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Papy résiste - John Barth - Further fridays (Little, Brown - 1995) par François Monti

Publié le 24 novembre 2009 par Fric Frac Club
Papy résiste - John Barth - Further fridays (Little, Brown - 1995) par François Monti Papy résiste - John Barth - Further fridays (Little, Brown - 1995) par François Monti « Regarde, papy fait du sport. » Il y a quelque chose d'assez bizarre qui se cache dans la couverture de Further Fridays, le second recueil d'essais de John Barth. Voilà l'auteur à 65 ans qui pause sur une échelle, entre mat et voile. Votre grand-père n'a peut-être jamais eu de bateau mais vous vous souvenez certainement de l'époque où, malgré l'âge, il faisait (ou essayait de faire) encore jeune. Je ne peux imaginer pire message à présenter sur le devant d'un nouveau livre, qui mérite quand même mieux. Papy résiste. The Friday book contenait quelques textes de toute première catégorie, dont un qui lui valut un malentendu avec Borgès (le fameux The literature of exhaustion qui ne prophétisait pas la fin du roman, loin de là) et un autre qui lui valut l'inimité d'Octavio Paz (le non-moins fameux The literature of replenishment). Il s'agissait alors de comprendre et de définir sa propre pratique ainsi que celle d'une poignée d'autres auteurs, et ce prit la forme de textes rigoureux, précis qui se doublaient en plus de plaidoyer en faveur de la puissance de l'imaginaire littéraire. Il y avait là une sorte de jubilation, l'impression d'être sur le point de découvrir, de lancer quelque chose de spécial. Le monde était à eux. Further Fridays revient de nombreuses fois sur ses textes fondateurs mais l'affirmation de la vitalité s'est transformée en défense de la validité d'une façon de faire. Les années '80 sont celles du minimalisme, de la simplicité d'écriture, du retour à une littérature qui se comprend aussi bien formellement que moralement. On a critiqué, enterré les « excès » Postmodernes. Barth montre ici que certains vont bien trop vite en besogne et que non seulement ce qu'on a appelé le Postmodernisme littéraire a des racines profondes (et il ne se contente ni du Quichotte ni de Tristram : il en retrouve la trace en Egypte et dans l'arabesque perse) mais qu'en plus qu'il s'agit d'une façon de faire cohérente avec les théories scientifiques de notre temps (théorie du chaos, les ensembles de Mandelbrot, le principe d'incertitude d'Heisenberg…). Quoi qu'on pense de la pertinence de ces liens, les textes où Barth tente de les établir sont absolument fascinants. Il y a tout de même une certaine ironie à constater que, chronologiquement, ce passage théorique de l'offensive (peut-être pas le mot le plus heureux pour définir l'attitude tranquille et pacifique de Barth) à la défensive, cette transition du triomphe PoMo aux oubliettes, correspond presqu'exactement à la baisse (spectaculaire !) du niveau qualitatif de ses romans. Le Barth made in eighties a donc souffert à la fois du changement de mode (ce qui n'empêcha pourtant pas la bonne réception critique de Gerald's party de Coover ou de Carpenter's gothic de Gaddis) et de ses propres revers. Sans le vouloir, Further Fridays met d'ailleurs en évidence ce qui pourrait bien être les raisons de ses échecs. Le papy de la couverture est en effet comme votre papy : il a bien vécu mais, sans que la sénilité ne soit encore en cause, il raconte toujours les mêmes anecdotes ou variantes de ces anecdotes. S'il y a un truc qui agace dans les textes repris c'est la répétition maladive de phrases, de jugements, de situations, de références. Au-delà du cœur toujours palpitant des réflexions, il y a tout ce déjà dit, déjà vu, déjà lu dans lequel il faut avoir la patience de couper pour arriver à ce qui compte vraiment. De Sabbatical à Once upon a time, c'est la même chose, le cœur palpitant en moins et, en plus, l'impression que tout est auto-référentiel, qu'au bout du compte Barth ne parle que de lui, de sa femme et de ses trois livres préférés. La fiction monde et encyclopédique se fait la malle pour un enfermement sur soi, l'invention de Postmodernisme nombriliste. Heureusement, et malgré le constant bourdonnement du même, Further Fridays est un livre ouvert dont les apports à l'œuvre de Barth comme à notre compréhension de ce qu'est / peut être la littérature sont significatifs. Ces essais, comme ceux, capitaux, de Gass devraient être traduits. Barth c'est toujours défendu d'être un théoricien. L'ultime ironie : se rendre compte qu'entre 1980 et 1995, ce qu'il a fait de mieux, pourtant, c'est théoriser. Mais qu'on le rassure : même si nous sommes durs, papy reste papy et on l'aime tendrement.

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