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Du despotisme providentiel

Publié le 06 décembre 2009 par Yvesd

tocqueville2.jpgTocqueville fut sans doute l’un des penseurs français les plus brillants du dix-neuvième siècle à défaut d’avoir été le plus fécond. C’est à Raymond Aron que nous devons l’exhumation d’une œuvre qu’au nom de la pensée unique de l’époque les communistes s’étaient efforcés de reléguer au magasin des accessoires intellectuels incompatibles avec leur funeste idéologie.

Si la lecture de l’Ancien Régime et la Révolution (1856) reste essentielle pour mieux comprendre cet épisode de l’histoire nationale, les deux tomes de la Démocratie en Amérique (1835 et 1840) constituent la base d’une pensée politique indiscutablement moderne et étonnamment visionnaire.

C’est la raison pour laquelle et en dépit de leur densité et d’un style « daté » qui les rendent moins faciles à lire que les « pensées » de José Bové, ces deux volumes figurent en bonne place dans la bibliothèque de « Restons Correct ! », aux côtés de quelques ouvrages de référence traitant de (vraie) galette-saucisse, bien entendu…

C’est peut-être aussi la raison pour laquelle la Démocratie en Amérique est devenue au fil du temps une sorte de « bible » pour les libéraux français et, au-delà d’eux, un ouvrage indispensable à tous ceux qui réfléchissent à la nature et au devenir de notre démocratie.

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Avec pour objectif de donner à nos lecteurs l’envie de le lire ou de le relire, on trouvera ci-dessous un bref extrait du second tome de la « Démocratie » (chapitre 6 de la quatrième partie) dans lequel Tocqueville décrit, bien avant son invention par les sociaux-démocrates européens, les ravages politiques et le caractère profondément liberticide d’une généralisation de l’Etat Providence.

L’idée fut reprise et développée par Hayek (Nobel d’Economie 1974) dans cet autre ouvrage de référence qu’est la Route de la Servitude (1944).

Force est de constater à la lecture du texte de Tocqueville que, plus d’un siècle avant le cofondateur de la Société du Mont Pèlerin, il avait parfaitement identifié les dangers du « despotisme providentiel ».

Laissons lui donc la plume :

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L'espèce d'oppression dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l'a précédée dans le monde : nos contemporains ne sauraient en trouver l'image dans leur souvenir. Je cherche en vain moi-même une expression qui reproduise exactement l'idée que je m'en forme et la renferme ; les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent point. La chose est nouvelle, il faut donc tâcher de la définir puisque je ne peux la nommer. Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux, qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart et comme étranger à la destinée de tous les autres ; ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul et, s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie. Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche au contraire qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir ; il travaille volontiers à leur bonheur, mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre.

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Merci pour finir à notre ami Laurent Watrin, le sympathique taulier de l’excellent « blog d’un eurocitoyen » que l’on peut visiter en cliquant sur le lien Laurent le Modémiste qui figure dans notre rubrique Rien que du bon! , de nous avoir soufflé l’idée de ce billet en publiant ce texte sur sa page facebook.


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