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Conneries à Bangkok !

Publié le 03 janvier 2010 par Didier54 @Partages
Conneries à Bangkok !Quand on règne par l'opinion, a-t-on besoin d'un autre empire ?
En méditant cette phrase de Rivarol, Emmanuel écrasa son cigare à même la moquette, d'un geste où le dédain affiché ne mégotait pas avec l'agressivité.
Le chauffeur n'avait pas bougé un cil, indiquant simplement la sortie. Quelle différence entre une porte de voiture et une porte de chambre d'hôtel ? Faut toujours l'ouvrir, et la fermer, bien sûr. Emmanuel, demain, serait dans une autre suite. Café avalé, debout, une main sur une hanche, il regardait par une fenêtre renvoyant l'image éclairée d'une ville plus morte qu'endormie.
Il s'était coupé en se rasant. Ca lui gâchait un peu les jambes. Comme un pressentiment. Il n'aimait pas les journées qui commençaient mal.
Dans la voiture, le bouquin était resté en place. D'un geste brusque, il s'en saisit. Le bouquin prit sur lui et le lui rendit bien, coup pour coup.
Philippe : Tu aurais déifié les hommes, si tu ne les méprisais. Lorenzo : Je ne les méprise point, je les connais. Je suis très persuadé qu'il y en a très peu de méchants, beaucoup de lâches, et un grand nombre d'indifférents.
Il est con ce Alfred de Musset, maugréa Emmanuel. Z'avaient que ça à faire, ces intellos. Réfléchir à des trucs pareils ! Conneries !
Ca n'allait décidément pas, aujourd'hui.
Il pensa à Cristèle, elle tenait à son accent grave qui semblait avoir déteint sur son caractère à moins que ce ne soit l'habit qui ait fait le moine. Il était encore tôt, bien tôt, elle dormait du sommeil du juste à l'autre bout du monde puisque sa vie professionnelle, un peu de fuite aussi, l'avait mené là. Elle était restée à la maison. De toutes façons, elle avait toujours eu ce privilège sur lui. Dormait. Il en était longtemps resté jaloux. 5 h du matin et en route vers le bureau. Elle en France, lui à Bangkok. Conneries ! Ça ne collait pas, dans ce pays, d'être de mauvais poil. Le chauffeur fixait par moments le rétroviseur. Ses sourcils pouvaient prendre si besoin un air de point d'interrogation. Mais il y a des jours d'où ne sortent aucune réponse. Emmanuel lui jetait juste son oeil torve, ajustant sa cravate, feignant d'oublier le livre. Le reprenant. Nouvelle décharge.
Je ne reconnais plus mes souvenirs. Yves Thériault, cette fois.
S'y mettent tous ou quoi ? se demanda Emmanuel. La voiture était garée. Le chauffeur l'avait conduit jusqu'à l'ascenseur. S'en était reparti sitôt la porte fermée. Sa démarche avait brusquement changé. Elle avait gagné en légéreté. Emmanuel était loin de s'en douter. 74ème étage. Couloir. A droite. A gauche. Couloir. Son bureau. Sukyana, là, comme d'habitude, tasse dans la main, sourire. Il se saisit du café sans un regard pour elle et lança sa malette. Main sur la hanche, devant la fenêtre.
Il se mit à avoir peur. Chercha des yeux le bouquin. L'avait laissé dans la voiture.
Le chauffeur étalait ses longues jambes à travers la vitre grande ouverte. A cette heure-ci, il ne faisait pas encore trop lourd. Il pouvait se le permettre. Le téléphone sonna. Il regarda le numéro. Décrocha.
Oui madame... Oui... Je pense que ça vient bon... Oui... Le livre était une bonne idée madame... Je le remets page 117, entendu. Au revoir madame.
Il le feuilleta. Il ne comprenait rien à tout ça. Il exécutait. Parfois, c'est plus simple.
Texte publié sur le blog de Claudiogène
le dimanche 13 décembre 2009
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