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Le mythe de l’exode francophone vers les banlieues

Publié le 04 novembre 2009 par Politicoblogue
Montréal

Montréal

Il ne se passe plus une semaine sans qu’on me répète cette incroyable fausseté: « Si Montréal s’anglicise, c’est parce que les francophones quittent l’île ». Depuis la parution d’une lettre ouverte de Pierre Curzi à ce sujet, le premier octobre, c’est même devenu l’argument numéro un de Projet Montréal pour inciter les Québécois à les appuyer. Même mon ami Carl Boileau (bravo pour son élection!) en parle longuement sur son blogue. Pour ceux qui ne veulent pas prendre de front le problème de l’anglicisation de la métropole, il s’agit d’un nouveau sésame permettant de se déresponsabiliser et de rejeter sur autrui ses propres responsabilités.

En effet, tant Curzi que Boileau prennent le problème dans le mauvais sens. Curzi affirme que « le retour des francophones à Montréal est une condition nécessaire au renversement de l’anglicisation du coeur économique du Québec » tandis que Boileau soutient que dès « que l’on aura donné [de la quiétude, sécurité, verdure et air pur] aux Québécois francophones, on verra bien s’ils persisteront à déménager en banlieue pour y vivre entre eux, reclus du monde, dos tourné au Montréal de l’avenir ». À mon avis, il faut tout inverser: les Québécois reviendront peut-être à Montréal quand nos élites politiques auront réussi à juguler la saignée francophone et ils y réclameront les conditions de vie qu’ils ont envie d’obtenir lorsqu’ils redeviendront majoritaires à Montréal.

En vérité, toute la conception d’une ville de Montréal s’anglicisant parce que les francophones quittent pour les couronnes Nord et Sud est fausse. Comme l’explique Charles Castonguay, dans l’Aut’Journal, si on soustrait les données de l’île de Montréal à celles de la région métropolitaine de Montréal, on obtient les données pour la banlieue. Et celles-ci sont inquiétantes: entre 2001 et 2006, la population de langue d’usage française y a augmenté de 4,7%, contre 16,4% pour celle de langue anglaise! Cela invalide complètement les théories de Curzi et de Projet Montréal: en pourcentage, l’anglais progresse plus rapidement en banlieue qu’à Montréal!

Cela rejoint ce que j’avais déjà expliqué à Alexander Norris, un autre candidat de Projet Montréal: il n’y a pas de gène francophone ou anglophone privilégiant la banlieue. Les francophones ne sont pas davantage attirés par la quiétude, la sécurité, la verdure et l’air pur que les anglophones. Les anglophones ne sont pas immunisés contre la grisaille de la ville; il n’y a pas non plus de muraille de fer entre le centre-ville et la rive-sud qui empêcherait ceux-ci de déménager en banlieue. Ils le font, ils y déménagent, et les banlieues s’anglicisent rapidement.

La raison se trouve ailleurs. Ce n’est pas en culpabilisant les Québécois, ni en construisant des tramways ou des parcs, qu’on va refranciser Montréal. Croire le contraire relève du déni de la réalité le plus primaire, car c’est toute la région métropolitaine en entier qui s’anglicise.

On pourrait faire de Montréal un petit paradis de verdure, de transports en commun, d’accès au fleuve, de trains de surface, de rues piétonnes, de protection de la qualité de vie des gens que ce ne seraient pas davantage des francophones qui en profiteraient. Comme je l’écrivais ici, j’aime mieux avoir un chez-moi bien sale et dégueulasse que d’habiter dans la grosse baraque proprette de mon voisin et d’avoir à m’excuser de péter à tous les matins en me levant. Ou autrement dit: à quoi bon faire de Montréal un paradis d’urbanisme s’il n’y a plus de Québécois pour en profiter?

La solution sera politique

Une des meilleures réponses aux théories de Curzi et de Projet Montréal, outre de démontrer statistiquement leurs faussetés, a été écrite par Caroline Moreno.

L’anglicisation de Montréal, cher [monsieur Curzi], vient en partie du fait que nous surfinançons honteusement les institutions de langue anglaise. Peut-être n’êtes-vous pas au courant, mais votre parti se montre favorable à la construction d’un mégacentre hospitalier pour les Anglais afin qu’ils puissent continuer à faire bande à part. Et tandis que l’UQAM croule sous les dettes, les cégeps et universités de langue anglaise prennent de l’expansion.

Voilà des arguments beaucoup plus percutants. Comment espère-t-on refranciser Montréal quand les universités anglophones, dont McGill et Concordia, reçoivent 27% du financement pour une population anglophone de souche de 8,2%? Comment croit-on donner le goût aux immigrants de s’intégrer en français quand on construit deux méga-hôpitaux de 1,5 milliards de dollars; un pour une population de 8,2%, l’autre pour la balance des citoyens?

La solution sera politique ou ne sera pas: il faut avoir le courage d’exiger un financement adéquat des institutions québécoises à Montréal. Faire porter le blâme aux familles pour l’incapacité des politiciens à avoir les couilles nécessaires pour s’attaquer à une minorité ultra-choyée relève d’une irresponsabilité innommable.

Or, en évacuant toute forme de projet politique pouvant « nous diviser », comme me le déclarait Étienne Coutu, candidat défait de Projet Montréal dans Outremont, sur Facebook, on empêche les changements nécessaires permettant de redonner un visage francophone à Montréal. Il est peut-être temps d’arrêter de se gargariser de multiculturalisme, d’unions entre anglophones, allophones et francophones, et de prendre conscience d’une réalité toute simple: dans un contexte où nous ne représentons que 2% de l’Amérique du Nord, nous sommes vulnérables à toute union directe avec une langue qui, historiquement, nous a infériorisé. Bref, ce n’est pas en faisant une union entre la poule et le renard ou entre la brebis et le loup qu’on permettra de prendre les difficiles décisions pour sauver le français à Montréal.

Il faut développer un rapport de force

N’en déplaise à certaines personnes d’une génération Passe-Partout où tout le monde se tient par la main et fait une ronde, nous sommes dans une situation de rapport de force. Nous avons le choix entre ne rien faire et blâmer les familles tout en construisant des tramways et des parcs dans un consensus montréalais ne modifiant en rien l’équilibre des forces, ou de réagir et de proposer des politiques agressives pour le français, tant au niveau provincial que municipal. Projet Montréal et les autres partis municipaux ne peuvent pas continuer de se cacher en disant que la langue ne constitue pas un enjeu municipal; la protection de notre langue commune est l’affaire de tous, et ça commence par un maire et un parti qui respectent le caractère francophone de notre métropole.

Montréal, c’est notre ville. Et ses banlieues, ce sont nos banlieues. Qu’on arrête un peu de nous culpabiliser et de nous demander de demeurer dans une ville où on a de la difficulté à se faire comprendre, et qu’on nous donne plutôt le goût de faire des enfants ici, et d’intégrer ici, en français, les nombreux immigrants que nous recevons. Qu’on nous donne des institutions francophones bien financées nous incitant à nous épanouir ici.

Car au rythme où vont les choses, quelle sera la prochaine étape? Quand Laval et Longueuil seront devenues anglophones, y proposera-t-on des tramways pour inciter les francophones à cesser de s’exiler vers les régions?

Il faut que ça cesse. À quand des politiciens responsables osant s’attaquer aux privilèges de la minorité anglophone et combattant de front le véritable problème: la perte de vitalité du français à l’échelle du Québec et l’anglicisation de TOUTE la région métropolitaine? À quand une loi 101 avec des dents et la fin du surfinancement des institutions anglophones? À quand des élus municipaux osant prendre des mesures originales, dans les limites de leurs pouvoirs, pour refranciser notre ville, quartier par quartier?

Et si le vingt-unième siècle constituait autre chose que de l’environnement et de l’urbanisme? Et si on osait remettre le profond malaise identitaire québécois à l’ordre du jour?

Article originalement publié: http://louisprefontaine.com/2009/11/04/mythe-exil-francophones-banlieues

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