Magazine Journal intime

La peur

Par Thywanek
On lui dit un visage. Selon les traditions, les inspirations, c’est un visage vert. Ou un visage bleu. D’un bleu blafard. Un sale bleu de tête étranglée. Ca peut-être aussi une face blanche et livide. Mais sous ces différentes appellations, nées des effets physiologiques que sa présence provoque, elle n’a qu’un nom : la peur. Elle a ses adeptes du frisson. Ses amateurs de cauchemars cinématographiques. De manèges retournées. Et même de pentes dévalées, sur un vieux vélo sans frein, et au bout une route où déboulent des camions. Elle a son folklore. Ses mythes. Ses millénaires. Ses gourous. Sa roulettes russe. Ses panoplies. Ses petits cabinets sombres. Ses prophéties apocalyptiques. Ses croyants et ses réfractaires. Ses troupeaux dociles et ses rebelles ironiques.
Et puis elle a sa politique. Des politiques, mais au bout du compte une seule. A peu de choses près toujours la même. Là, plus de masques blêmes. Plus de versets cabalistiques. Plus de défis morbides. Et plus d’effets spéciaux.
Non, là, Madame La Peur a des promoteurs un peu plus sérieux. Là elle doit régner mais surtout servir. Là elle peut se répandre à condition d’être utile.
Elle bénéficie pour cela de dispositions spéciales.
On lui fabrique un objet. Voire plusieurs. On lui désigne un peuple à conquérir. On la rappelle à ses rôles anciens à travers l’Histoire. Aux boucs émissaires qu’on lui a sacrifiés. Autrefois couronnée en grande pompe à Nuremberg, aujourd’hui elle grimpe les audimats dans les médias. Question d’époque. On lui aménage de nouveaux moyens, on la modernise. Mais on ne change rien à son principe de propagation ni à l’archaïsme de son industrie. Par dessus les oripeaux de sa fonction on glisse des sourires adaptés, peaufinés sur les établis du marketing, policés aux velours hypocrites de la communication : rictus désolés, rassurants, protecteurs, compassionnels.
On ? Ses commanditaires : ils voudraient gouverner : alors ils en vendent dés qu’un micro se tend. Qu’une caméra passe par leurs tribunes beuglantes. Ou ils gouvernent déjà. Ils se sont emparés de toutes les manettes. Ils tiennent tous les fils. Ils multiplient les mains dont ils ont besoin pour articuler la geste bien réglée des marionnettes qu’ils ont choisies. Et rompus aux talents des parieurs avisés, ils spéculent sur les rapports de leur investissement.
Les temps doivent être inquiets. C’est une condition sine qua non de la réussite de leur méthodique entreprise. Ils faut une période propice à l’angoisse, à toutes sortes de craintes plus ou moins fondées, de replis fantasmatiques. S’ils ont su fabriquer le marasme économique et la déshérence sociale que leur commande la doctrine à laquelle ils obéissent, s’ils ont su découdre tout ce qui tenait tant bien que mal, sous prétexte de cette réforme dont ils ânonnent le bréviaire idéologique avec la ferveur bornée des zélateurs intéressés, ils savent qu’ils pourront recourir aux soins perfides de la peur pour consolider ce qu’ils font s’écrouler, à défaut d’avoir jamais eu l’intention de construire quelque chose de solide à la place de ce qu’ils détruisent.
Temps heureux pour ces petits maîtres épouvantables. Le monde entier leur offre une marmite dans laquelle ils peuvent puiser de quoi préparer leur soupe empoisonnée. Dérèglements climatiques, crise financière, tensions persistantes ou nouvelles aux relents de guerres, et suprême délice, menace supérieure, régal de ces chefs de cuisine pestilentielle, les mouvements de populations, les émigrations, les immigrations, les migrations.
Et le revoilà. L’immortel objet de toutes les frayeurs populaires, populacières. L’étranger. Et les revoilà, ces mille et son unique visage. Sa peau, sa tignasse, son allure, ses vêtements, ses mœurs, son odeur, ses manies, sa foi dangereuse, évidemment dangereuse, sa culture bizarre, évidemment bizarre, et ses intentions, évidemment de piller le pays, de coloniser nos villes, et bien sûr, bien sûr, d’attenter à notre identité nationale.
Et revoilà, sainte alliance relookée, le sabre neuf d’une terreur et le neuf goupillon d’un catéchisme nationaliste.
D’une autre origine tout aussi éternelle il y a cette autre exigence requise pour le service de la peur. Les gouvernants aux faces mielleuses ne l’ont pas oubliée. Ils ont cultivé les conditions de son épanouissement : la bêtise, la lâcheté, la veulerie, la mesquinerie, la misère, l’injustice, la frustration, la rancune, et maîtresse de toutes ces petites horreurs humaines, de toutes ces entraves aux bénéfices douteux, c’est elle, l’ignorance. La souveraine ignorance. Pusillanime, modeste et méfiante ou arrogante, matoise et ventrue. L’ignorance qui se plait d’elle-même. Qui se préfère dans son miroir vide. Qui se complait de sa suffisance d’en savoir assez pour en réfléchir le moins possible. Coquetterie simplette parée des foisons de pacotilles cueillies dans les vitrines des médias affiliés. Peuple alouette aux éblouissements soumis.
La peur. Oh ça fait déjà de longs mois, de longues années, qu’elle rampe un peu partout. Parmi les étrangers de l’intérieur, dans les zones reléguées ou s’allument de temps en temps des feux de violences urbaines. Elle rampe. On la filme dans les rues, dans les magasins, dans les transports en commun. Elle rampe. A longueur de journaux télévisés mis en scène par leurs personnels domestiques bien élevés.
Et les reins de plus en plus remplis de ses macérations aux effluves grises et poisseuses elle s’agite à présent, comme une bête obèse sous les imprécations de ses dresseurs.
Et elle va se redresser. Par à coup. Subrepticement. Comme une nouvelle drogue à laquelle on s’habituera. Chimie politique des dealers aux langues adroites. Très adroites. Au verbe habile. Avec des manières d’emballages opulents pour envelopper leur dessein viral. Avec des indignations compassées pour protester de leurs soins impuissants. Avec finalement du bagout en guise de verve. Et du culot en guise de courage. Et la sécurité en bandoulière pour promesse d’apaiser l’hydre qu’ils nourrissent.
La peur.
Qui se redresse.
Qui va se redresser.
Si on la laisse faire.
Si nous les laissons faire.
Si nous nous laissons faire.

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