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C'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire… Idéologie ou Ignorance ?

Publié le 21 novembre 2009 par Tingitingi @Tingitingi

« Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.
Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès.
Dans cet univers où la nature commande tout, l'homme échappe à l'angoisse de l'histoire qui tenaille l'homme moderne mais l'homme reste immobile au milieu d'un ordre immuable où tout semble être écrit d'avance.
Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin.
Le problème de l'Afrique et permettez à un ami de l'Afrique de le dire, il est là. Le défi de l'Afrique, c'est d'entrer davantage dans l'histoire. C'est de puiser en elle l'énergie, la force, l'envie, la volonté d'écouter et d'épouser sa propre histoire.  Le problème de l'Afrique, c'est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l'éternel retour, c'est de prendre conscience que l'âge d'or qu'elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu'il n'a jamais existé. »

(N. Sarkozy, allocution prononcée à l'Université de Dakar, Sénégal, le 26 juillet 2007)

A-t-on le droit d’inscrire ce discours dans la vaste anthropologie raciste ?
Comment réagir devant une vision aussi réductrice de l’histoire de l’Afrique ?
Que dire devant tant d’ignorance et de nombrilisme ?
Qu’aurait-on dit du même discours prononcé par une figure quelconque du Front National ?

Dans ce discours, j’aurais aimé détecter des références racistes. Le tableau aurait été beaucoup plus facile à cerner, si N. Sarkozy (ou plutôt son « nègre » Guaino) avait bien voulu rajouter que, malgré cet univers sclérosé, et malgré qu’il se soit maintenu hors des circuits de l’histoire et du temps, l’Africain a su percer dans les spécialités auxquelles sa génétique le prédestinait : la course à pieds et la musique. Rien n’aurait été moins étonnant de la part de quelqu’un qui pense que l’on naît pédophile, ou que l’on soit capable de détecter les malfrats de demain dans les turbulents d’aujourd’hui…

Dans ce discours, j’aurais aimé retrouver un p’tit parfum néocolonialiste, ou à défaut une p’tite dose du bon vieux colonialisme à l’ancienne (comme Jules Ferry savait en distiller). Nombre d'intellectuels africains (comme A. Ba Konaré), y avaient dénoncé « les poncifs hérités de l'ethnologie coloniale ». Mais rendons à César ce qui est à César. N. Sarkozy a pris acte des erreurs / crimes passées (esclavage, traite des noirs, colonisation) :
« Je ne suis pas venu nier les fautes ni les crimes. (...) Il y a eu la traite négrière, il y a eu l'esclavage, les hommes, les femmes, les enfants achetés et vendus comme des marchandises. Et ce crime ne fut pas seulement un crime contre les Africains, ce fut un crime contre l'homme, ce fut un crime contre l'humanité tout entière. »
N. Sarkozy a reconnu les crimes de la colonisation sans pour autant s’empêcher de les nuancer : "Il (Le colonisateur) a pris mais je veux dire avec respect qu’il a aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. Il a rendu féconde des terres vierges, il a donné sa peine, son travail, son savoir. Je veux le dire ici, tous les colons n’étaient pas des voleurs, tous les colons n’étaient pas des exploiteurs.
Il y avait parmi eux des hommes mauvais mais il y avait aussi des hommes de bonne volonté, des hommes qui croyaient remplir une mission civilisatrice, des hommes qui croyaient faire le bien. Ils se trompaient mais certains étaient sincères. Ils croyaient donner la liberté, ils créaient l’aliénation. Ils croyaient briser les chaînes de l’obscurantisme, de la superstition, de la servitude". D’après lui, la colonisation a «ouvert les cœurs et les mentalités africaines à l’universel et à l’Histoire».
Dit autrement, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs.

N. Sarkozy a reconnus des crimes mais s’est obstiné à confondre devoir de mémoire et ressassement du passé…

A aucun moment, N. Sarkozy n’a daigné condamner explicitement la colonisation en tant que système, en tant qu’« entreprise systématique d'assujettissement et de spoliation » (S. Royal, Dakar, avril 2009... pour une fois qu'elle fait une phrase correcte :)

Tout compte fait, dans ce discours, j’ai à peine trouvé un paternalisme des plus terre à terre, une reconnaissance feutrée des crimes passées mais jamais de repentance ni d’excuses (il faut dire que "nul ne peut demander aux générations d’aujourd’hui d’expier ce crime perpétré par les générations passées. Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères"), et surtout un anachronisme mortel. N. Sarkozy stigmatise l’immobilisme africain quand l’Afrique évolue lentement mais surement (une décennie, au moins) hors de la coupe de la France, quand l’Afrique est lorgnée par d’autres pays attentifs et entreprenants (Chine, Etats-Unis, Brésil…). A la place de notre cher Président, je me bougerai le cul fissa pour me remettre dans la course de la mondialisation...

Mais par dessus tout, ce discours véhicule à mon sens une vision rancie et fermée du monde, une vision très neuneu de l’histoire africaine. Je comprends parfaitement la démarche d'Adame Ba Konaré, ancienne première dame du Mali, qui vient de demander à ses collègues historiens de s’atteler à la rédaction d’un manuel du continent pour «mettre Sarkozy à niveau de connaissance de l’histoire africaine »

A croire N. Sarkozy, seule l'invasion européenne du continent africain aurait poussé l’homme africain dans l'aventure humaine. L'histoire de l'Afrique aurait commencé avec son morcellement au 19e siècle...

Avant d’ouvrir sa gueule, N. Sarkozy  aurait dû sacrifier quelques unes de ses soirées à la lecture de l’historien anglais John Iliffe, qui retrace l’épopée merveilleuse de l’homme africain depuis les australopithèques, qui raconte l’histoire de tous ces royaumes /civilisations prospères auxquels il a su donner naissance, qui met en lumière les liens commerciaux qu’il a su établir avec le reste du monde (Europe et Asie, pour ne pas parler de la traite négrière vers les Amériques).

En définitif, les conneries de notre cher Président ne volent guère plus haut que les propos d’un couple de jeunes allemands (au demeurant sympathiques), rencontrés à Zanzibar en 1998 ou 99. Un couple qui, devant l’insouciance de quelques jeunes locaux rencontrés le long des belles plages du nord de l’île, a pu conclure : « C’est tout à fait logique que l’Afrique ne soit jamais rentrée dans l’histoire et qu’elle ne sorte jamais de son pétrin »… Des grandes vérités qui font peur. A l’époque, j’ai argumenté contre mais la cause n’était pas gagnée pour autant.


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