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Quand le marketing ordonne la charité !

Publié le 24 mars 2009 par Plumard

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Avant hier, je réceptionnais dans ma boîte aux lettres un pli copieux estampillé du logo de Médecins sans Frontières. « Cher Monsieur, au Burkina Faso, mais aussi au Soudan, en Ethiopie ou au Tchad, nos équipes prennent en charge des milliers d’enfants souffrant de malnutrition aiguë. (…) Qui peut se résigner à la mort d’un enfant ? (…) Nous avons besoin de vous. ». S’ensuivaient un « bon de soutien », un tract relatif à l’opération « 1 euro par semaine », un exemplaire d’ « infos », le magazine de l’association et une enveloppe déjà affranchie. Documents auxquels il faut ajouter deux goodies (comme on dit dans le marketing) : des étiquettes pour « personnaliser » mon courrier ainsi qu’une mappemonde grand format pour « suivre l’actualité de nos missions ».

Pour être tout à fait honnête, je dois dire combien j’ai été déçu par les cadeaux. Vous me trouvez dur, je sais. N’empêche, Handicap International s’était davantage creusée la tête pour m’offrir des béquilles miniatures début février. Action Contre la Faim m’avait fait parvenir un joli paquet de cartes avant Noël (même si, dans les faits, il y avait comme un oxymore à souhaiter une année pleine de bonheur au dos de photos illustrant la misère du monde). Quant aux stylos bille du Secours Catholique, j’ai dessiné avec eux de magnifiques arabesques pendant d’ennuyeuses conversations téléphoniques. C’est que les cadeaux ont leur importance ! Jamais vraiment innocents, ils sont là pour créer chez vous une sorte d’endettement moral.  Joie de recevoir et plaisir d’offrir.

L’astuce est bonne ; elle fait même de ce dispositif un cas d’école en matière de marketing direct. Ça marche si bien que connaître les ficelles du métier n’empêche pas de mordre à l’hameçon. La preuve : me voila encombré d’un planisphère, d’étiquettes autocollantes à mon nom, et d’un dilemme moral inextricable. Me montrer poli, donner pour solder ma dette et -effet collatéral- sauver quelques affamés, ou soutenir la consommation dans notre Pays en crise, en dépensant mes euros dans les commerces alentour? Dieu sait pourtant que j’ai autre chose à faire le midi que de résoudre des cas de conscience. Je regrette vivement que l’école ne m’ait pas doté des ressources intellectuelles utiles pour trancher dans ces cas-là.

J’ai tout de suite imaginé quelques justifications pour me défausser. Les étiquettes sont un cadeau maladroit. S’ils croisaient un peu mieux leurs fichiers, ils sauraient que j’ai délaissé depuis longtemps le courrier manuscrit au profit du mail. De toute façon, quand bien même j’aurais l’occasion d’utiliser ces étiquettes, je ne le ferais pas, de peur d’être confondu avec ces gens sans scrupules qui s’en servent sans avoir donné.  Et j’en connais ! En revanche,  le coup du planisphère est imparable. Je dois avouer que j’étais bien tenté de le garder, parce que ça sert toujours un planisphère. Remarquez, j’aurais pu songer à l’offrir, mais là, on est plus près de la perversité que de la générosité. Croyez-moi, j’étais rudement embarrassé. Heureusement que je ne suis pas le destinataire régulier de ce genre de courriers, de véritables petites bombes, prêtes à fragmenter la conscience de qui prend le risque de les ouvrir.

L’expédient, en fait, est arrivé par la même voie que l’embarras : ma boîte aux lettres. Ce midi, en récupérant mon courrier, parmi les prospectus aguicheurs des supermarchés, j’aperçois un papier de petite dimension, découpé à la main ou peut-être au massicot, sur lequel figure un message en noir et blanc. Intrigué, je prends connaissance de la missive : Professeur DEFOSSE, muni de « puissants pouvoirs », n’a qu’un but « [me] voir HEUREUX ». « Relié au cosmos et à l’au-delà », il « puise sa force dans les différentes sources naturelles, cosmiques, telluriques et spirituelles ». Qui plus est, il est très disponible, « joignable de 9h à 21h ». Certains agents de l’État devraient en prendre de la graine, qui, puisant leur force dans plusieurs mugs quotidiens de café, ont parfois du mal à servir leur prochain avec le sourire.

Une idée lumineuse me traverse l’esprit, cependant que mon corps, lui, traverse les étages de l’immeuble, claquemuré dans l’ascenseur. Un homme dont les « différents travaux » « agissent » sur les affaires, la réussite professionnelle, la sexualité, qui peut « punir les méchants » et dont l’aide est « efficace, discrète et rapide », n’est-il pas d’un plus grand secours aux affamés du monde entier que l’euro hebdomadaire que je m’apprêtais à sacrifier à la cause ? Parvenu chez moi,  je m’empare du courrier de MSF, débusque l’enveloppe pré-affranchie et y glisse le tract du Professeur DEFOSSE. Une heure plus tard, le pli était posté.

Aujourd’hui, mettre en relation les gens est devenu une activité très lucrative. Mais c’est un business qui échoue parfois à faire se rencontrer les gens qui ont un talent et ceux qui ont l’infrastructure pour l’exploiter et bâtir un monde meilleur. Dieu soit loué, il existe encore des sites tels que Marabouts de Papier, qui constituent de véritables viviers pour les chasseurs de têtes audacieux.

Pour un article plus fouillé sur le marketing caritatif, je vous renvoie ici. Vous y apprendrez, entre autres, qu’ « on devient donateur en vieillissant, car on est alors plus directement concerné par la maladie ou la mort ».


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