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Nirvana "Live at Reading"

Publié le 28 décembre 2009 par Jb

Nirvana Note : 9,5/10

Meilleurs titres : Aneurysm/ On A Plain/ Territorial Pissings

20 ans pile que Nirvana a commis son premier album, Bleach (1989). Il s’agit d’un album à certains égards rugueux et glauque, pas mal influencé (dans les compos comme dans la production) par le heavy metal, même si certains titres tracent déjà bien la voie : ainsi le désormais classique "About a Girl", le riff de "School" ou bien encore la reprise très enlevée de "Love Buzz".

En 1991 vient la consécration (et tout ce qui s’ensuivra) avec Nevermind et le tube interplanétaire et représentatif de ce qu’on va alors appeler le "grunge", le fameux "Smells Like Teen Spirit". Dès lors Kurt Cobain, Krist Novoselic et Dave Grohl (qui a rejoint le groupe en 90) deviennent à leur corps défendant les porte-parole d’une génération, celle des kids un peu paumés et désenchantés qui écoutent du rock alternatif. Cette identification forte va encore être accentuée par la personnalité de Kurt Cobain, torturé, peu sûr de lui, introverti, mal à l’aise dans son rôle d’étendard et d’icône. Un malentendu qui va aller crescendo alors que les ventes de Nevermind s’envolent, que le clip "Smells Like Teen Spirit" tourne en boucle sur MTV, que les tournées s’enchaînent et qu’au fond la puissance subversive de Nirvana se trouve de plus en plus diluée dans le marketing et la com. Sans parler de la romance calamiteuse avec Courtney Love !

Avec le recul, cette étiquette de "grunge" semble plus une coquille vide qu’un concept opératoire. Dans cette mouvance on classait alors des groupes comme Pearl Jam (dont Cobain s’est toujours démarqué), Soundgarden, Alice In Chains, Mudhoney, Hole… Puis on y fourrait aussi les Smashing Pumpkins plus tous les autres groupes nés ou popularisés via ce séisme provoqué par la notoriété soudaine de Nirvana.

En réalité les racines de ce renouveau du rock plongeaient tout autant dans les expérimentations audacieuses de groupes comme Sonic Youth (le côté noisy) que dans le souffle d’air frais provoqué par les Pixies (le côté punk-ludique), sans oublier toute la mouvance underground incarnée par des formations comme les Melvins ou Slint. Que dire aujourd’hui, sinon que la première moitié des années 90 a été un nouvel âge d’or pour le rock alternatif américain, à base de grosses guitares saturées, un rock qui se démarquait fortement de "l’école britannique" alors dominante outre-Manche (une pop beaucoup plus sucrée et précieuse).

Mais opposer les choses de façon aussi manichéenne est évidemment réducteur : d’ailleurs Kurt Cobain lui-même s’est, plus d’une fois, insurgé contre l’image qu’on renvoyait de son groupe et de ses chansons, alors qu’il se disait également inspiré par une veine plus pop (les Beatles, Bowie, les Vaselines) ou plus folk (Johnny Cash). En témoigne par exemple le Unplugged qui élargira considérablement l’audience du groupe et contribuera à faire prendre conscience (en même temps il fallait être un peu obtus ou réac pour ne pas l’avoir compris avant !) que Nirvana, ce n’est pas "que" du bruit.

La parution récente, en CD/DVD, du fameux concert donné dans le cadre du festival de Reading en août 1992 permet de faire resurgir, telle la madeleine proustienne, toute une époque et de cristalliser ces ambiguïtés. Nous sommes donc au moment où Nirvana est au sommet de la hype après la parution, moins d’un an auparavant, de Nevermind. Va également paraître, dans la foulée, Incesticide, réunion de faces B et d’inédits. Dans plus d’un an paraîtra In Utero et quelques titres de ce futur album ont déjà été composés.

Kurt Cobain se pose d’emblée en anti-héros, débarquant sur scène en fauteuil roulant et recouvert d’une blouse d’hôpital (qu’il gardera pendant tout le show). Il ne cherche pas vraiment à communiquer avec le public, donnant plutôt l’impression d’être dans son monde. Ce qui ne l’empêche pas de produire un spectacle d’une densité exceptionnelle, hurlant comme un beau diable et enchaînant les tubes tel un rouleau compresseur. Quel trio, à part Nirvana, est capable de faire autant de bruit ?

Tout le set de Nevermind y passe, plusieurs titres de Bleach et Incesticide (dont le fantastique "Aneurysm") également. Parmi les futurs morceaux qui apparaîtront sur In Utero, le public a droit à "Tourette’s" (jouée pour la première fois, dans une version un peu plus longue que celle qui sera finalement retenue sur l’album), "All Apologies" (les paroles ne sont pas encore toutes fixées) et "Dumb" (fidèle à celle qui sera immortalisée sur disque, les cordes en moins bien sûr). Et puis quelques reprises aussi, exercice dans lequel Nirvana n’était franchement pas mauvais !

Ce qui frappe, c’est ce mélange d’attitude complètement punk (la voix de Kurt Cobain part complètement en couille par moments, comme par exemple sur "Sliver", il en joue histoire d’en rajouter encore une couche ; ou bien il massacre volontairement l’intro puis le solo de "Teen Spirit" ; ou bien encore il désaccorde totalement sa guitare et continue de jouer sur "Love Buzz", alors que les deux autres essayent de jouer correctement le morceau) et de musicalité beaucoup plus pop ("About A Girl", "Polly", "Dumb" et finalement pas mal d’autres titres de Nevermind), au point qu’on a parfois l’impression d’une improbable fusion entre les Sex Pistols et les Beatles. Un soin apporté aux mélodies croisé avec une attitude limite nihiliste, en tous cas franchement insensible au qu’en dira-t-on.

La fin du concert est également un très grand moment : après avoir plié "Territorial Pissings", un de leurs titres les plus violents, les trois gars de Seattle partent en happening qui vire à la performance : destruction des instruments (y compris la batterie) s’étalant sur plusieurs minutes, pastiche du solo hendrixien de l’hymne américain, tout cela évidemment sur fond de larsens. Aujourd’hui plus d’un groupe aurait mauvaise conscience à flinguer ainsi le matériel (crise oblige), à l’époque pourtant on sent bien que ce geste veut encore vaguement dire quelque chose et qu’il n’est pas simplement folklorique.

Au fond c’est cet aspect-là qui émeut le plus en visionnant le live à Reading : le côté "authentique". Même si la machine commerciale s’est déjà mise en route, le groupe joue comme si tout ça n’existait pas. Il ne se prend pas au sérieux, il livre un spectacle total, honnête, intègre. Il y a aussi ce type qui danse sur scène n’importe comment pendant tout le concert, peu importe, ça fait partie du truc. Il y a enfin la façon dont le live lui-même est filmé, mis en scène : quasiment aucun plan sur le public (alors que maintenant, il faut sans cesse montrer des gens hystériques), pas beaucoup d’effets de caméras, pas de travellings, pas beaucoup d’effets de lumière non plus. On est très loin des DVD musicaux de Muse par exemple, à l’esthétique MTV ! Ce côté quasiment amateur renvoie à une époque où le rock indépendant naissant ne se prenait pas trop la tête, ne se préoccupait pas plus de son image et de sa rentabilité que de la musique elle-même.

C’est tout cela qui, en filigrane, apparaît dans le live à Reading, tout cela qui devrait sans aucun problème séduire la nouvelle génération amatrice de rock et faire crever de nostalgie l’autre génération, celle des trentenaires dont je suis, qui se rappelleront que Nevermind explosait alors qu’on était au lycée, que cet album n’était que le début d’une vague de créativité exceptionnelle, laquelle après quelques années finirait par pas mal se tarir. Alors bien sûr le rock c’est comme l’économie : c’est cyclique, il y a des hauts et des bas. Toujours est-il que Nirvana, on le savait déjà mais ce DVD vient le rappeler, c’était le haut de ce cycle du haut, ils restent aujourd’hui la référence du rock des années 90, ils continuent d’inspirer beaucoup de formations qui ne leur arrivent pas à la cheville, sans eux rien n’aurait sans doute été pareil. On se prend à rêver de ce qu’aurait pu être la suite de leur carrière si, malheureusement, Kurt Cobain n’avait pas fini, pour des raisons à mon avis intimes et personnelles (même si c’est facile de mettre ça sur le dos du "système"), par se faire sauter la tête un beau jour d’avril 1994.


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