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Rencontre avec Richard Zimler pour "La quête de Sana"

Par Albrizzi

Habitué aux thrillers historiques (Le dernier Kabbaliste de Lisbonne et Le Gardien de l’Aube, prix Alberto Benveniste 2009), l'Américain Richard Zimler s’est mis en scène dans La quête de Sana, un roman noir et magique, à mi-chemin entre l'enquête policière et le thriller psychologique. Il y peint une amitié féminine tour à tour violente et douce, qui incarne très justement le dialogue passionné et meurtri qui prévaut entre les deux peuples nés sur la Terre Sainte. Un roman qui ne laissera personne indemne.



Dans La quête de Sana vous apparaissez sous votre vrai nom : alors fiction ou pas ?

Richard Zimler : Mon roman est un mélange des deux, certains événements sont tirés de ma propre vie, par exemple la préface. Je me suis réellement rendu à Perth en Australie. Ce voyage a duré 30 heures, j’étais perdu, désorienté et je me sentais déprimé. Lorsque je suis arrivé, j’étais incapable de dormir. Comme je le raconte au début du roman, cela était étrange. Les amitiés que j’ai nouées avec des écrivains ainsi qu’avec des danseurs d’une compagnie néerlandaise m’ont aidé à retrouver ma stabilité mentale. L’autre partie de mon livre qui est véridique concerne Paris. J’étais venu au Musée d’Histoire et du Judaïsme dans le Marais pour parler de mon premier livre Le Dernier Kabbaliste de Lisbonne ; c’est là que j’ai placé ma rencontre avec Helena. Les passages où j’évoque ma carrière de journaliste sont vrais également.

Vous reparlez des attentats de la rue des Rosiers d’août 1982… les avez-vous vécus personnellement ?

R. Z. : Quand Abu Nidal et ses sbires ont commis leur attaque terroriste contre le restaurant Jo Goldenberg, je faisais un stage au bureau de United Press à Paris, j’avais 26 ans. A cette occasion, j’ai interviewé plusieurs blessés à l’hôpital de l’Hôtel Dieu. Dans le roman, j’évoque un Américain dont la femme a été tuée dans l’attentat, j’ai parlé deux fois avec lui plusieurs heures. Leur fille de trois ans ne savait pas encore que sa mère était morte, il ne savait pas comment le lui annoncer. Il ressemblait à un fantôme dans les couloirs de l’hôpital. Il avait juste besoin de parler en anglais à quelqu’un. J’ai été très choqué et bouleversé en conversant avec lui : originaire de St Louis, il était venu à Paris pour faire des recherches. A l’époque, je me rappelle m’être fait réprimander par un journaliste de l’agence car je n’avais pas enregistré mes conversations. Je n’avais pas eu le bon réflexe, c’est là que j’ai compris que ce n’était pas un métier pour moi. En revanche, depuis cette date, je n’ai eu de cesse de vouloir écrire sur le terrorisme.

Le personnage de Sana existe-t-il ?

R. Z. : Non. Je l’ai inventée à partir de deux danseurs que j’ai rencontrés à Perth. Ils m’impressionnaient par leur façon de bouger et de marcher, très aérienne, élégante et relax. C’était la première fois que je rencontrais des danseurs professionnels, j’ai pu les observer pendant leurs répétitions, c’était très excitant. Aucun des danseurs de la troupe n’était cependant impliqué de près ou de loin dans une activité terroriste ! Tout ceci est de la pure fiction. Je ne me suis jamais senti en danger comme peut l’être mon double dans mon roman. Quand j’ai créé Sana, j’étais fascinée par elle, je voulais savoir toujours plus de choses sur son passé, ses haines, ses motivations, sa fragilité, pourquoi elle se suicide. J’ai réalisé qu’elle était palestinienne, qu’elle cachait son identité, et cela m’a naturellement amené à écrire sur Israël. Je suppose que j’avais envie de parler du conflit israélo-palestinien depuis longtemps, de l’injustice que représente l’installation des colons dans les territoires occupés. J’avais envie de montrer la complexité de cette région et de ce conflit. Montrer quelque chose de plus profond et de moins caricatural que ce que l’on en voit régulièrement dans les journaux.

Aviez-vous exactement la trame lorsque vous avez commencé à rédiger ou laissez-vous porter par votre inspiration au gré de l’écriture ?

R. Z. : Lorsque je commence, je sais plus ou moins ce que je vais dire, mais je n’en connais pas l’issue. Mon but était de décrire l’état dans lequel j’étais lors de mon voyage en Australie et de réfléchir à ma propre fragilité et donc à ma mort. Sana est apparue naturellement. Je dis souvent qu’un roman ressemble à la vie : nous savons ce que nous allons faire aujourd’hui et peut-être demain, mais en aucune manière ce que nous ferons dans plusieurs mois et a fortiori dans dix ans. Ce serait absurde de dire que le 13 octobre 2019, je serai en train de visiter Berlin et que j’irai voir le prochain film de Martin Scorsese avec des amis. Idem pour mes romans, ce serait absurde d’en prédire la suite dès la première page. Les personnages doivent s’autodéterminer, comme s’ils vivaient. Je découvre au fur et à mesure ce que le livre « veut » raconter.

Quel est le message latent de votre roman au-delà de la première grille de lecture ?

Helena et Sana m’ont permis d’écrire sur les rapports complexes entre les gens dont le destin est entremêlé bien que leur peuple soit en guerre. Je désirais aussi écrire sur la responsabilité du romancier. Sana me dit que mon livre Le Dernier Kabbaliste de Lisbonne a été important pour elle et ensuite elle se suicide… c’est lourd, même si elle ne le fait pas à cause de moi. Cependant, il existe bel et bien un lien entre les deux, elle a une révélation en le lisant. Quelle a été cette connexion ? C’est ce que je cherche dans la fiction…et c’est ce que j’aurais fait, si cela s’était vraiment passé.


Vous semblez avoir du mal à prendre de la distance avec vos personnages. Vivez-vous longtemps avec eux ?

J’aime Sana et Helena, bien qu’elles soient des personnages de fiction. J’apprécie la première pour son courage, son élégance et sa joie de vivre. Je l’admire parce qu’avec son corps, elle est capable de raconter des histoires aux gens et de les faire réagir. Je l’admire aussi pour sa capacité à se réinventer un passé, bien que cela me glace en même temps. Sa détermination abyssale est effrayante. J’apprécie Helena pour sa vulnérabilité et sa loyauté. Elle aime tellement Sana, sa mère et son père ! Elle est très tolérante et a une sagesse née de l’expérience.

Votre livre est construit comme un roman policier ? L’avez-vous pensé ainsi dès le départ ?

C’est autant un livre politique qu’un thriller psychologique. C’est aussi une histoire d’amitié extraordinaire. Je suis fasciné par les conséquences des conflits sur notre vie privée : en amitié, en amour et sur la solidarité. La plupart du temps, nous ne réfléchissons pas à cet impact, nous voyons les effets sur la vie politique et sociale, mais cela va plus loin ! Une amitié ne prend pas le même chemin dans un pays en paix ou en guerre. Nous avons besoin d’y réfléchir, sinon nous ne comprendrons jamais à quel point un conflit est néfaste et dans le cas traité par mon livre, nous ne comprendrons pas les tensions multiples qui sous-tendent les affrontements entre Israéliens et Palestiniens.

La quête de Sana, de Richard Zimler, traduit par Erika Abrams, Le Cherche-Midi, 360 p., 20 euros.


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