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L'Homme N'Est Pas Parfait, Il Est Perfectible.

Par Mélina Loupia
Voilà quasiment une semaine que Jérémy et Nicolas ont quitté le nid, laissant leur dernier tiers aux prises parentales. L'affaire suit son cours, cahin-caha, entre nonchalance et petits coups de gueules bien sentis de part et d'autre. Mais dans la majeure partie des cas, c'est l'enfant qui gagne. Donc actuellement, il ne manque plus que son lit dans le salon pour qu'Arnaud s'y sente comme dans sa chambre. La totalité de ses jouets, petits et grands, le nécessaire vestimentaire ainsi que le bordel qui va avec se trouve dans le salon, avec lui. Cet enfant n'a que 8 ans presque révolus, ne doit pas être plus haut ni large que la moyenne imposée dans les cabinets de pédiatrie. Pourtant, il s'étale et impose sa présence non seulement matériellement, mais psychologiquement. Arnaud a toujours été dans le questionnement. Dès lors qu'il  a su s'exprimer, ça n'a été que sous forme interrogative. "Mais qu'est-ce qu'il est curieux ton fils! -C'est quoi curieux?" Depuis que nous sommes en trio familial, il ne se passe pas une heure dans la journée sans qu'il n'interroge. Comme ses frères ne sont pas là pour accéder à ses requêtes par " J'en sais rien, je m'en tape, vas voir maman et dégage de ma chambre sinon je t'étale contre le mur et tu pues de la gueule", c'est vers Copilote et moi qu'il va chercher à combler ses lacunes. Comme Copilote est le seul actif reconnu légalement, se sont ses absences physiques qui brillent à sa place. Ce qui brille ne répond pas. Du coup, la machine à réponses, c'est bibi. Mais c'est hier que s'est vraiment déclenchée la réflexion philosophique. Nous étions lui et moi envoûtés par la Roue de la fortune, lors de la fameuse énigme à double sens où le candidat chanceux gagne un pécule supplémentaire s'il trouve non seulement la phrase cachée par la poitrine de l'hôtesse, mais encore l'objet du double sens. Hier, en l'occurrence, il s'agissait de découvrir ce que cachait " Bas du visage ou ville du Sud". Au bout de 4 consonnes démasquées, j'ai dit " Menton bien-sûr". -Maman, waouh, t'es trop forte en énigme à double sens! -Oh disons que comme je suis allée à l'école un peu plus longtemps que toi, je sais un peu plus de choses. -Alors avant, on apprenait les énigmes à double sens à l'école?" Là, je n'ai pu que rire, me confondre en banalités, " Tu comprendras quand tu seras grand, toi et tes questions..." Plus tard, alors que le journal télévisé annonçait consécutivement des intempéries dévastatrices tout autour du globe, le bilan d'une explosion de gaz et un petit rappel sur des incendies, suivi des préavis de grèves et autres vicissitudes mondiales, Arnaud a soupiré, croisé ses bras et rétorqué. "De toutes, façons, la télé, ils vont bien finir par déjouer les plans des méchants du monde, inventer des lances à incendies géantes, des pompes superpuissantes et des trains automatiques. -Mais mon chéri, ce n’est pas la télé qui fait l'info, elle la diffuse. -Et si elle la diffusait plus, ça arriverait quand-même? -Oui, malheureusement. -Alors pourquoi on la regarde si on peut rien faire?" Et ce matin, alors qu'il me regardait attentivement faire courir mes petits doigts boudinés sur le clavier de Marilion, sa curiosité a encore frappé. "Comment ça se fait que tu tapes si vite? -J'ai l'habitude Arnaud, c'est normal, mais ça veut pas dire que je tape bien. -Moi, à l'école, je suis le plus rapide, alors que les autres ils sont nuls, ils tapent avec un doigt et cherchent les touches sur le clavier alors qu'elles changent jamais de place. -Alors tu te moques d'eux? -Bah oui, ils sont nuls." La discussion se poursuit jusque dans les commodités vers lesquelles j'étais allée me réfugier pour satisfaire une miction caféinée mais également préparer une réponse imparable. "Et toi, quand tu fais quelque chose de moins bien que les autres, comment ça se passe quand ils te disent que tu es nul? -Je suis vexé. -Tu préfèrerais pas qu'on te dise plutôt ce que tu dois faire pour t'améliorer? Comme le maître par exemple. -Ah oui mais le maître c'est différent, il est là pour m'apprendre à pas être nul. -Donc, il transmet ce qu'il sait à ceux qui ne savent pas. -Oui. -Et toi, quand tu sais pas quelque chose, tu es content qu'il t'apprenne à la faire plutôt que de te dire que tu es nul? -Oui. -Alors tu penses pas qu'au lieu de dire à tes copains qu'ils sont nuls au clavier, ce serait mieux de leur apprendre ce que tu sais? -Oui, mais je suis pas un maître, donc je suis pas parfait. -Tu penses que le maître est parfait? -Oui. -Pourquoi? -Parce qu'il sait tout. -Non, il sait pas tout, il sait juste ce qu'il faut pour t'apprendre ce que tu ne sais pas et dont tu as besoin pour apprendre d'autres choses. -Oui mais il est parfait et il m'apprend pas à l'être. -Non, il est pas parfait. -Si lui est pas parfait, alors qui l'est? -Personne, l'homme n'est pas parfait, il est perfectible -Je comprends pas ce que ça veut dire maman. -Regarde, quand tu commences à construire une maison avec tes cubes, petit à petit, au fur et à mesure que tu les emboites les uns dans les autres, tu cherches à l'améliorer, alors imagine que la maison c'est toi et que les cubes, c'est ce que tu apprends au fur et à mesure et que cube après cube, tu améliores ton savoir, donc, tu cherches à te perfectionner, mais tu n'auras jamais la sensation que ta maison est parfaite, et tu chercheras toujours à l'améliorer plus, comme tu chercheras à savoir plus en grandissant. -Donc je ne serai jamais parfait. -Non est c'est très bien comme ça. -Pourquoi? -Parce qu'au moins, avoir envie d'être parfait, ça donne envie d'apprendre toujours et encore. -Alors c'est bien que je ne sache pas tout? -Parfaitement! -Je suis content maman. -Tant mieux, pourquoi? -Parce que je suis parfaitement perfectible." Comme je n'avais qu'un balbutiement de réponse fermée à lui fournir, je préfère prétexter qu'une heure de station aux toilettes n'était décemment pas acceptable dans mon état de mère inactive, je coupe court en détournant la conversation dont il avait remporté une fois de plus le dernier mot. "Tiens, si tu es perfectible, fais-moi un café, histoire de voir s'il est meilleur que celui de tout à l'heure. -Avec tout le café que tu bois, depuis le temps, tu devrais mieux savoir le faire que moi. -Oui, mais ça te permettrait de chercher à le faire mieux que moi, t'as pas envie de te perfectionner? -Non. -Pourquoi? -Parce que si je deviens meilleur que toi pour faire le café, je vais être obligée de le faire tout le temps. Et en plus, je ne suis pas parfait, je suis pas obligée de chercher à le faire mieux que toi, le café" Sur quoi, je me suis levée, l'ai embrassé, lui ai pelé une pomme, découpée en cubes, saupoudrée de sucre roux et suis allée parfaire ma confection de café.

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