Magazine Beaux Arts

Autodafé

Publié le 25 décembre 2009 par Marc Lenot

6569237-lg1.1261607776.jpgJ’avais parlé il y a seize mois des photographies de Jean-Baptiste Avril sur le Bauhaus à Tel-Aviv et j’ai cité (dans un commentaire de ce même billet) sa décision de détruire par le feu son travail pour protester contre la manière dont il n’a pas été reconnu, en tout cas financièrement (à la louable exception des services culturels de l’Ambassade de France à Tel-Aviv). Cet autodafé volontaire aura lieu, sauf miracle, le 11 janvier prochain à Chalon sur Saône (symboliquement devant le Musée Niepce ?)

Miracle ? Quelqu’un à l’écoute ? Monsieur Mitterrand ? Monsieur Kaeppelin ? Monsieur Pinault ? Monsieur Banier ? C’est Noël …

Pierre Assouline a écrit un papier sur ce

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sujet dans Le Monde Magazine de samedi dernier et, avec son autorisation, je reprends son texte (en rajoutant quelques liens). Même si, pour ma part, je ne sois pas si convaincu que le lieu soit indifférent, conditionnant en partie le geste.

 ”  Tout autodafé est singulier mais celui qui se déroulera le 11 janvier 2010 à Chalon-sur-Saône le sera davantage encore. Car s’il arrive de voir anéantir une œuvre, il est rare que son propre créateur en soit le destructeur. Sauf douteux happening, ce qui n’est pas du tout le propos. Ce jour-là, le photographe français Jean-Baptiste Avril–Bodenheimer brûlera publiquement

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les négatifs originaux de la remarquable série en noir et blanc qu’il a consacrée à l’architecture Bauhaus de Tel-Aviv. Soit 17 planches de 36 poses chacune. De cette série, l’artiste ne veut conserver que 12 tirages barytés originaux de 60 x 90 cm, certaines images en double exemplaire, la plupart en exemplaire unique, qu’il mettra en vente. De cette aventure, il ne lui restera que des scans de ses images.   

   Ca s’est donc passé en Israël mais le photographe prévient d’emblée que cela pourrait se passer aussi bien n’importe où dans le monde en Europe ou aux Etats-Unis. Ce n’est pas le lieu qui importe mais le geste qui dénonce un principe. Il entend

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ainsi frapper les esprits par un acte symbolique. Il s’agit rien moins que d’alerter l’opinion sur des dérives qui sont devenus le lot quotidien des artistes : « Ce qui était à une époque les limites d’un système est devenu aujourd’hui un système et c’est partout pareil » dit-il.  Il avait travaillé un an à cette série, sous les encouragements. Une fois achevée, il l’exposa, sous les applaudissements. Que des photos d’une exigence et d’une rigueur remarquables par leur fidélité à une esthétique. Et après ? Rien. De toutes les institutions privées et publiques qui avaient suivi son travail d’auteur, aucune n’a rien trouvé à redire : toutes l’en ont félicité mais aucune ne l’a soutenu financièrement.

   Pour lui donner davantage de visibilité, il avait accepté de la publier dans la presse et de l’exposer gratuitement pendant des mois au Musée d’art moderne de Tel Aviv

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et au siège de la plus grande compagnie d’assurances israélienne. Jusqu’au jour où il s’aperçut qu’il était systématiquement vampirisé. De partout, on lui demandait son œuvre pour les cérémonies du centenaire de la ville, mais partout on assortissait la demande de la même réponse désolée : « Pas de budget… ». Les mêmes, qui auraient jugé scandaleux que leur salaire ne leur fût pas versé le dernier jour du mois, trouvaient normal que des artistes travaillent pour rien : c’est bien connu, ceux-ci se nourrissent de l’air du temps et s’enivrent de l’esprit de l’époque. Il n’y eut guère que le dynamique Institut Français de Tel-Aviv pour lui offrir un billet d’avion afin de lui permettre d’assister au vernissage de l’une de ses expositions.

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   Le 11 janvier 2010 donc à Chalon sur Saône, ça sentira le négatif brûlé. Un feu qui ne sera pas de joie sous l’objectif d’une caméra qui filmera une disparition et d’un huissier de justice qui l’attestera. Jean-Baptiste Avril-Bodenheimer ne s ’y est pas résolu de tout cœur ni par une recherche de la publicité ou par goût du tapage médiatique. Tout son travail depuis vingt ans le situe aux antipodes d’un tel travers. Il ne le fait pas pour lui, ni seulement pour les photographes, mais pour les créateurs. C’est le seul moyen à sa disposition pour rappeler à la société que l’oeuvre d’un artiste représente du travail, et que ce travail-là aussi se paie. L’avertissement est on ne peut plus opportun à l’heure du grand débat
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mondial sur la gratuité des œuvres de l’esprit dès lors qu’elles sont en ligne.

Cela dit, un autodafé rappelle toujours de mauvais souvenirs. Ceux des inquisiteurs du Moyen-Age précipitant blasphémateurs non repentis et convertis insincères au bûcher. Ceux des sections d’assaut hitlériennes brûlant les livres d’auteurs juifs, communistes ou antinazis. Le mot vient du portugais auto da fé, mais il faut naturellement chercher son étymologie dans le latin actus fidéi qui signifie « acte de foi ». Ce qui est exactement le cas.”

Pierre Assouline, Le Monde Magazine, 19 décembre 2009 


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