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France-Irlande : double faute

Publié le 20 novembre 2009 par Lbouvet

France-Irlande : double fauteCe qui s’est passé mercredi 17 novembre au Stade de France lors du match France-Irlande – alors même, autre fait d’importance au regard du débat sur « l’identité nationale », que des milliers de jeunes Français d’origine algérienne notamment célébraient sur les Champs-Elysées la victoire de l’Algérie en brandissant le drapeau de ce pays – est plus grave qu’il n’y paraît. Il s’agit d’autre chose que d’une nouvelle erreur d’arbitrage ou d’un énième aléa de la compétition sportive qui participe de sa glorieuse incertitude. Cet événement révèle, une fois de plus, les difficultés d’une partie de la société française – ici, en l’occurrence, certains sportifs de « haut niveau » (sic), certains responsables politiques et sportifs… – à respecter les règles élémentaires de la morale commune et de la décence ordinaire.

La faute morale est de considérer comme juste un résultat (la qualification de la France pour la Coupe du monde) obtenu grâce à une tricherie, c’est-à-dire à une rupture de la règle commune suivant le principe douteux du « pas vu pas pris ». Il s’agit d’un comportement instrumental et à courte vue qui oriente l’action uniquement en fonction du but à atteindre. Et qui outre la question des moyens condamnables employés révèle aussi en général la faiblesse des fins : ici la qualification pour une compétition sportive !

Outre la place qu’occupe désormais le sport (certains sports plus que d’autres bien évidemment) comme activité (très) rémunératrice pour quelques grosses entreprises (notamment les médias audiovisuels) dans la société, on mesure une fois encore à cette occasion l’ampleur des dégâts causés par les enjeux financiers démesurés de tels événements sportifs. Ainsi la non qualification aurait-elle été catastrophique avant tout pour TF1 et les sponsors de l’Equipe de France. Les nombreux supporters français qui d’un côté critiquent cette économie du sport – le football étant le plus touché – et qui de l’autre se consolent dans la « victoire » de la piètre performance sportive et morale de leur équipe, devraient se poser sérieusement la question de leur contribution indirecte à la destruction de leur sport.

La « main » de Thierry Henry n’est pas seulement une faute sportive qu’il aurait dû lui-même dénoncer – mais sans doute son rapport à la morale sportive la plus élémentaire est-il inversement proportionnel à son salaire de joueur –, c’est aussi une nouvelle démonstration de la profondeur du malaise d’une société qui place tout en haut de sa hiérarchie sociale et symbolique les sportifs dit « de haut niveau » ou les traders par exemple. Ils sont, chacun dans leur domaine, les serviteurs consentants et bien rémunérés d’un système qui a perdu tout sens commun : incapable de se réguler par lui-même et laissé à son libre développement par les pouvoirs publics.

La faute morale se double alors d’une faute politique. Celle qui consiste, de la part des autorités politiques et sportives, à ne pas reconnaître qu’il y a eu tricherie et qu’il n’y a donc pas lieu de corriger les conséquences de celle-ci. C’est une faute lourde dans la mesure où l’exemple qui est donné par une telle attitude est dévastateur du point de vue éducatif. En validant explicitement l’acte qui a eu lieu par des discours du type « l’erreur d’arbitrage fait partie du jeu » ou « l’essentiel est que la France soit qualifiée », les responsables politiques et sportifs défont un peu plus encore le lien social. Ils minent le terrain des millions de parents, d’enseignants ou d’éducateurs sportifs qui tentent chaque jour d’apprendre aux enfants et aux adolescents les règles élémentaires de la vie sociale. Comme, par exemple, que le fameux « respect de l’autre » dont il est tant question passe d’abord par le respect de règles communes.

Ce relativisme moral qui inspire une grande part des comportements publics et privés, sur les terrains de football comme au plus haut niveau de l’Etat, se double d’un décalage croissant entre le discours tenu (le « respect », la règle, l’ordre…) et les comportements de ceux qui tiennent les mêmes discours. Ainsi, on ne s’étonnera sans doute plus de voir Thierry Henry, un modèle de réussite, participer à une campagne de publicité gouvernementale – entre deux campagnes commerciales évidemment… – sur le « respect » à destination des « jeunes de banlieues ». Et on ne se consolera qu’à moitié en se disant qu’une société n’a que les modèles de réussite qu’elle mérite.


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