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SO FOOT ::: A psychotic re(d)action

Publié le 29 novembre 2009 par Gonzai

« C’est con, on va pas avoir Lass (ana Diarra, ndlr) à cause de Bigard ! ». Rédaction de So Foot, dans l’après-midi du 18 novembre. Entre un coin lounge (canapés, écran plat et PS3), un baby foot et des murs décorés vert gazon et vinyles, une partie de la rédaction s’affaire, à l'ombre des néons assassins. Est-ce pour ça que l’un d’eux porte des lunettes de soleil?

Lille, mardi 17 novembre, Gare Lille Europe, 20h00. Le RER à grande vitesse vient de libérer son flow de travailleurs ch’tis. Entre deux bouchées de cheeseburger, je compte les costumes cravates, les visages fermés et les attachés case. Ce n’est pas exactement comme ça que je concevais la proximité Lille Paris. Dix minutes plus tard, je m’installe dans mon fauteuil rouge inclinable tandis que la quasi totalité du wagon sort son iPhone. Je dégaine mon i-carnet de notes pour peaufiner mes questions sofootiennes, repense à Hunter S. Thompson, sa mauvaise foi, son talent et sa haute estime de soi. Note to myself:  le team So Foot, il le mettrait où sur le terrain, le père Thompson ?

Paris 14°, mercredi 18, 15h, bureau de So Foot (sacrément enfumée). Au sous-sol qui sert de rédaction, Franck Annese, rédac' chef, arrive et s’excuse du retard, checke des tas de trucs avec l’équipe, me crie du fond de la salle « j’arrive » et me fait finalement remonter sur la surface de réparation. Quatre vingt dix minutes plus tard, après deux mi-temps plus excitantes que celles qui attendraient supporters irlandais et français, mes pieds foulent encore le gazon synthétique d'un journal qui mêle croupes, crampons et champions depuis presque sept ans déja. En attendant le patron barbu du mag, j’essaye de lire tous les noms inscrits sur les disques disposés alentour. 15h10, coup d’envoi.

C’était pas un peu suicidaire de lancer un canard y a six ans ?

SO FOOT ::: A psychotic re(d)action
On se posait pas trop la question en fait, avant, on avait fait Sofa, un journal culturel complètement branlette, super pointu, quasi universitaire, sous titrée « revue de critique culturelle », on se prenait bien au sérieux. Mais on s’est marré à faire ça, pendant 7 ans.

Ca marchait ?

Non. On a lancé So foot lancé en 2003. On citait Niezstche en parlant d’un disque mais on jouait au foot tous les week-end comme des gros bœufs, et donc dans les vestiaires ça chambrait pas mal, quelqu’un a lancé : « on fait un canard de branlette, vous voulez pas qu’on lance un canard de foot, ça serait plus drôle ». C’était à trois semaines de la coupe du monde 2002. On torche le numéro 0 en moins d’un mois, il sort début juin 2002.

Vous êtes combien à ce moment-là ?

Ca divise assez vite Sofa. On le fait à cinq ou six. C’est nul. Doit y avoir une pub Marc Dorcel : « Marc Dorcel, ses plus beaux retournés », tu vois la finesse du truc… On fait quelques ventes en kiosque, genre 1000/2000. On a énormément de retours.

C’est à dire ?

400/500 retours, des lettres, des mails. On se dit « putain, on fait une merde sans nom et ça réagit ». Avec une approche un peu à la con, un peu supporter. On était pas du tout journaliste sportif, on connaissait personne dans le milieu. On avait juste une petite expérience de presse. Pas d’argent, rien. On se dit « Ca serait marrant d’en faire un autre. On a tous des jobs à côté. En novembre 2002, on sort le numéro 0 bis, suite à la rencontre des frères Cantona. Je sympathise avec Eric, je lui parle de So Foot, il trouve ça génial, dit que c’est ce qu’il fallait à la France. On refait un numéro avec eux. C’était nul, mais ça nous permet de tester des trucs, comme la vieille légende urbaine qui veut qu’avec un format plus petit, tu es plus mis en avant dans les kiosques : en fait t’es juste caché, la légende continue. On en vend quand même quelques-uns, et là, un tas de mecs qui veulent écrire, mais qui ne viennent pas de la presse sportive, nous contactent. On fait beaucoup de bonnes rencontres : par exemple Chérif (Ghemmour, ndlr), il écrivait les questions d’Ardisson pour Tout le monde en parle

Ensuite ?

On lance So foot en mensuel en mars 2003. Au bout d’un an et demi on paye les piges, au bout de trois ans je me paye, à la pige, j’arrête de travailler à côté (rédac chef de pink TV). Aujourd’hui, So Foot, c’est six ans et demi d’existence, 35 pigistes permanents, une boîte de production clip et vidéo, 7000 abonnés, entre 35 et 45 000 exemplaires vendus par mois.

Vous trouvez que tout ça sonne trop business plan et pas assez gonzo ? Ecoutez ça : « Si on voulait vraiment gagner beaucoup d’argent … un groupe de presse qui fait So foot, il le fait à 5 ou 6 personnes. C’est plus long et plus cher de gérer 35 que 6 personnes : on aime le côté bande, le côté potes, et surtout pas le côté consanguin d’un truc fait à 6 : au bout de deux ans, t’as plus d’idées » Et encore ça : « Les idées, quoi, tu t’amuses. On préfère se payer moins et être plus nombreux ».

SO FOOT ::: A psychotic re(d)action

Quand Bizot est mort, vous avez fait un gros édito, c’était quoi le lien avec lui ?

On était assez proche philosophiquement, mais j’étais le seul à le connaître. Il aimait bien ce qu’on faisait je crois, le côté des mecs dans un parking qui se déplacent quand ils font un sujet. On est trop jeunes pour avoir lu Actuel mais à force qu’on nous dise que ce qu’on faisait y ressemblait… Bon, on a cinq téléphones pour 35, on peut pas tout faire au téléphone : l’argent de So Foot passe beaucoup là dedans, par exemple, pour le dernier numéro on sera allé en Algérie, en RDC, en Serbie, on va aller en Espagne, en Argentine.

Justement, comment ça se passe à l’étranger ?

On a meilleure réputation à l’étranger qu’en France : là on veut faire un truc sur Lassana Diarra : on appelle le Real de Madrid, y a aucun problème, ils vont pas nous dire : « oui je sais pas… So Foot vient, c’est ok, on demande à Lass et s’il est d’accord, no problem ». Si t’appelles le PSG que tu dis, je veux Makélélé, c’est compliqué.

Un truc que vous ferez plus ?

Des interviews politiques. De Villiers par exemple. Ce qui s’est passé c’est qu’on a contacté son attaché de presse qui nous dit : « De Villiers il adore So foot ». Chez nous, c’est un mec qu’on prend pas au sérieux, c’est un clown. Là dessus son attaché de presse nous dit : «  il ferait bien un match avec vous ». Ah bah ok, on appelle nos potes du Paris foot gay : on leur dit, ce gars là fait des tirades homophobes, on lui dit pas qui vous êtes et puis on voit à la fin... Le match se fait, avec l’interview dans la foulée. Mais le papier rend le mec hyper sympathique. Et j’en avais pas envie.

Le même phénomène que Chirac aux Guignols ?

Oui et à choisir j’aurais choisi de rendre sympa Chirac, qui est plus à gauche que certains mecs de gauche. J’aime son côté un peu pornocrate, un peu gros dégueulasse. Sinon dans les trucs à pas refaire : les couvs mosaïque, c’est dégueu même si elles vendent à mort.

Dans le best of des 5 ans, vous rapportiez cet adage de Bizot : « Mettez un noir en couverture, vous ne vendrez rien »

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Justement, celle du numéro Afrique, je l’adore. On nous l’a reproché, on nous a dit que c’était une pub pour Puma. C’est une extrême méconaissance du fonctionnement de So Foot : aucun annonceur ne peut se ramener et dire : "je vous paye le numéro si vous parlez pas de ça, ou alors vous parlez de ça". Là, on voulait faire un numéro Afrique, on savait qu’on vendrait rien. On voulait pas faire un truc horrible, ni une couv putassière : juste « Demain l’Afrique ». Il faut trouver un mec qui nous finance ça : on a appelé Puma, on leur dit voilà, on fait un numéro sur l’Afrique, vous, vous êtes super dessus… Trouvons une formule pour que vous rentabilisiez votre argent, en termes de pages de pub. Il nous annonce une somme bien au dessus de ce qu’on pensait : on était très emmerdés, on pouvait pas mettre autant de pages de pub, sinon ça devenait le bottin. Notre politique, c’est : plus d’un cinqième de pub, on rajoute des pages. Vient l’idée de mettre un logo tout le long. Mais juste un exemple, qui prouve que Puma n’avait pas son mot à dire : à l’époque tout le monde se touche sur la Côte d’Ivoire, affirme qu’ils vont gagner la Coupe du monde : le seul canard à dire qu’ils sont nuls et qu’ils jouent comme des bourrins, c’est nous ! Et c’est le pays phare de Puma ! Sur la photo qu’on a mise d’eux, ils sont tous en Nike ! Le boss de Puma n’a jamais appelé. Même Denis Robert a dit « So foot  s’est fait acheter ». Il m’a appelé, on s’est expliqué. Il m’a dit je savais pas comment ça avait été fait, je lui ai répondu : "T’as pas cherché à savoir. Si t’avais juste lu le numéro, tu aurais capté tout de suite que c’est impossible que Puma ait dicté quoi que ce soit".

L’interview avec Domenech, comment vous l’avez eu, j’ai cru comprendre que c’était pas le grand amour entre vous ?

Il voulait pas. Depuis 4 ans, tous les mois, on faisait une demande : on est peu con et têtu, on connaît la réponse. Comme au PSG… Bruno Skropeta (responsable de la communication et coordinateur sportif du club parisien, Ndlr) c’est un illustre abruti, il comprend rien au canard : là où il est idiot, c’est que ça nous empêche pas de faire les papiers : il veut pas qu’on fasse une interview de Le Guen ? On fait le portrait… Domenech estimait qu’on l’avait trop chargé. Mais ceci dit, en 2006, on avait pas retourné notre veste. Dès le début on avait dit : ce mec ne sert à rien dans cette équipe.

Tu l’affirmes de source sûre ?

Je pense que les joueurs s’auto-gèrent : contre le Portugal (coupe du monde 2006 ndlr qui mouille le maillot) Ribéry fait n’importe quoi pendant 20 minutes, il n’y a aucune consigne du coach pour le recadrer et c’est Zidane, tout le monde le voit, c’est à la télé, qui lui dit replace toi. Dernièrement en interview, Anelka, qui a carrément pris la place de Gourcuff au match aller contre l’Irlande -ce qui est étrange tactiquement- déclare : « avec Henry on s’est dit que c’est en décrochant qu’on aurait plus le ballon ». Il a pas dit  « Domenech m’a dit de faire ci ou ça… ». Après je dis pas que chez lui, tout est mauvais : Lassana Diarra, en équipe de France, c’est lui. On eu l’interview grâce à Vikash (Dorhasoo, pour les largés du foot) qui est un ami. On avait déjà demandé Estelle Denis (journaliste M6 et compagne de Domenech, putain vous lisez jamais les pages people ou quoi ? ndlr ? qui se caille en short, même avec Voici sur les genoux) qu’on connaît bien, mais y avait rien à faire. Un jour, Vikash la croise dans un tournoi de poker. Un peu bourré, il la relance, elle lui dit « si tu lui demandes toi, peut-être qu’il changera d’avis ». Domenech et Vikash s’étaient pas reparlés depuis la coupe du monde 2006 (Dorhasoo participe activement aux phases qualificatives et une fois en Allemagne, retour de Zidane oblige, il joue pratiquement toute la compétition vu du banc, c’est à ce moment là qu’il tourne The substitute, ndlr qui n’aime pas non plus être remplaçant), autant dire que c’était pas gagné. Mais Domenech dit OK. Vikash précise qu’il ne viendra pas tout seul, que ce sera une interview So Foot, qu’ils ne seront pas là pour faire de la polémique, qu’ils viennent avant tout parler jeu. Bon, on la cale, ça dure trois heures. Où il s’en sort bien, pas bien... je sais pas. En tout cas c’est fidèle à l’entretien.

Si on compare avec les autres entraineurs que vous avez rencontré…

(Il coupe tout de suite) Ce qui ressort, c’est le manque de culture tactique… La seule chose que je lui reproche, c’est qu’il se soit vendu au début comme un mec qui allait révolutionner tout ça, amener un truc nouveau, et finalement il a fermé sa gueule, il a fait ce qu’on lui a dit de faire. C’est juste un putain de poseur de plots. Un putain de gros RP. Le retour de Zidane, il a dit « c’est moi qui l’ai fait revenir ». Et on sait que c’est pas vrai. Il est revenu tout seul, arrête de nous prendre pour des cons.

La perception de vos confrères ?

Bien, à part quelques confrères, comme Frédéric Hermel, mais j’m’en fous, c’est presque un compliment vu comment il écrit.

SO FOOT ::: A psychotic re(d)action

Et la télé, vous vous moquez quand même… (Orange, France 2 foot)

On porte pas de jugement, on décrit ce qu’on voit. On est pas meilleurs journalistes que les autres. On a pas de pouvoir ni policier ni moralisateur. Après y a des gens qui peuvent se sentir blessés… Quand on interviewe Deschamps, qu’on lui pose des questions sur le dopage à la Juve, il refuse de répondre. Ensuite la Juve nous appelle, pour qu’on enlève ces questions. On leur a répondu : on va être gentil, on va laisser les questions sur le dopage et on va juste pas dire que vous nous avez demandé de les enlever. Ils nous ont traité de connards, nous ont dit qu’ils ne travailleraient plus avec nous.

Et c’est le cas ?

Ben non, on vient de faire la dernière couv sur eux ! Bon, on a mis du temps, hein ! Notre truc c’est : « on nous répond pas, on repose la question. Et encore, et encore. Mais on est pas plus méchants que d’autres. On est juste pas automatiquement suce boule.

Si je te dis, So foot, c’était mieux avant, tu me réponds quoi ?

Relis les anciens numéros, tu vas voir !

So Foot, c’est aussi un rubricage inédit, les interview rapido par exemple, comment réagissent les joueurs ?

Je crois que ça va devenir une institution. Les mecs commencent à dire attends, c’est un rapido, je suis pas en condition, rappelle demain. C’est la meilleure rubrique de So Foot : drôle dans les questions, drôle dans les réponses (exemple de questions posées à un joueur de foot : « Tu te lèves toi, pour Danette ? »,  « Si rien de colle au téflon, comment l’a t-on collé à la poêle ? », « Tu coucherais avec un membre de ta famille pour le sauver ? »). Les joueurs commencent à comprendre le ton So Foot.

En revanche, « le test », c’est un peu vulgaire, ça contraste avec le reste du journal

C’est vachement vulgaire ! On s’est tapé des barres de rires en le faisant.

Vous avez eu des retours dessus ?

Oui, une lectrice, qui nous a insulté. Mais bon, si ça nous fait marrer, on le passe.

Le concept du 1er lecteur, c’est vous qui l’avez inventé ?

Je sais pas, je l’avais jamais lu avant. On l’a créé pour le mec qui la fait (Stéphane Morot, ndlr, essoufflé par les prolongations). Ca vient de Sofa, on le faisait avec des gens connus, à qui on envoyait le journal en entier : les gens disaient que du bien, rapport au côté fanzine, c’était un peu complaisant. Nous on voulait que les gens soient normaux. Donc Stéphane, on lui a dit, fais ce que tu veux. C’est aussi lui qui fait l’index (sommaire en forme de jeux de mots, jecommence à me languir de la troisième mi-temps).

Le gonzo, ça vous branche ?

Non, pas trop, je suis assez anti-je. On est de ceux qui pensent que Thompson, c’est un peu de la merde, le « je » tout le temps, c’est chiant. Merde, on fait du reportage ! On se revendique pas de cette tradition gonzo journalisme. On est plus dans l’infiltré : on aime bien cette logique là, faire partie du truc : le plus tôt possible et y être aussi le plus tard possible. Vivre l’aventure avec les gens qui la vivent.

Hunter S. Thompson, Lester Bangs, quelle poste sur le terrain ?

9 et 10, des places de mégalo.

Des mecs un peu surcôtés ?

Non, c’est pas un reproche. On est proche de Murat qui est assez prétentieux. La première fois que je l’ai rencontré, je lui ai dit : « putain, enchanté, c’est la 1e fois que je rencontre quelqu’un d’aussi prétentieux, je suis super flatté ».  Il m’a dit : « Je t’arrête tout de suite, si tu crois que tu m’a mis un tacle, c’est raté, je le revendique complètement. Le mec qui dit qu’il est pas prétentieux et qui fait un disque, qui lève le doigt et qui dit messieurs dames, j’ai fait des chansons, écoutez les et achetez les, et qui l’assume pas, c’est une couille molle ». Pour moi, Thompson et Bangs, c’est pareil : des mecs assez sûrs d’eux pour penser qu’il fallait les lire. Donc tu les mets 9 ou 10.

Pour finir : avec tout ça, vous arrivez encore à jouer au ballon ?

Ouais, tous les mardis, on s’entraine pas assez, on a pas de condition physique mais ça joue pas mal…

Fin de la rencontre.

18H. Aux détours d’un rendez-vous de bouche de métro et de rames bondées, j’aperçois des drapeaux algériens, des chants irlandais, des supporters qui se cassent la gueule dans les escaliers et tout autour, des CRS par paquets et des parisiens indifférents qui vont leurs chemins. Dans les jours qui suivront, l’encre et les images couleront plus que de raison, à propos de ce sport qui nous parle de tout : identité nationale, tricherie, morale, règne de la bimbo, valeurs, violence, beauté, rigolade, contrôles d’identité, ceux faits avec la main, insultes. So Foot est le premier à l’avoir compris. Et ça n’est pas Priscilla qui me dira le contraire. Quand je ne trouve plus mon So Foot, je sais où le trouver : de l’autre côté du lit.

www.sofoot.com et en kiosque tous les mois (en grand format !)
Photos: Fiston


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