une soupe, du riz et des anguilles grillées.

Les 459 pages en poche se lisent avec plaisir et qui veut connaître un peu du Japon d’aujourd’hui trouvera en ces enquêtes tout le vivant populaire qui n’a pas cessé d’être. Parfois, en certaines campagnes du Japon loin de la capitale, malgré l’électricité, l’informatique et le train, on se prend à reconnaître ces mœurs de l’époque d’Edo, il y a un siècle et demi. Tout un dépaysement.

Okamoto Kidô, Fantômes et samouraïs, Picquier poche 2007, 459 pages.


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