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De Volpaia à Radda (5)

Publié le 05 novembre 2007 par Argoul

Nous reprenons la route dans les bois humides du matin. Il a dû pleuvoir la semaine précédente car les chemins forestiers sont creusés d’ornières boueuses entre lesquelles nos chaussures doivent louvoyer. Le soleil pâle éclaire les branches de pins, comme les feuilles de châtaigniers et de chênes encore sur les branches. Celles qui sont à terre, mêlées de bogues éclatées d’où surgissent les petites fesses lisses et luisantes des marrons, forment un tapis odorant aux odeurs de foin d’enfance. Des coups de feu éclatent, bien près à notre goût. C’est une horde de chasseurs, tous déguisés en Rambo avec l’excès italien, vestes camouflées sur gros ventres, fusils-pénis démesurés à double gland pour gicler plus loin. Ils paraissent un peu ridicules, ces Tartarin parés pour une battue de grands fauves alors que ne subsistent que quelques sangliers prudents et des biches apeurées. Voilà les machos dans leurs gamineries, chacun en rajoutant sur son voisin dans la « virilité » et la dureté apparente. Nous passons notre chemin.

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Le village fortifié de Volpaia dresse ses ruelles resserrées entre les maisons-tours. Nous nous posons sur la minuscule place où s’érige une fontaine, à la terrasse de l’unique café-restaurant du village. Les autres prennent leur capuccino traditionnel, et moi un verre de chianti classico du pays même, au pied du château devenu viticole. Le vin rouge a la saveur habituelle de vin jeune assez fort en alcool propre à la région. Le village est très calme, engourdi en ce mercredi. Passe un ouvrier, nonchalant, accordé au rythme du village où l’on regarde le raisin et les olives pousser une grande part de l’année. Il porte les cheveux noirs frisés, jean avachi, le torse large moulé dans un tee-shirt qu’il a fendu sous les bras et dont il a ôté les manches selon la mode des mauvais garçons américains. Il est fier de son apparence malgré le plâtre qui constelle ses vêtements et il jette un regard de velours aux étrangères en short assises à la terrasse. Selon Denis, les Italiens du nord prennent grand soin de leur apparence. Chaque village a son église, son café et… son coiffeur. Vêtements, produits de soins, bijoux, les Italiens se veulent beaux, « tirés à quatre épingles ».

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Nous descendons la colline parmi les vignes couleurs d’automne. En face de nous, au loin, se profile sur la crête suivante le village de Radda, sa tour et ses cyprès. Il ne s’agit que d’une ombre brumeuse sur fond pastel du ciel. C’est loin. Nous devons y être pour le déjeuner. Soupirs parmi les filles : encore un effort à faire, une côte à grimper. Ah, vivement le capuccino ! Nous descendons dans le vallon, gorgé d’eau en son creux, où pousse une profusion de plantes sauvages ; nous grimpons l’autre versant par le bois, suivant une minuscule sente de chevreuils. La route, plus sage, serpente en larges virages, mais nous préférons la nature, n’est-ce pas ? Je crois deviner les envies qui ruminent dans certaines têtes : la route, c’est moins joli mais aussi moins fatiguant.

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Aussi, c’est égrené au fil des dernières centaines de mètres, que nous arrivons au village. Nous nous installons dans le jardin public ombragé, autour d’un bassin d’eau verdâtre, tandis que Denis va assurer les courses pour le pique-nique qui va suivre. Plus loin, de petits enfants jouent, en chemise. Les Italiens ont peu d’enfants mais les portent aux nues par tradition et tout jardin public de la région se trouve doté d’un toboggan et d’un complexe de cubes et d’échelles où grimper et jouer à se faire peur.

La salade du midi tourne toujours autour de la tomate, à laquelle est adjointe cette fois oignons doux et concombre, olives noires et maïs. A côté, la mortadelle est odorante, savoureuse par contraste avec le pain consistant sec, sentant le froment et à peine salé. Le peccorino est âpre à souhait. Quant au vin, il reste égal à lui-même alors que Denis, exprès pour essayer, a choisi cette fois les bouteilles les moins chères. La Villalonga, toujours expansive, nous déclare que « c’est la meilleure salade qu’elle ait mangé ». Au café d’en face, qui côtoie le cinéma du village, nous prenons un café lungho et même une glace. Il y a tant de parfums, par exemple yaourt-mangue-et-noisette, ou des compositions à l’italienne comme cette amarena au coulis de griottes que je savoure.

L’hôtel est à deux pas, une pension de famille du vieux village, sise dans une vaste demeure à la façade à trois pans, dans la rue montant vers l’église. Nous y posons nos sacs.

L’après-midi est une randonnée en boucle vers la chapelle San Giusto in Salcio. Saint-Juste des Saules est ainsi nommé en raison d’une source du vallon, réputée autrefois pour ses vertus médicinales, vite devenues « miraculeuses » dans l’imagination des hommes. L’édifice est roman, avec des bases de l’an 1018. L’intérieur est vide, hormis la Madonna col Bambino, peinte au Quattrocento, et un grand Christ pendu au-dessus de l’autel, sculpté dans un tronc de tilleul. Nous avons accédé à l’endroit par les vignes d’un domaine dont le propriétaire est courtier en bourse à Milan. Puis par un chemin « hors piste » emprunté seulement par les randonneurs du circuit, deux ou trois fois dans l’année. Il glisse près du gué du ruisseau et est rempli de ronces et d’herbes folles le reste du parcours. Assis sur les bancs, dans l’édifice de pierres, Denis nous explique la différence entre roman et gothique florentin. Le premier classique, civique, aux lignes architecturales très horizontales, droites, conservatrices et sûres d’elles-mêmes ; le second tendant vers le baroque, voire le romantique, aux lignes d’architectures verticales, profuses, lyriques et aspirant le regard vers le ciel. Il doit répéter deux fois tant le silence est épais. Ce groupe apparaît vraiment peu réceptif à la culture. Les profs et les comptables ne veulent pas se prendre la tête, les saxonnes ne pensent qu’aux sucreries, quant aux autres, elles se taisent. Il fait frais dans la chapelle, humide, et il est d’ailleurs temps de rentrer.

Le chemin qui raccourcit la route passe dans le bois au fond du vallon. Les feuilles se sont mises à la mode de l’automne, tout en or et fauve. L’humidité y est dense d’autant plus que le soleil a décliné. Je marche en avant avec Claire. Elle me parle de la course, sport dans lequel elle réussit bien en raison de ses longues jambes, doublant « même les garçons – jusqu’à l’an dernier ». Son sac, mal adapté ou mal réglé, lui donne mal à l’épaule gauche. Je lui redresse comme je l’aurais fait au Gamin. Elle n’est pas la seule randonneuse d’occasion à ne savoir par quel bout prendre un sac : Céline, pâle, potelée et lymphatique, est dans le même cas. Claire est critique, avec cette spontanéité et ce regard aigu qui est le propre de la prime adolescence, si rafraîchissante sur les êtres et sur les choses. Aux abords du village jouent au ballon deux jeunes garçons d’une dizaine d’années. Le premier est un petit gros « sans intérêt » ; le second, plus réservé, est le plus beau « mais pas musclé », dit-elle.

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Nous prenons possession de nos chambres pour attendre le dîner. Ce sont des chambres doubles, antiques mais pittoresques. J’ai la chance, ce soir, d’en avoir une pour moi seul, Denis qui partage usuellement la même se débrouillant par ailleurs. Le sol est de tommettes rouges, le plafond aux poutres apparentes, les murs chaulés, la porte en vieux bois, le mobilier rustique, jusqu’à la reproduction de la Vierge au Jésus et de Jean-Baptiste en icône au-dessus du lit « matrimonial ». La grande maison traditionnelle est labyrinthique, sur plusieurs niveaux. Une grande part est réservée aux hôtes ; plusieurs chambres donnent dans un salon vieillot, décoré de photos de famille dont un bambin minuscule sur une grosse moto (encore un symbole de cette aspiration macho du coin). La famille fait aussi agence de voyage, change de devises et restaurant dans un rez-de-chaussée aménagé à cet effet ! La vigne et l’olive ne suffisent plus aujourd’hui à faire vivre ; le tourisme est une industrie à exploiter et la famille entière s’y est mise. Ce dynamisme industrieux me plaît.

Entre la tombée de la nuit qui marque notre retour, vers 17h, et le dîner prévu vers 19h30, chacun fait ce qu’il veut. J’ai le temps pour la douche, la lecture et tutti quanti. Le tour du village est vite fait, les antiquaires vite fermés. A ce rythme, le seul livre que j’ai emporté sera vite épuisé. Il n’est pas très intéressant, mal composé et partant dans tous les sens, mais pour une fois pas américain. C’est un thriller moderne dont peu importe le titre. J’en retiens cette citation : « la transparence est l’arme préférée des tyrans, l’opacité la riposte des libres. » Je l’applique instinctivement aux relations de groupe, où l’on se retrouve comme ici pour une semaine, sans se connaître et où, une fois la randonnée finie, nous ne nous reverrons sans doute jamais.

La soirée est très arrosée, nous descendons cinq litres de vin rouge à quinze, plus trois litres de vino santo, ce vin blanc sucré de dessert dans lequel on trempe un biscuit sec aux amandes. La Villalonga, toujours fatiguée, a préféré ne pas marcher cet après-midi, cherchant « des cuillers » chez les quelques boutiques d’antiquités du village. Elle se déchaîne ce soir, où elle ne laisse pas sa part de vin. Pour accompagner ces libations, nous sont servies des penne à l’ail et à la tomate, un rôti de porc aux herbes et pommes de terre frites, enfin du pannetone. Bourrées, les filles tombent dans le graveleux et Denis dans le macho. Toutes les filles sont encore – je ne sais pourquoi – raides dingues de Leonardo di Caprio, originaire de cette région, je crois. Denis se prend au jeu et s’engage à « leur montrer » de loin sa maison. Nous sortons donc dans le soir bien tombé pour un tour digestif du « circuit médiéval » recommandé par l’office de tourisme du village. Il désigne vaguement, au loin sur la colline, une lumière solitaire et sans valeur. Nul n’y croit. C’est un prêté pour un rendu, mesdames. C’est le soir d’Halloween et nous croisons « un petit Oussama », selon la Villalonga, tout cela parce que le gamin s’était déguisé d’une serviette de toilette aux carreaux rouges et blancs arafatiens sur la tête. Les rares gosses de huit à douze ans s’en vont en bande, de porte à porte, mendier des bonbons. « Trick or treat », donnez ou soyez maudits. La grande bataille des dieux celtiques a été revue par le marketing anglosaxon pour faire marcher le commerce dans cette période creuse.

We walk along vines, visiting villages from Volpaia to Radda, north of Firenze. In the medieval village of Radda, the women of our group want to discover the “house of Leonardo di Caprio� and Denis, our young guide, has to make up a story about it. An indefinite light in the night could be this famous house. Why not? Italian wine is giving love for everything.


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