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L'hiver indien – Frédéric Roux

Par Theoma
L'hiver indien – Frédéric Roux


« C'est ainsi, même chez les perdants,

il y en a qui perdent davantage que les autres »

Si vous avez déjà traversé les États-Unis, vous avez probablement passé devant une réserve indienne. Comme moi, un sentiment étrange vous a certainement envahit. Un bout de territoire réservés au natifs du pays, une minorité avec sa propre culture ainsi que ses propres lois. Des kilomètres trainant les fantômes du passés, celui d'un pays qui a démarré son histoire par un génocide.

Frédéric Roux nous emmène dans la réserve des Makas, tribu oubliée de tous et même de ceux qui la composent. Stud sort de prison et retrouve son frère cadet Percy qui vivait en suspens depuis son incarcération. L'aîné a changé. Il décide de suivre la trace de ces ancêtres en chassant la baleine.

« - Avant nous... les vieux, ils faisaient quoi ? 

- Se saoulaient la gueule, se tapaient dessus et à la fin, ils se pendaient ou alors ils se flanquaient une balle dans la tête ou alors on les retrouvait crevés là où ils avaient crevé. T'as oublié comment ça se passait ?

- J'ai pas oublié, j'oublie rien. Je parle pas de nos parents, je parle des parents des parents de nos parents...

- La même chose, qu'est-ce que tu veux fabriquer ici ?

- Réfléchis ! Avant toute cette merde, on faisait quoi ? »

Comme nous le montre l'Histoire, il est inutile de se salir soi-même les mains, les moyens pour annihiler sont aussi ingénieux que variés. Fournir des couvertures infectées d'une maladie de Blancs, introduire l'alcool dans un sang qui ne le supporte pas, délimiter des frontières en mélangeant des tribus qui ne peuvent vivre ensemble, blanchir par l'habillement, les coutumes et la religion afin de supprimer tous repères. Le général Custer doit être plus que satisfait. Même vivants, les indiens semblent morts.

« Les Indiens sont obèses... jamais il y avait eu d'obèses chez les Indiens, maintenant, c'est chez nous qu'il y en a le plus, on est bouffés par le diabète. Pourquoi ? Parce qu'on se gave de saloperies... on pêche plus, on chasse plus, on a juste à payer à la caisse du supermarché pour s'empiffrer de merde. »

La plume est incisive et carrosive. Le thème central est la quête de son identité, celle de soi mais surtout celle d'une culture, de générations perdues à force de porter le poids du passé. La chasse à la baleine devient alors magnifiquement métaphorique. Chasser pour être et savoir être, nourrir sa tribu en lui donnant une place, tuer le monstre du passé, assumer sa minorité avant de se faire engloutir à jamais.

« S'ils voulaient réussir, il leur fallait réussir dans les domaines réservés aux Blancs où même les Noirs sans parler des Jaunes, réussissaient mieux qu'ils ne le faisaient. Il y avait des champions noirs, des stars de cinéma noires, des journalistes, des avocats, des dentistes noirs, des musiciens noirs, des Noirs riches, des Noirs célèbres, une culture noire. Les Noirs jouaient au golf, il roulaient en Mercedes et ils trouvaient le moyen de se plaindre. »

Une lecture qui ouvre au monde et qui nous oblige à regarder plus loin que ce que notre petit cœur tout mou d'amoureux des baleines ne permet.

« La baleine, il faut la tuer humainement. L'homme blanc veut pas que la baleine souffre, la douleur de l'Indien, il s'assoit dessus, mais pas sur celle de la baleine. »

« Et pourquoi c'est une espèce protégée ? Je vais vous l'expliquer... nos ancêtres on chassé la baleine depuis la nuit des temps lorsqu'elles passaient devant nos côtes pour se reproduire en Basse-Californie.... Lorsqu'ils se sont rendu compte de ça, les Blancs les ont attendues en bas pour les massacrer comme des nouveau-nés dans une maternité... et ils les ont massacrées ! Comme ils ont massacré le bison, comme ils massacrent tout ce qu'ils touchent. A tel point que les Makahs ont arrêté de chasser. Pour que les Blancs arrêtent, il a fallu des lois. Les Blancs ont besoins de lois... sans lois, ils ne savent pas se tenir. Ils peuvent pas se dire... y a plus assez de baleines, on arrête les frais ! Il faut un juge pour leur répéter ce que la nature leur a déjà dit. »

Un bémol pourtant ; la longueur. Autant j'ai beaucoup aimé la première partie, autant la seconde m'a ennuyée et je le regrette ! La chasse vient bien trop tard à mon goût ce qui enlève au ton le mordant que j'ai apprécié. 200 pages de moins aurait permis à cette lecture de gagner en puissance ce qui ne devrait pas vous empêcher de la découvrir malgré la très étrange couverture.

L'hiver indien – Frédéric Roux
Le Livre de Poche, 501 pages, 2009

Merci à...

L'hiver indien – Frédéric Roux

 et Suzanne ainsi que Le Livre de Poche pour cette découverte !

D'autres avis...

Véronique D> « le récit se lit comme un roman d’aventure. Ce n’est pas de la grande littérature, mais c’est très agréable à lire. Je trouve cependant qu’il manque un petit quelque chose... »

Tamara > « une aventure très dépaysante, qui, au final, s’avère être un triste constat de l’état des populations indiennes qui ont survécu à l’arrivée des Européens sur leurs terres d’Amérique. »

Katell > « Comme dans "Moby Dick", la baleine et ces hommes atypiques de "L'hiver indien" sont une parabole de la liberté servie par une écriture romanesque d'une grande qualité où le farfelu, l'inattendu, voire le déjanté, viennent réduire les clichés les plus éculés à ce qu'ils sont....des reflets ternes et tristes, une fausse bonne conscience pour soulager le remords de médiocres vainqueurs ».

Pascal > « Superbe parabole sur la liberté mais aussi sur l'acculturation et la déculturation des peuples soumis à la loi des vainqueurs, « L'hiver indien » , roman flamboyant et déjanté, est de ces ouvrages qui ne se laissent pas facilement oublier tant la force du propos, la présence des personnages et la qualité du récit y sont superbement maîtrisés. Un très grand et très beau roman. »

Lael >«J 'ai beaucoup aimé et je ne regrette absolument pas cette lecture, qui enrichie par des citations diverses écrites par des Indiens, nous fait comprendre mieux leurs sentiments, cette détresse psychologique, cet abandon à la facilité qu'est l'alcool et qui détruit tout. C'est la volonté de s'en sortir pour tout simplement avoir le respect qu'ils méritent. Ce roman interpelle donc le lecteur sur ces notions fondamentales des droits de l'homme: liberté d'expression, libre d'être quelqu'un. »

Par Theoma - Publié dans : Romans français - Communauté : Litterature
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