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"The Woodsman" de Nicole Kassell

Par Pfa

Le distributeur One plus One nous offre enfin l’occasion de découvrir la première réalisation de Nicole Kassell, de longs mois après sa sortie américaine en salles et en dvd. Précédé par sa réputation outre-atlantique, The Woodsman nous est présenté comme « le premier film sur la pédophilie ». Cette étiquette pourrait laisser présager du pire, mais heureusement on est ici loin de l’exploitation « sensationnaliste » d’un journal télévisé, ou de la justification d’une justice personnelle dans un produit hollywoodien où le criminel sexuel serait amalgamé avec le tueur en série. S’en tenir à cette simple formule serait, par ailleurs, réduire The Woodsman à un « film à thème », au même titre que la pléthore de long-métrages consacrés au racisme, la peine de mort, l’homophobie…

Le film nous raconte la réinsertion d’un ancien détenu condamné pour attouchements sexuels sur mineures. Il décrit le parcours de Walter, comment ce dernier vit ses relations avec la société, le poids de son passé, ses tentations, ses peurs. La cinéaste montre un individu plongé dans la solitude et confronté à la haine d’une société qui le rejette. Elle dessine le portrait d’un homme brisé, torturé, tourmenté. À travers les états que traverse le personnage, avec ses angoisses et ses faiblesses, le film transcende son sujet et touche à l’universel. On ressent ce que l’on n’aurait pu imaginer éprouver avant d’entrer dans la salle : de la compassion. Peu à peu, le protagoniste ne nous apparaît plus comme un criminel sexuel, mais comme un être humain avec ses troubles, ses souffrances. On peut sans doute tous se retrouver un peu dans Walter.

Au-delà d’être un film sur la « pédophilie », The Woodsman constitue un document, presque un témoignage, sur l’exclusion. En cela, l’histoire de Walter fait écho à l’isolement que peuvent créer la misère ou les discriminations. La réalisatrice dénonce, sans jamais tomber dans le didactisme, les mesures inappropriées pour encadrer la réinsertion du criminel, humilié par un thérapeute et harcelé par un policier, qui loin de le soigner et de l’aider à se réhabiliter, ne font que le marginaliser davantage. Nicole Kassell met en évidence l’hypocrisie d’une société tellement soucieuse de se conformer à une normalité « saine » mais illusoire, qu’elle préfère écarter ce qu’elle nomme – pour se rassurer – des « monstres », plutôt que de les comprendre en tant qu’humains et de les aider. La réalisatrice autopsie ainsi, en évitant tout raccourci simpliste, notre société contemporaine.



Violemment repoussé par ses collègues de travail qui ont appris la nature de ses actes, Walter se retrouvera de nouveau en proie à ses démons, lorsqu’il retrouve une jeune fille dans un parc. Comprenant que cette enfant est la victime de son père, il prendra conscience de son mal. Croisant sur le chemin du retour un autre pédophile qu’il surveillait depuis longtemps, il s’acharnera sur lui, répandant sa colère, le rouant de coups et combattant à travers cet homme la part de sa personnalité qui le révulse. Walter se dirigera ensuite vers une nouvelle vie au côté d’une femme qui l’aime et le soutient, l’acceptant tel qu’il est. Le film se termine de manière ouverte, Walter n’ayant pu encore renouer les liens avec sa sœur ; il lui reste encore beaucoup à réaliser pour regagner la confiance de son entourage passé.

Un des grands mérites de Nicole Kassell est d’avoir su traiter d’un sujet aussi dur avec autant de pudeur. Jamais le film ne tombe dans le trivial, travers dans lequel il aurait pu facilement sombrer. La mise en scène est toute en allusions, le style minimaliste. On pense en voyant The Woodsman à un autre film récent, et fort méconnu, The Believer. Le film d’Henry Bean, sur un sujet certes différent mais tout aussi délicat – le dilemme d’un juif néo-nazi –, faisait preuve de la même complexité dans la description de la psychologie de son personnage principal, et de la même distance, n’imposant à aucun moment le moindre jugement moralisateur. À l’instar de Ryan Gosling dans ce même film, Kevin Bacon réalise une composition littéralement sidérante, troublante par son expressivité et toutes les nuances de son jeu. Le découpage du film souligne à cet égard, par le recours régulier aux gros plans sur le visage de son interprète principal, toutes les émotions du personnage. On notera également, la présence du trop rare Benjamin Bratt qui, dans un rôle secondaire, et évidemment moins spectaculaire, se révèle impressionnant.

Le film doit aussi être associé au nom de Lee Daniels, déjà responsable en tant que producteur de Monster’s Ball de Marc Forster, autre film portant un regard différent et sans concessions sur l’Amérique et le monde d’aujourd’hui. Tour à tour, pénible, touchant et beau, The Woodsman fait partie de ces films importants parce que nécessaires, comme le fut notamment par le passé The War Zone de Tim Roth. En dehors d’être un très grand film, The Woodsman est, plus simplement, une œuvre magnifique.



The Woodsman. États-Unis. 2004. Réalisation : Nicole Kassell. Scénario : Nicole Kassell et Steven Fechter. Image : Xavier Pérez Grobet. Montage : Lisa Fruchtman et Brian A. Kates. Musique : Nathan Larson. Interprétation : Kevin Bacon (Walter), Benjamin Bratt (Carlos), Kyra Sedgwick (Vicki), Mos Def (Sgt. Lucas), Eve (Mary-Kay). Durée : 1 h 28 min. Sortie en salles : 15 mars 2006.

 

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