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Ça fume chez les censeurs

Publié le 23 novembre 2009 par Ruminances

gains01.jpgC'était dans les années 77/79, ma mémoire reste floue, d'ailleurs je m'en fous un peu. J'habitais l'île de Bréhat où l'hiver nous semblait si long, si long, que nous étions quelques-uns à vouloir le biffer du calendrier. Le cortège des robes noirs se dirigeant vers l'église, puis revenant, disparaissant et le va-et-vient des rideaux derrière les fenêtres observant le manège, avait de quoi vous faire regretter on ne sait quel pêché. Avez-vous songé à organiser une semaine sans dimanche ? Quand on traversait le bourg, même le vent qui le balayait avait l'air désolé. De temps à autre, un chien glapissait aux abords du cimetière. Le bistrot, « Aux Corsaires », était le point de chute obligé pour qui le dimanche était synonyme d'éternité. On buvait. On essayait de parler ou nous nous taisions. De temps en temps, quelqu'un regardait à travers la vitre de la porte pour voir de quoi avait l'air aujourd'hui le visage du silence.

C'était vers les quatorze heures que démarrait la partie de « L'oreille en coin » qui m'intéressait. C'était ça ou Jacques Martin et l'école des fans. L'émission était en fait un programme avec plusieurs émissions que France Inter diffusait le week-end. Celle dont je parle était animée par Kriss et sa bande d'hurluberlus. L'espace de quelques heures, l'animation nous reliait aux choses réelles ou imaginées d'un continent distant de quelques encablures. De la vraie radio, en réalité. J'adorais ces instants que je passais à écouter l'émission de Kriss. J'avais le sentiment d'être (toute proportion gardée) le double bien portant de Darrell Standing dans le « Vagabond des étoiles » de Jack London, roman dans lequel le dimanche n'existe pas. Il est remplacé par des tas de choses palpitantes. Cette émission de Kriss, qu'elle animait avec Marie-Odile Monchicourt, venue sur Bréhat tourner un sujet sur la femme dans une île, fut une très belle expérience dans le cachot de ma vie. Cela demeure encore un très beau dimanche. Aujourd'hui Kriss n'est plus là, mais voilà que si, puisque je vous en parle et que nous sommes dimanche.

Cela n'est pas fait pour être rassurant, mais la vie qu'on nous prépare dans les anti-chambres n'a rien d'héroïque. Après Tati et sa pipe, Coco Chanel et sa cigarette, c'est à Gainsbourg et aux arabesques de fumée qu'on voit dans l'affiche du film qui lui est consacré, de rejoindre le panthéon des bannis de la bonne conscience nationale. L'affiche du film « Gainsbourg, vie héroïque » de Joann Sfar est interdite de couloir métropolitain pour cause de fumée. Pas le bout du bout du moindre bout de clope, mais la chose est suffisamment suggérée pour que cela heurte la seule conscience des censeurs. Pour les générations futures, pour l'histoire telle que les nouveaux manuels l'écriront, Serge ne fumait pas. Serge ne buvait pas. Serge avait horreur du sexe. N'avait aucun vice et envisageait la conversion. Pour ceux qui l'ont vu grillant une bonne gitane avec le bout de laquelle il allumait une suivante d'une main tremblotante, pendant que de sa voix à peine audible il psalmodiait un bout d'homme à tête de chou, nous pouvons leur garantir que l'hallucination est une pathologie qui se guérit.

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