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Misère de l'université française (particulièrement en sciences humaines)

Publié le 29 octobre 2007 par Vincent

C'est Mathieu, l'auteur du blog ϕιλοσοϕία qui m'a signalé le lien. A cette adresse là, on peut lire le texte nuancé d'un dénommé  Xavier Dunezat, (ex-) maître de conférences en sociologie à l’université de Lille-1, expliquant les raisons de sa démission de l’enseignement supérieur. Si on veut le télécharger au format *pdf pour plus de confort, il suffit de cliquer là.b67a7c9132c85b03a7d4ed1f09cd0a48.jpg

Commençons par dire que rien de ce qui est écrit dans cette lettre de démission ne nous étonne. Saluons le courage de son auteur qui n'a pas eu peur d'écrire tout haut ce que d'autres constatent quotidiennement sans oser le dire. Les médias dans leur art de créer des points aveugles nous bassinent régulièrement avec le peu de crédits en recherche dans le supérieur, son manque de compétitivité et ses résultats médiocres - comparés au plan international. Les réformes s'enchaînent, rien ne bouge. Pourquoi ?

Laissons de côté le cas des études supérieures scientifiques car on peut mesurer concrètement leurs résultats. Parlons juste des sciences humaines où la notion de rentabilité est tout sauf évidente. Dans quelle mesure l'étude d'un texte en ancien français comparé à ses sources celtes fait-il avancer l'humanité ? C'est moins évident que des recherches pointues sur une bactérie et son effet sur l'organisme humain, reconnaissons-le. Ceci étant dit, on aurait tort de négliger ces recherches. Qu'il s'agisse de philosophie, de sociologie ou de littérature, il va de soi que nous avons besoin d'outils herméneutiques pour comprendre le monde aussi bien au passé qu'au présent ou au futur. Qu'on se rappelle de la promptitude avec laquelle on s'est jeté sur Olivier Roy pour comprendre le phénomène de l'intégrisme en islam, sur Hungtinton pour comprendre la géopolitique et à quel point il est sain de lire Brague quand il rectifie des erreurs sur le passé musulman. Qu'on ne vienne donc pas dire qu'on n'a pas besoin de chercheurs en sciences humaines. Soyons trente secondes cynique: de certaines maladies, on apprendra à guérir moins vite qu'on ne comprendra les mutations profondes du monde. Cela ne veut pas dire que la recherche médicale est vaine, au contraire  mais on sait aussi (même si on feint de l'oublier) qu'aussitôt une maladie guérie ou mieux soignée, une autre apparaît. Ce qui, malheureusement relativise l'impact pratique de ces études scientifiques - contrairement à une idée reçue. Par contre, éviter des conflits par une meilleure connaissance des cultures, ça peut se faire plus rapidement.

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La lettre de Xavier Dunézat dénonce des faits en réalité bien connus. Dans le domaine des sciences humaines, on s'obstine à adopter le même schéma que pour les sciences: celui d'enseignant chercheur. Ce qui donne des résultats plutôt folkloriques. Dans notre système éducatif, les enseignants du primaire ou du secondaire sont plus efficaces que dans le supérieur. Pourquoi ? Ils sont inspectés d'abord, et quand ils ne le sont pas, ils ne peuvent échapper à la surveillance de leurs collègues et tout simplement de leurs élèves. Bien sûr, je ne dis pas que tous les profs sont bons mais tout un système les contraint à être meilleur ou à ne pas tirer au flanc. Essayez d'être mauvais pendant plusieurs cours devant une trentaine d'ados et vous m'en donnerez des nouvelles. Un élève ça parle, ça a des parents qui peuvent se plaindre, on peut faire débarquer un inspecteur si ça se passe mal. Autant de paramètres qui n'existent pas dans l'enseignement supérieur.

On a vraiment la sensation d'un gros gâchis. Prenons le domaine dans lequel j'essaie de faire quelque chose: la philosophie gréco-arabe. A votre avis, combien d'étudiants arabes, maîtrisant l'arabe classique, pourraient y contribuer ? Ne cherchez pas, beaucoup en terme de potentiel.  Cherche-t-on à les attirer ? Non, bien entendu, on préfère se lamenter sur l'état des quartiers sensibles que de se poser une telle question. Ce qui fait que dans le domaine de la philosophie gréco-arabe, ce sont les anglo-saxons qui sont à la pointe (et particulièrement les américains) et pas nous qui n'avons que quelques éléments brillants à faire valoir.

En tentant de travailler dans le domaine de la philosophie gréco-arabe, je sais d'avance:

- que je n'aurai aucune aide financière.

- que toutes les recherches documentaires et les déplacements seront à mes frais.

- qu'en terme de carrière je n'ai absolument rien à attendre (tout ce que Xavier Dunezat dit sur le recrutement, je le sais).

- que par contre, les frais d'inscription, j'aurai à les payer (!!!).

Je le sais et je le fais quand même. Il faut être un peu masochiste pour faire une thèse. Heureusement pour moi, mon directeur de thèse est quelqu'un de sérieux, ses cours sont intéressants et il s'occupe bien de ses élèves. Mais évidemment, c'est loin d'être la norme comme le souligne Mr Dunezat. Lisez donc sa lettre de démission et vous comprendrez mieux pourquoi il est urgent de revoir le système de fonctionnement de l'université (particulièrement en sciences humaines) pour qu'on puisse faire valoir nos talents.


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