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Projections (25) Texte en plusieurs parties publié par Arthur Vertrou

Publié le 16 décembre 2009 par Yiannis

Tu en es là et tu attends.

Quoi, tu ne saurais le dire…

Une revanche !

Parfois le soir, au creux de ton oreiller tu navigues vers cet idéal.

Le troupeau des errants… De ceux qui t’ont considéré avec mépris, des femmes qui t’ont quitté, des amis qui t’ont jugé trop vite, tous ceux là tout à coup se trouvent nez à nez avec toi-même.

Tu crois que ce désir effréné de réussite qui a tant de valeur à tes yeux sera la justification de tes erreurs, de ton passé.

Alors, dis tu, tu te pardonneras d’avoir pris ce chemin car lui seul pouvait te conduire jusqu’ici.

Comment cela doit arriver ?

Tu n’en sais rien…

Mais ça doit arriver.

Il ne peut qu’en être ainsi, sinon, comment vivre autrement.

Milena partie, c’est là seule chose qui te reste.

Tu n’as pas le temps.

Tu laisses de côté le petit, tu vois les choses en grand.

Au diable l’édition à compte d’auteur, les minables petites scènes Slams locales… Réussir.

Vivre de l’écriture…

Tu ne sais rien de ce monde et ta naïveté pour l’instant t’est bénéfique.

Tu ne réfléchis pas, tu écris vite et tu envoies tes manuscrits.

Chaque réponse est un coup de couteau, mais tu es fier, encore !

Publier.

Seule justification louable à tes yeux, seule valeur de réussite, seule rédemption possible.

C’est triste, j’ai de la peine, quand j’y repense : tu n’existes qu’à travers ça.

Au soir de tes renoncements tu ratures tout d’un geste brusque.

Tes textes te paraissent atroces, sanglants, empreints de tant de mièvrerie, tu voudrais renoncer.

Il est trop tard.

Tu te persuades qu’il suffirait d’un rien, d’un seul qui croit en toi, pour lancer tout ça à la face du monde.

Alors, seulement, tu pourras te lever, bomber le torse, t’exclamer fièrement :

_ Voilà ce que j’ai fait, voilà ce que je suis !

Mais pourquoi tant souffrir de ça, de cette reconnaissance, pourquoi vouloir à tout prix se venger ?

Je sais, maintenant.

Tu n’aimes en toi que l’écrivain et tu crois que c’est lui que les autres aimeront aussi.

Tu crois qu’en accouchant de lui, tu commenceras enfin à vivre.

Mais tu te trompes.

Tu te trompes tellement !

Milena aime en toi, celui que tu lui caches, l’être sensible et non la marionnette virile, elle aime que tu sois perdu, désorienté…

Tes amis, ton entourage… Tous, n’en ont rien à foutre de l’écrivain !

Mais tu ne le sais pas encore !

Tu lui cours après !

Tu crois sentir en toi tes émotions se diluer, ta vocation s’affermir, tu te forces à écrire pour te donner l’impression d’exister.

Tu as peur.

Peur du jugement des autres, peur que ces lignes laissent transparaître de manière trop évidente tes faiblesses.

Tu triches, tu mens, te donne le beau rôle.

Ta naïveté te sert de leitmotiv.

Tu ne sais pas combien éditer un bouquin est difficile, combien le milieu est nombriliste, je-m’en-foutiste, incroyablement méprisant.

Tu ne vas pas plus loin que ton petit monde.

Tu te racontes, persuadé de l’authenticité de ta parole.

Tu ne réfléchis pas en terme de public, tu n’écris pas pour plaire, ta seule échelle de valeur est l’émotion que te procurent tes propres textes.

Sans concessions, tu négliges toute contrainte pratique, présentation, mise en page, esthétisme du texte, tu t’en fous, tu es obnubilé seulement par le sens.

Les Maisons d’éditions…

Tu en choisis une dizaine sur Internet, les plus fameuses bien sûr.

Tu espères…

Oh combien persuadé que ce ne sont pas quelques fautes d’orthographe qui viendront freiner ton succès !

Les réponses.

Tu les acceptes stoïquement. Tu remets tout en chantier.

Mais elles te blessent, les réponses…

Tu te laisses influencer.

Au lieu de perfectionner tes livres tu les condamnes, les rejette tu cours ailleurs, t’éparpille, écris avec acharnement de nouvelles choses.

Aujourd’hui, tu sais, je me demande si une œuvre n’est pas bonne, du moment où elle dégoûte son auteur. Où à force de s’acharner dessus celui-ci n’y trouve plus aucun intérêt. Ce qui l’a séduit au départ lui devient banal tant il a ressassé, travestie, dompté, digéré, vomi.

Chaque ligne, chaque mot, chaque sonorité…

Tout ce qu’elle lui procurait de satisfaction s’est évanoui pour grossir les quelques défauts minimes.

Souffrance d’une œuvre enfantée pour rien…

Engouements soudains, déceptions brutales, et toutes ces heures que tu jettes dans un tiroir.

Il ne fallait pas que tu sois conscient de cela, à l’époque, c’est bien de ne pas réfléchir…

Tu écris.

C’est assommant d’être un jeune écrivain.

Tu brosses les idées des autres, écris à la manière de, n’arrive jamais vraiment à te détacher de ceux que tu as dévoré.

Tu effaces, rature, abandonne, repars, tu écris 50 pages pour rien.

Tu écris, toujours.

Peu t’importe le support, le sujet, tu pars de tes propres expériences, de ta vie, et ça te ramène sans cesse au passé.

Parfois ça te pèse horriblement de t’infliger à supporter ce sac de souvenirs.

Tu comptes les pages, te réjouis, et puis soudain, sans savoir pourquoi ! Tu as peur de relire, peur de la déception, de l’inutile, peur de te sentir trop mièvre ou stupide.

Tu écris.

Mais ce n’est pas encore ton métier.

Tu t’y forces, tu t’y obliges, tu te convaincs que sans cela tu ne serais personne.

Et c’est infiniment lent, ça ressemble à ta vie.

« Songes de Lune », « Ombres chinoises », « Ossatures », tu es fier d’être poète, d’identifier ta vie à celle de tes maîtres, de te sentir parfois un gagne misère.

Tu participes à des concours, tu sèmes tes œuvres aux quatre coins de l’Hexagone mais tu ne récoltes rien.

Alors tu craches sur la poésie.

Tu décides que ce n’est pas ton mode d’expression, en tout cas pas celui qui t’apportera la notoriété.

Tu te lances.

Comédies musicales, nouvelles, poèmes en prose, maisons d’éditions parisiennes, de province, concours nationaux, locaux, cafés littéraires, tu frappes à toutes les portes sans succès.

Tu te professionnalises, te renseigne auprès d’organismes de soutien, tu accordes une part importante à la forme, voilà que tu avances !

Tu n’es plus un petit écrivaillon qui gratte dans son coin ses sensations journalières, tu réfléchis en terme de public, de rentabilité, tu écris pour vivre.

Le journalisme.

Tu entres dans la vie active de la manière qui convient le mieux sur l’instant à tes aspirations profondes.

Le choix est là.

Au placard les valeurs, la morale, le bon samaritain, la haute idée que tu te fais de toi-même. Tu courbes l’échine, pour mieux te relever un jour, tu acceptes d’écrire sur tous les sujets, dans cette forme lapidaire et édulcorée qu’est l’article de presse local.

C’est un exercice de style, de la matière, de l’expérience et surtout un entraînement quotidien à l’écriture.

Voilà.

Tu prends confiance en toi, t’épanoui, toute idée de vengeance et de publication immédiate se dilue au gré des satisfactions quotidiennes.

Tu n’es plus impatient, tu te laisses aller dans le monde des vivants.

Tout remonte, et tu poses sur toute chose un regard différent…

Ton désir de réussite te semble à présent le seul fait de l’oisiveté de ta vie d’alors.

Le charme des premières fois…

Le premier article, la première interview d’un mec connu…

L’action est là !

Dès lors, ton idéal, lui, peut bien attendre.

Tu sens cela… Que ta quête d’identité n’était autre que la quête d’un statut social.

Simplement cela, rien d’autre, comme tout le monde.

Journaliste, ça te plait, te rassure, te convient socialement…

C’est drôle, ce que tisse l’esprit, les a priori qu’il confectionne, comme l’alcool t’empêche de vivre normalement, tu crois longtemps que le fait de ne pas être écrivain t’empêche de t’insérer dans la société, d’y assumer la fonction pour laquelle tu es fait.

Tu ne renonces pas.

Tu te rassures, après tout, ne vis-tu pas de l’écriture maintenant ? Ecrivain n’est pas un métier, en soi, mais un à côté qu’il faut nourrir d’une manière ou d’une autre.

D’une manière différente, bien sûr, mais demain !

Il faut être en contact permanent avec la vie pour l’alimenter !

Mais je ne fais pas de toi un exemple, tant d’écrivains choisissent des exemples pour en faire des généralités !

Je ne vois pas dans ton parcours ni un processus d’épanouissement, ni un voyage initiatique, je ne suis pas en quête d’une morale.

Ce n’est que le chemin d’un jeune-homme qui ne se connaît pas et qui apprend peu à peu ce qui le touche.

Trouver une place au plus près de celle après laquelle tu as longtemps couru, voilà, je me répète, je sais, mais là est l’essentiel pour avoir la confiance en soi nécessaire pour le reste.

Il est sans doute un âge où il faut vomir les engagements idéologiques pour se plonger dans l’action. Si l’on n’accepte pas de s’engager sur un chemin inconnu et boueux on n’ atteint jamais son but.

On se fait une idée des choses, mais l’on ne sait jamais où l’on va vraiment.

Le journal…

Tu apprends au gré des articles les bases que tu as toujours négligées. La concision, l’orthographe, la ponctuation et bordel, encore et encore de la matière, le monde en mouvement, aussi éloigné que possible de ton petit moi égocentrique.

Tu découvres littéralement le monde.

Celui des chefs d’entreprises, des associations militantes, de la culture et des artistes. Tu découvres le monde et tu n’en es pas rassasié. Celui des politiques et des cocktails mondains, celui des revendications, des ouvriers et des usines… Tu entre de plein pied dans le monde des humains en action.

Tu sors enfin de toi et de tes préoccupations.

Tu transposes la pensée de ceux qui vivent et ne savent l’écrire.

Les livres t’ont chanté que l’artiste est un être à part, plus sensible, plus noble, un être incompris, sombre de près et malheureux, en marge du système car trop clairvoyant…

Enfin ce genre de conneries…

Mais ce n’est pas vrai.

Garder le cap, travailler sans cesse, laisser mûrir, aller vers la vie.

Là laisser aller son chemin paisible, c’est plus facile à dire quand on se croit sur la bonne route.

Tu ne feras jamais jaillir, sur un coup de génie, l’œuvre parfaite !

Laisse ces croyances aux enfants.

Pourtant…

J’ai confiance en toi, je sais que tu construiras des livres qui te ressemblent, petit à petit, patiemment, au fil des heures, des erreurs, des refus, des conseils de tes amis, des travestissements multiples…

Tu les adapteras aux situations, n’aie jamais peur de remanier un texte !

De l’employer différemment de sa vocation initiale.

Aime ces bouts de papiers qui n’ont pas encore pour toi de sens et qui demain feront naître un ensemble cohérent.

Ecris toujours sans te soucier de la fin.

Aime les brouillons, ils sont les esquisses sans lesquelles les tableaux ne voient pas la lumière.


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