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Dictature du Prolétariat

Publié le 20 avril 2009 par Kasparov
Dictature du Prolétariat
1. Psychologie du communiste.
''Le communiste'', on le sait, est cet être - lié à une espèce apparemment en voie de disparition, mais que le capitalisme n'entend nullement sauvegarder, sinon au zoo du repoussoir – qui allie la plus évidente des affirmations de soi et de ses idées avec la honte secrète qui le taraude.
Le communiste a naturellement le courage d'affirmer son communisme. Être à la bande, le paria, ou à l'extrême (selon le spectre officiel d'une démocratie comme la nôtre) cela vous encourage toujours à assumer votre sale gueule jusqu'au bout ; vous n'avez rien d'autre à défendre ; l'énergie du désespoir - en tout cas la certitude d'avoir raison d'être vous-même, de croire en vos Idées - vous anime dès lors. Encaisser devient une seconde nature.
La honte, plus nocturne, est celle de l'héritage historiquement communiste du XX°, et que n'importe quel adversaire de bas étage, n'importe quelle ménagère inconsciente de toute politique, tout aussi bien, vous enverront à la face : les crimes de Staline et consorts. Ce que nous avons déjà dit, et qui se résume par l'imprécation paternaliste des revenus bedonnants de 68, tout aussi bien que des nouveaux satisfaits, plus ou moins opulents, de ce monde : « Petit, le communisme c'est comme le nazisme. »
Prendre cela dans la gueule, constamment, malgré même l'analyse intérieure auquel ''le communiste'' peut se livrer, malgré sa fidélité lucide à la différence entre l'hypothèse communiste et la réalité historique dévoyée, conduit ''le communiste'' à devoir supporter avec difficulté cet entrelacs psychologiquement instable : affirmation/honte. Cette bivalence.
Il lui arrive, en somme, de se demander s'il a bel et bien raison d'encaisser. Répondre oui, au miroir, sans avoir l'impression d'être un skinhead ou sataniste de gauche, cela s'appelle le courage.
Si tout tourne, en effet, autour d'un tel registre : «  Ta gueule, sale communiste de fasciste. »
Ce qui n'est guère encourageant, on en conviendra. Ce mélange des genres éhonté, et qui, au couteau de boucher, tranche dans le vif d'une réalité philosophique et historique complexe, avec une grâce à peu près semblable à celle qui associe, dans un autre genre, à l'étoile de David la croix gammée...
2. La dictature du prolétariat.
Une fois que ''le communiste'' aura réussi sa thérapie croisée de l'affirmation de soi et de la honte ancestrale (son péché originaire à lui), il lui restera à considérer la question théorique de la ''dictature du prolétariat''. En réalité, c'est cette notion qui m'intéresse, ici, bien plus que le climat affectif et psychologique du typique ''communiste'' que j'invente.
Dès que nous entendons l'expression, ''dictature du prolétariat'', notre sang se glace, et l'on y entend le motif qui aurait légitimé tant de crimes.
L'expression, il faut le remarquer, est plutôt rare sous la plume de Marx et d'Engels, et les deux théoriciens prennent grand soin de rappeler qu'il s'agit là d'une sorte de nécessité transitoire. On ne comprend guère le communisme théorique de Marx et d'Engels si l'on ne parcourt pas l'entièreté de leur schème utopique : Révolution, dictature du prolétariat, Etat collectiviste, dépérissement de l'Etat.
Dans ce schème, la dictature du prolétariat a pour but d'éviter la contre-révolution, et d'assurer la victoire définitive de la révolution. C'est tout juste si la dictature du prolétariat n'est pas une prophylaxie, ou un mal nécessaire. Viendra ensuite l'Etat égalitaire. Viendra finalement le ''dépérissement de cet Etat'', c'est-à-dire la disparition progressive de l'Etat lui-même, tant la conscience et les progrès accomplis par les hommes, sous le règne de l'Etat égalitaire, permettront une sorte d'auto-organisation des consciences et des bras, finalement proche des utopies anarchistes autonomes... Ce que l'on oublie un peu vite, ce mouvement jusqu'au ''dépérissement de l'Etat'' (rien de péjoratif dans l'expression) lorsqu'on se contente de dire que le communisme veut l'Etat total et l'anarchisme sa disparition avec pertes et profils. En réalité, les liens entre anarchisme et communisme sont plus complexes qu'il n'y paraît (voir Démocratie Virtuelle, 37-40).
Mais je n'envisagerai ici que cette question de la ''dictature du prolétariat'' car c'est elle, cette question (bien plus que le fil utopique tiré par la vue de l'esprit de Marx et d'Engels, fil dont nous n'avons à vrai dire aucune Ariane historique, le tout se résumant effectivement aux barbaries staliniennes et d'alentours) qui pose à notre temps la question la plus fondamentale, d'autant plus qu'elle semble prouver aux anti-communistes (les gens comme il faut) que les germes de Staline étaient en Marx. De fait, le discours justificatif de Staline, tandis que le poignard frappe -celui du communisme historique en général - tourne autour d'une telle expression. (Mao en fait autre chose, en apparence. Mais ce n'est qu'une apparence puisqu'il s'agit, en théorie, à partir de la masse en mouvement, d'obtenir une vraie ''dictature du prolétariat'', dynamique, se méfiant de celle du Parti déjà embourgeoisé. Je ne vois donc pas en quoi Mao échappe à une telle thématique dont il distribue simplement autrement les places.)
La ''dictature du prolétariat'', si vous voulez faire peur, il vous suffira d'en parler et de la promouvoir. Il est remarquable qu'un esprit aussi fin que Daniel Bensaïd cherche, au moins au détour d'une phrase, à atténuer l'expression en expliquant qu'il faut entendre ''dictature'' au sens le plus romain du terme. La ''dictature'' dans son opposition à la tyrannie, et qui désignait la prise de pouvoir exceptionnelle et nécessaire d'un homme, momentanée, pour le bien de tous, et pour s'opposer à la possibilité d'une telle tyrannie, illégitime. Le coup d'Etat légitime, en bref. Bensaïd oublie un peu vite que Marx emploie le même mot ''dictature'' pour désigner la domination bourgeoise, édulcorant donc l'expression sous prétexte du prédicat ''prolétaire''.
La pensée de Marx, il ne faut pas l'oublier, a pensé la révolution bourgeoise, dans l'histoire, avant de penser le temps pour lui présent de l'esclavage industriel, et la nécessité, dès lors, de la révolution prolétaire. Je ne crois pas qu'on puisse soutenir cette distorsion d'un même emploi du mot. On peut, en revanche, comme je le disais, dire que Marx et Engels, quant à cette réalité, n'étaient nullement dans l'obsession, tant l'expression est rare dans le corpus de leur pensée.
3. ''Dictature du prolétariat'' et ''Démocratie''.
La ''mauvaise expression'', en effet, est, dans notre contexte, fascinante. Elle est inaudible. Imaginez-vous un homme politique la défendre ? Voyez-vous le PDP, le ''Parti de la Dictature (du Prolétariat)'' ? Ni Arlette, en son temps, ni Besancenot n'oseraient... On préfèrera parler, même à l'aile radicale, de progrès sociaux très importants, une sorte de social-démocratie de Géant ou de Golem. Mais certes pas d'une telle expression. Parce que l'expression marque exactement ce moment ou ''Communisme'' et ''Démocratie'' ne sont plus exactement commensurables. Le ''Communisme'', par elle, passe en force, au nom de l'Egalité, tandis que la ''Démocratie'' peut errer, et ne point admettre, en femme inconsciente de son propre corps, la nécessité du nom et de l'Idée ''Egalité''.
Cette disjonction possible entre ''communisme'' et ''démocratie'' est évidemment le point le plus problématique du temps, pour les esprits animés d'émancipation...
Reste maintenant à savoir en quoi la dite ''Démocratie'' fait dictature à sa manière, mais sous une forme évidemment doucereuse et inaperçue.
Nous y viendrons...

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