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L’éternel Retour à propos du Recours aux forêts de Jean Lambert-wild, Jean-Luc Therminarias, Michel Onfray, Carolyn Carlson et François Royet

Publié le 21 novembre 2009 par Dansez

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D’abord, ce spectacle m’a laissée sans réaction particulière à la sortie du théâtre.Je me suis trouvée portée de l’intérieur comme prise dans un état de somnolence ou de profonde méditation : de contemplation. Mais cependant la prégnance de cet état ne m’a pas quittée et je le ressens encore à cette heure. En substance, ce spectacle ne m’a pas laissée de marbre bien que la passion ne m’ait pas inclinée non plus.

En somme, je fus plutôt sensible au charme discret Du Recours aux forêts. Ça m’a très certainement parlé, cette psalmodie quelque peu hiératique qui me poussait à voyager dans la caverne du Gorgias ou sur l’île de Robinson. Non, je ne sais pas vraiment mais je me souviens de cette impression évanescente qui m’a peu à peu gagnée durant la représentation de ce mercredi soir. Nous étions le 19 novembre 2009. Depuis le théâtre d’Hérouville Saint-Clair, je me suis effectivement envolée autre part, je me suis évadée et même repliée ou recueillie un instant fugace qui, pourtant, se prolonge au-delà.

Aussi est-il difficile toujours de témoigner d’une émotion subtile et de la restituer à sa juste mesure en critique.

Le Recours aux forêts (La tentation de Démocrite) cherche à convoquer la réflexivité.  Je ne voudrais donc pas en ces lignes geler la beauté du sujet par des formules trop rapides.

Il s’agit en somme d’un poème philosophique déclamé et dansé en miroir sur un fil musical rappelant peut-être l’univers poétique de Paul Valéry. Et si l’action se dilue dans l’espace-temps mythique de l’a-temporel, de l’intemporel, ou bien de l’éternité, la temporalité du discours se déploie sur la dialectique du fini et de l’infini.

L’oeuvre reste et demeure inachevée radicalement. Comme un miroir qui revient… et elle permet par conséquent l’émergence du champ des possibles, la vie continuant son cours malgré l’apocalypse que l’on devine au premier tableau puis dans son après au second.

L’action s’étire en effet ; elle s’allonge indéfiniment ; et j’ai pris plaisir à goûter cet éther-ci, car flotter ainsi en longueur m’a séduite, ce milieu onirique basculant progressivement au premier mouvement dans un territoire interdit et presque cauchemardesque, fait d’ombres se détachant sur un ciel que je me rappelle délavé ou plutôt noyé de larmes. Mais à l’approche des branchages dénudés qui envahissaient insidieusement la salle de spectacle et qui semblaient fondre sur notre gorge, je me suis surprise à haleter soudainement. Nonobstant, ces scènes d’émotion pernicieuse m’ont fait vivre ce recours aux forêts, cette anticipation, par procuration, par transfert, comme s’il convenait de procéder à un rituel de purification afin de conjurer le mauvais oeil et toutes les terreurs infantiles que peuvent symboliser les forêts dans notre imaginaire.

Or, en dépit d’un discours de mode prophétique, incantatoire, mortifère, j’y ai surtout entendu l’oraison du désespéré, ce qui m’a tout spécialement ému, plongeant dans l’empathie pour ce personnage esseulé où je me suis effectivement projetée à mon insu. J’ai de plus éprouvé ces paroles, d’une oreille légèrement distraite comme en analyse ou comme au concert de chambre, de la même façon que l’on reçoit les confessions d’un repenti, ou d’un homme aux abois, retranché dans ses ultimes limites avant disparition, implorant le pardon, cherchant la rédemption. Aussi la figure de Démocrite sert-elle in fine d’objet transitoire entre l’auteur et son angoisse, masquant à peine la sublimation en question au moyen de laquelle opère le librettiste, Michel Onfray et que le metteur en scène, Jean Lambert-Wild et la chorégraphe Carolyn Carlson déshabillent. De surcroît l’acteur danseur Juha-Peka Marsalo incarne tout un chacun, chacun d’entre nous, citoyens du monde.

Fondamentalement, l’objet de ce spectacle m’a paru en appeler à la conscience de l’humanité, à l’instar de l’appel à la mémoire collective ou aux archétypes. Et ce afin que nous en venions à décider d’éviter le pire, maintenant, dès à présent.

Se pose dans le cadre de scène du Recours aux forêts une réalité hallucinatoire probable, une prémonition fatidique qui serait la vision de notre propre destin, le pressentiment des temps prochains.

Tel m’a semblé être le moteur de ce spectacle.

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Par ailleurs cette pièce reprend les stéréotypes bibliques distillés au gré des images de Chute, de Déluge ou de Babel. Bref, l’accumulation des catastrophes traduisant la réaction du Très-Haut qui dépouille sa créature en punition et en rémissions de ses pêchés capitaux. Et enfin, pourquoi ne pas retrouver là une dimension théologique ? Ce qu’alimentent les procédés scénographiques choisis avec précaution et mesure, moyens visuels et sonores sophistiqués et tout classiques à la fois, du fait qu’ils sont tenus de part en part et surtout contenus, laissant le spectateur à l’écart de l’action, c’est-à-dire à distance du pathétique et du tragique de la situation, le reléguant ainsi dans un état de lecture critique, protégé contre lui-même et tout d’abord prémuni contre le sentiment de culpabilité. Placé en position de distanciation, d’observation et de froideur, le spectateur est pris à témoin de lui-même. D’où la force illocutoire et performative de la pièce, embellie grâce aux artifices technologiques que permettent l’imagerie en 3D, l’hologramme, ou les jeux électroacoustiques agrémentant la danse, qui par certains aspects, peut paraître sur-jouée quand elle verse notamment dans  le caricatural.

D’un rythme général plutôt lent, le spectacle procède de manière systémique et linéaire. Et ses inflexions monocordes pourraient rendre hypnotiques ces voix d’hommes et de femmes, ainsi que fascinante la gestuelle contorsionnée et régressive du danseur ; de même, la distribution ternaire de l’espace scénique avec l’orchestre en jardin face, le choeur en cour face, et la chorégraphie en lointain médian, contribue alors à camper la scène dans une surprenante tempérance paradoxale eu égard au sujet de la pièce. L’approche stylisée permettant d’échapper à la cruauté des choses, celles-ci étant liées et renvoyant en l’occurrence à l’état d’homme sauvage, à la condition d’homme des bois, pour ne pas dire à l’état d’enfant-loup.

Enfin, ce spectacle fonctionne plus volontiers, semble-t-il, sur le mode du poème philosophique que sur celui d’une pièce chorégraphique : Le recours aux forêts dessinant effectivement le profil d’un Robinson Crusoé qui reviendrait aux sources de la vie afin de survivre à sa propre solitude, réapprenant ainsi à vivre en communion avec lui-même et par extension en symbiose avec l’autre : la nature, sa seule et véritable maîtresse, son double le plus exact.

Valérie Colette-Folliot,
Le 21 novembre 2009

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Le Recours aux Forêts
La Tentation de Démocrite

Un spectacle de Jean Lambert-wild, Jean-Luc Therminarias, Michel Onfray, Carolyn Carlson et François Royet
CREATION - PRODUCTION 2009 DE LA COMEDIE DE CAEN
Du lundi 16 au vendredi 20 novembre 2009 à la Comédie de Caen, Théâtre d’Hérouville dans le cadre du Festival Les Boréales.

Distribution :
Le Rebelle Juha Marsalo
Voix Fargass Assandé, Elsa Hourcade, Stéphane Pelliccia, Laure Wolf
Vibraphone Jean-François Oliver
Direction Jean Lambert-wild
Musique Jean-Luc Therminarias
Texte Michel Onfray
Chorégraphie Carolyn Carlson avec la complicité de Juha Marsalo
Images François Royet
Pictoglyphe Mark Alsterlind
Lumières Renaud Lagier
Tissures Françoise Luro
Costumière Annick Serret
Direction technique Claire Seguin
Son Christophe Farion
Programmation son Léopold Frey
Conception du système de projection 3D, régie vidéo Quentin Descourtis
Programmation vidéo Julien Delmotte
Décor et costumes réalisés par les ateliers de la Comédie de Caen
sous la direction de Benoît Gondouin
Constructeurs Bruno Banchereau, Patrick Demière, Pierre-Amaury Hervieu, Hubert Rufin, Serge Tarral
Réalisation des costumes Antoinette Magny
Photographies Tristan Jeanne-Valès
Production déléguée, Comédie de Caen-Centre Dramatique National de Normandie
Coproduction Centre Chorégraphique National de Roubaix Nord-Pas de Calais, Le Volcan-scène nationale du Havre, Le Théâtre de l’Agora-scène nationale d’Evry, le Festival des Boréales, le GMEM-Centre National de Création Musicale de Marseille, Le Théâtre de L’Union-Centre Dramatique National du Limousin

Cette œuvre a bénéficié de l’aide à la production et à la diffusion du fonds SACD.

Illustration : Tristan Jeanne-Valès | Source


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