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L'Eglise et l'euthanasie (III) : Le suicide assisté

Publié le 26 novembre 2009 par Hermas
   Nous avons signalé, dans l’article précédent [Ici], une première confusion qui apparaissait dans la définition de l’euthanasie donnée par le Dictionnaire de l’Académie française, en ce qu’elle englobe des actes qui ne relèvent pas de cette catégorie, à savoir ceux qui ont uniquement pour objet de suspendre des traitements inutiles ou disproportionnés, et qui ne sont pas des homicides. Rappelons cette définition : « Action destinée à donner la mort à un malade incurable qui demande ou a demandé que l'on abrège ses souffrances ou sa déchéance physiologique. Euthanasie active, administration de substances hâtant par elles-mêmes le décès. Euthanasie passive, suspension du traitement ou de la réanimation. » Rappelons aussi, en regard, cette affirmation du Magistère catholique : « L’euthanasie est une violation grave de la loi de Dieu, en ce que le meurtre délibéré est moralement inacceptable de la part d’une personne humaine » (1). La définition du Dictionnaire couvre une deuxième confusion qu’il faut à présent examiner.


   Deuxième confusion.- L’euthanasie, on y a insisté, est un homicide volontaire. La définition, après avoir indiqué de manière générale qu’elle consiste à « donner la mort à un malade incurable », glisse imperceptiblement vers le fait que cette mort est demandée par le malade lui-même. Laissons ici de côté toutes les difficultés – fort nombreuses – liées à la question de savoir quand cette demande a été exprimée, et en quelles circonstances : par un “testament de vie”, un living will, pendant lequel, encore sain, la personne a anticipé ses derniers jours ? Pendant la maladie elle-même, et à quel stade ? Dans le brouillage mental de la souffrance ou en pleine connaissance de cause ? Librement ou non ? 


   Observons seulement ce transfert de l’acte du médecin ou du personnel médical vers l’acte du patient, qu’accompagne l’expression d’un glissement non explicite mais nécessaire de responsabilité : « Vous voyez, ce n’est pas moi, médecin, qui commets un crime ; je ne fais que répondre à la demande d’un malade. Je suis dans mon rôle en répondant à sa souffrance ». Le responsable, le seul responsable, c’est finalement le malade et comme il va mourir, il n’est évidemment pas question de l’inquiéter.


  
On assiste ainsi à une “amoralisation” de l’acte létal lui-même, de celui qui « donne la mort », directement ou indirectement. Cet acte est censé sortir ainsi du champ de la définition de l’homicide volontaire dans lequel il avait pourtant été initialement présenté, et c’est dans cette mesure qu’il est aujourd’hui proposé de le légaliser. Les termes de l’Académie française expriment très exactement, volontairement ou non, cette manipulation.

   De quoi s’agit-il dès lors ? L’idéologie qui empoisonne nos sociétés a déjà réussi à convaincre grande partie des populations que la mise à mort de millions d’enfants, dans le sein de leur mère, pouvait constituer un acte thérapeutique. Elle cherche aujourd’hui à nous faire accroire que le meurtre d’un malade est aussi, si l’on ose dire, un acte de cette nature. Avec cette particularité que la mort ne frappe pas ici un être humain embryonnaire mais un être humain censé exercer la plénitude de son droit sur lui-même. Au slogan « mon ventre m’appartient » répond, en bout de chaîne, non sans une certaine logique, cet autre slogan : « Ma vie m’appartient ». Le médecin, de son côté, avec toute sa compétence et les moyens dont il dispose, est supposé ne répondre finalement qu’à une attente, par une intervention qui valorise non seulement la pitié pour la souffrance d’autrui, mais aussi et surtout le respect de son droit inviolable à disposer de lui-même.


   Dans cette perspective, l’euthanasie n’est plus un meurtre. Elle constitue seulement un suicide médicalement assisté. Là encore, la confusion est totale. La définition du Dictionnaire, qui englobe – comme on l’a relevé dans l’article précédent – des comportements qui ne relèvent pas de l’euthanasie, permet de faire passer, à rebours, des comportements véritablement euthanasiques pour des actes qui n’en sont pas. Ainsi, sous l’expression « euthanasie passive », on englobe le fait qu’un traitement puisse être suspendu, mais cette suspension s’entend ici d’un moyen indirect de donner la mort, comme l’est aussi la suspension de réanimation, également visée. En confondant ici ce qui relève de la décision de mettre un terme à un traitement inutile ou disproportionné et ce qui relève d’une décision qui doit directement donner la mort, on fait entrer le meurtre dans la catégorie du moralement acceptable. En d’autres termes, on en supprime le caractère homicide pour le nover en acte de miséricorde. Le médecin “opérateur” et le lobby euthanasien y trouvent évidemment leur compte.

   Reste pourtant, à supposer que le médecin puisse ainsi se défausser de son acte sur le malade, ce qu’on ne saurait concéder, que l’acte ainsi analysé est un suicide. Or le suicide est lui-même un homicide. « Le suicide contredit l’inclination naturelle de l’être humain à conserver et à perpétuer sa vie. Il est gravement contraire au juste amour de soi. Il offense également l’amour du prochain, parce qu’il brise injustement les liens de solidarité avec les sociétés familiale, nationale et humaine à l’égard desquelles nous demeurons obligés. Le suicide est contraire à l’amour du Dieu vivant. » Et pour ne laisser subsister aucune équivoque, le Catéchisme de l’Eglise catholique ajoute : « La coopération volontaire au suicide est contraire à la loi morale » (2). Eu égard aux confusions qui surviennent également souvent dans le rappel de ces normes, il faut ajouter qu’en se déterminant ainsi, l’Eglise ne porte évidemment aucun jugement sur les personnes que leur état de faiblesse ou de détresse a portées à ces actes. Elle ne fait que rappeler la loi morale, laquelle repose sur le respect de la vie et de la dignité de la personne humaine.

   La Cour européenne des droits de l’homme a eu à connaître d’une affaire où une femme de 43 ans, atteinte d’une maladie incurable, avait demandé à son mari, ne pouvant le faire elle-même (en raison de sa paralysie) de l’aider à se suicider. Auparavant, elle avait sollicité l’autorité compétente, par le biais de son avocat, de prendre l’engagement de ne pas poursuivre le mari, ce qui avait été refusé, le concours au suicide étant interdit en droit anglais (3). Elle a alors saisi la Cour européenne, au visa de l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatif au « droit à la vie ».  La Cour européenne a décidé ceci :

 

« L'article 2 de la Convention (…)  n'a aucun rapport avec les questions concernant la qualité de la vie ou ce qu'une personne choisit de faire de sa vie. Dans la mesure où ces aspects sont reconnus comme à ce point fondamentaux pour la condition humaine qu'ils requièrent une protection contre les ingérences de l'Etat, ils peuvent se refléter dans les droits consacrés par la Convention ou d'autres instruments internationaux en matière de droits de l'homme. L'article 2 ne saurait, sans distorsion de langage, être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un droit à mourir ; il ne saurait davantage créer un droit à l'autodétermination en ce sens qu'il donnerait à tout individu le droit de choisir la mort plutôt que la vie. La Cour estime donc qu'il n'est pas possible de déduire de l'article 2 de la Convention un droit à mourir, que ce soit de la main d'un tiers ou avec l'assistance d'une autorité publique » (Arrêt Pretty c/ Royaume Uni, 29 avril 2002, requête n° 2346/06, nn. 39-40).

   En d’autres termes, pour la Cour européenne, le droit à la vie, légalement reconnu et protégé, ni ne s’identifie à un droit sur la vie, ni il ne le crée. Le droit naturel se trouve en plein accord avec cette motivation, en sorte que l'euthanasie ne trouve de justification morale, ni en tant qu'homicide, ni en tant qu'aide au suicide médicalement assisté.

(à suivre)

Pierre GABARRA

_______________

(1) Jean-Paul II, Encyclique Evangelium vitae, n° 65.

(2) Catéchisme de l’Eglise catholique, nn. 2280-2282.

(3) Le droit français ne punit que la « provocation » au suicide suivie d’effet : art. 223-13 du code pénal.


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LES COMMENTAIRES (1)

Par ethos
posté le 05 juillet à 03:19
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OUI à l'aide au suicide, mais NON à l'euthanasie !

Au sujet de la différence entre l'euthanasie et l'aide au suicide, il faut distinguer entre les arguments juridiques, éthiques et religieux. On ne peut pas simplement affirmer sans nuance qu'il n'existe pas de différence entre les deux : dans un cas c'est le patient lui-même qui s'enlève la vie (aide au suicide) alors que dans l'autre c'est le médecin qui la retire. Il faut d'abord préciser sur quel terrain (juridique, éthique ou religieux) on tire notre argumentation. Si l'on se situe sur le terrain de l'éthique, on peut raisonnablement soutenir qu'il n'existe pas de différence. Cependant, si l'on se situe sur le terrain juridique, il existe toute une différence entre l'euthanasie (qualifié de meurtre au premier degré dont la peine minimale est l'emprisonnement à perpétuité) et l'aide au suicide (qui ne constitue pas un meurtre, ni un homicide et dont la peine maximale est de 14 ans d'emprisonnement). Dans le cas de l'aide au suicide, la cause de la mort est le suicide du patient et l'aide au suicide constitue d'une certaine manière une forme de complicité. Mais comme la tentative de suicide a été décriminalisée au Canada en 1972, cette complicité ne fait aucun sens, car il ne peut exister qu'une complicité que s'il existe une infraction principale. Or le suicide (ou tentative de suicide) n'est plus une infraction depuis 1972. Donc il ne peut logiquement y avoir de complicité au suicide. Cette infraction de l'aide au suicide est donc un non-sens.

En revanche, l'euthanasie volontaire est présentement considérée comme un meurtre au premier degré. Le médecin tue son patient (à sa demande) par compassion afin de soulager ses douleurs et souffrances. Il y a ici une transgression à l'un des principes éthiques et juridiques des plus fondamentaux à savoir l'interdiction de tuer ou de porter atteinte à la vie d'autrui. Nos sociétés démocratiques reposent sur le principe que nul ne peut retirer la vie à autrui. Le contrat social « a pour fin la conservation des contractants » et la protection de la vie a toujours fondé le tissu social. On a d'ailleurs aboli la peine de mort en 1976 ! Si l'euthanasie volontaire (à la demande du patient souffrant) peut, dans certaines circonstances, se justifier éthiquement, on ne peut, par raccourcit de l'esprit, conclure que l'euthanasie doit être légalisée ou décriminalisée. La légalisation ou la décriminalisation d'un acte exige la prise en compte des conséquences sociales que cette légalisation ou cette décriminalisation peut engendrer. Les indéniables risques d'abus (surtout pour les personnes faibles et vulnérables qui ne sont pas en mesure d'exprimer leur volonté) et les risques d'érosion de l'ethos social par la reconnaissance de cette pratique sont des facteurs qui doivent être pris en compte. Les risques de pente glissante de l'euthanasie volontaire (à la demande du patient apte) à l'euthanasie non volontaire (sans le consentement du patient inapte) ou involontaire (sans égard ou à l'encontre du consentement du patient apte) sont bien réels comme le confirme la Commission de réforme du droit au Canada qui affirme :

« Il existe, tout d'abord, un danger réel que la procédure mise au point pour permettre de tuer ceux qui se sentent un fardeau pour eux-mêmes, ne soit détournée progressivement de son but premier, et ne serve aussi éventuellement à éliminer ceux qui sont un fardeau pour les autres ou pour la société. C'est là l'argument dit du doigt dans l'engrenage qui, pour être connu, n'en est pas moins réel. Il existe aussi le danger que, dans bien des cas, le consentement à l'euthanasie ne soit pas vraiment un acte parfaitement libre et volontaire ».

Eric Folot

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