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Guy Môquet, détrompez-vous ?

Publié le 25 octobre 2007 par Valérie Bernard

medium_GuyMok_ZoomExt.jpgGuy Môquet, comme je vous le disais dans mon post de dimanche soir, ça a toujours été d’abord pour moi un quartier, le mauvais 17e comme disent parfois les agents immobiliers, de l’autre côté de l’avenue de Clichy.
Guy Môquet, la station de métro juste après La Fourche, un nom diabolique pour signifier que vous avez pris un métro bleu, pour aller là-bas de l’autre côté dans l’autre monde, direction Saint-Denis.
C’est ce que je pensais enfant quand j’entendais la voix rappeler la consigne et que je voyais les gens rester à quai pour reprendre un métro jaune.
Guy Môquet, aujourd’hui, c’est le nom de la station où je descends tous les mercredis chercher miss star Ac’ à son école catho sous contrat.
Grâce à ma semaine de 4 jours, ou plutôt à mes 40 heures en 4 jours, j’ai la joie, le bonheur, l’immense privilège de venir chercher l’ainée des Blondes les mercredis matins.
Ce mercredi là, n’était pas comme les autres : pas de pub sur les murs, mais son visage en bleu marine et blanc, un nouvel éclairage auquel les stations « orientales » de la ligne 13 n’ont d’ordinaire pas droit.

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Les passagers dans les wagons ont tous écarquillés leurs yeux quand les portes se sont ouvertes : on est à Varenne ou à Guy Môquet ? Le texte de la lettre en 4 x 3, quelques vers du poème d’Aragon, des gerbes de fleurs à côté du mémorial.
35 ans de ligne 13, sans compter mes voyages pré-nataux, pour qu’enfin on s’intéresse à une de nos stations… Le 22 octobre 2007 restera donc à jamais gravé dans les mémoires.
Si Guy Môquet pouvait accélérer le dédoublement de la ligne 13 et faire que les trajets arrêtent de ressembler parfois à des convois d’un autre âge, alors là je dis chapeau la Résistance, et je me demande vraiment pourquoi personne n’a pensé plus tôt à faire sa fête à Guy.

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Ce qui m’a vraiment décidé à écrire ce post, sachant que depuis 1 semaine, tout le monde s’est lâché sur cette histoire de lettre, et que donc presque tout a été dit et redit, c’est le contraste visuel entre le panneau déroulant « détrompez-vous » et la guirlande de tract à la sortie du métro.

Sans oublier, la chef de station en grande conversation avec une collègue :
- « alors, t’as eu qui finalement ? »
- « Seulement Marie-Georges, pas de ministre ».
- « Marie-Georges ??? »
- « Ben, oui, Marie-Georges Buffet la chef du parti communiste. »
- Ah, d’accord. Acquiesce la collègue avec la tête de quelqu’un qui n’a toujours pas compris, mais qui ne veux surtout pas le montrer…

Miss Star AC’, vu qu’elle est en primaire, n’a pas eu droit à sa lecture, mais de toute façon, ça fait longtemps qu’elle sait qui est Guy Môquet. La « cabane décorée avec les photos » l’avait intriguée, mais aussi occupée depuis longtemps en attendant son métro.
C’est d’ailleurs devant le mémorial qu’elle a tenu la première fois à me montrer qu’elle savait lire en attachés le fac similé de la lettre, tout en admirant les pleins et les déliés de Guy, qui c’était sûr n’avait pas dû écrire « avec un stylo Winx ».
Les premières fois, ce qui avait interpellé Miss Star Ac’, c’est l’âge de Guy :
- «  17 ans, tu es sûre, maman, on ne fait pas la guerre quand on est au lycée.
- Tu crois que plus tard on la lira encore la lettre ? Comme ça je pourrai leur dire que moi je la connais l’histoire et que tous les soirs pour rentrer de l’école, je prends son métro.
- Ben, ce n’est pas sûr, parce que les hommes politiques se disputent pour savoir si c’est bien ou pas de la lire cette lettre.
- Ah bon ? »

La société du spectacle pour certains, la récupération politique pour d’autres, le devoir de mémoire encore.
Pour une jeune fille de 8 ans, en tout cas, c’est réaliser que la guerre, l’Histoire, peut être faite par des gens comme vous et nous. C’est aussi le ton de la vidéo diffusée sur France Télévisions :


La Lettre de Guy Moquet
envoyé par Lyricis
Et si c’était un homme de gauche qui avait demandé la lecture de cette lettre ?
Rappelons, comme l’écrit Le Figaro.fr, que cette journée de commémoration ne devait pas obligatoirement se résumer à Guy môquet. Dès le 30 août, Xavier Darcos avait voulu mettre en avant son « respect » de la liberté pédagogique des enseignants en proposant un corpus de textes venant s'ajouter au mot d'adieu du jeune militant communiste à sa famille.
Sur la thématique « de l'esprit de résistance de la jeunesse contre l'oppression », le ministre avait choisi quatre lettres poignantes de résistants, des poèmes et des textes.
Hubert Tison, secrétaire national de l'Association des professeurs d'histoire et géographie, apprécie le procédé fédérateur. « En rassemblant des textes magnifiques de jeunes résistants gaullistes, chrétiens et communistes, on permet à chaque enseignant d'y puiser à sa guise », estime cet enseignant.
Malgré tout, beaucoup d'enseignants ont continué à manifester leurs réticences. Le Snes, principal syndicat enseignant (classé à gauche), appelle à ne pas lire la lettre, estimant qu'on ne peut « fonder l'enseignement sur le recours à l'émotion, ni obéir à une prescription du président venant perturber la progression pédagogique ».
Autre son de cloche du côté du NouvelObs.com, Benamou, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, s'est déclaré "scandalisé" par la polémique. "C'est comme si on avait contesté l'entrée de Jean Moulin au Panthéon ou la décision d'installer le 14 juillet. Bien sûr que la politique fait des incursions dans la mémoire et c'est normal", a-t-il expliqué.
La surprise viendra en fait du côté gauche de la gauche.
La secrétaire nationale du PCF Marie-George Buffet a appelé dimanche à lire la lettre de Guy Môquet comme un "hommage à la Résistance", mais aussi comme une forme de "contestation de la politique qui est actuellement menée dans notre pays".
Marie-Georges sait-elle que ses camarades, élus municipaux et/ou militants de Saint-Ouen font acte de résistance lorsqu’ils persistent à résider dans ce qu'ils appelaient encore fièrement "little RDA", mais qu’ils envoient leurs enfants au métro Guy Môquet à l’école privée catho, depuis plusieurs générations ?
L’enseignement catholique privé, serait-il le seul à pouvoir offrir rigueur et chance d’ascenseur social quand, celui des écoles ZEP de Saint-Ouen est bloqué et que personne ne veut prendre l’escalier ? Ni donner les moyens de réparer l’ascenseur.
Même chose pour les courses chez le fromager, la boucherie charolaise la seule à proposer rôti de porc et autres tournedos.
Les lignes du clientélisme électoral de gauche (avec la complicité de la droite qui a créé le 9-3 en 1965 et gardé les riches) vont-elles bientôt bouger et bouleverser les limites du système de l’autre côté du périf’ ?
C’est ce que semble dire Marianne.fr : « le PC a mal à ses Bobos… ses banlieues rouges virent vers le rose ».
Marianne ne peux pas l’écrire, mais les cocos, obliger de « se renier » en retirant leurs enfants du système scolaire local, ne sont-ils pas eux-même entrain de virer de bord ?
Je revois encore cette employée communale m’expliquer pourquoi finalement elle a voté Bayrou, pour ne pas trahir totalement Marie-Georges aux présidentielles et se convaincre que, non ses combats ne sont pas vains, mais que oui, il ne suffit pas qu’une seule classe sociale à l’école pour donner toutes ses chances à ses enfants… et faire perdurer le commerce local ;-))
Décidemment Guy Môquet, n’a pas fini d’être un symbole
.
Celui de la jeunesse qui s’engage bien sûr, mais aussi de la différence entre théorie et pratique, communautarisme et humanisme.
Finalement, on reviendrait presque à mon premier article de 2005 « bobos, cocos, même combat ? «
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Si vous avez encore de la colère, et/ou de l’humour à partager, je vous invite à découvrir « Guy Môquet au Fouquet’s », le pamphlet de Pierre-Louis Basse.
Je ne suis pas d’accord avec tout, toutefois, Pierre-Louis comme a son habitude, nous livre une écriture brute et sincère, qui fait réfléchir sur la « société du spectacle », la récupération de l’émotion : des sans papiers à Guy et ses 26 camarades, en passant par les tests ADN, les ouvrières grévistes. Parce que comme il aime  à le dire, l’actu, l’histoire, les émotions ne sont pas des figurines Panini que l’on colle dans un coin en attendant la prochaine mode qui enterra la précédente.
© rédactionnel ZoraLaRousse93
Webographie
Le Figaro.fr, 15 oct 07 : Polémique autour de la lettre de Guy Môquet.
Le Monde.fr, 19 oct 07 : La lecture de la lettre de Guy Môquet divise les enseignants.
Le Figaro.fr, 20 oct 07 : Henri Guaino ravive la polémique sur Guy Môquet.
Europe1.fr : Réécouter en podscast, la mangifique émission "faites comme chez vous de Pierre-Louis Basse", dimanche 21 octobre, consacrée au 27 de Châteaubriant.
JDD.fr, 21 oct 07 : Guy Môquet, la lettre polémique 

L’Express.fr, 22 oct 07 : Lettre de Guy Môquet, Xavier Darcos chahuté.
NouvelObs.com, 23 oct 07 : Lecture de la lettre de Guy Môquet : la polémique se poursuit.
AFP-Google actualités, 25 oct 07 : Le gouvernement veut pérenniser la journée Guy Môquet... sous une autre forme
Marianne.fr 29 oct 07 : En banlieue, le PS se prépare à larguer le PC.
France Télévisions a mobilisé ses antennes pour rendre hommage à Guy Môquet en proposant « La Lettre », un film de 2 minutes 30 réalisé par François Hanss et Catherine Lopez avec Jean-Baptiste Maunier, le héros des Choristes.
« France 2 et France 3 le diffuseront plusieurs fois par jour entre les 20 et 22 octobre », détaille Patrick Charles, directeur des opérations exceptionnelles et des événements de France Télévisions. « Les journaux en parleront, les animateurs de France 4 liront la lettre, Yves Calvi lui consacrera un numéro de C dans l'air sur France 5, le 22 octobre et France 2 proposera le documentaire, Résistants de la première heure le 25 octobre.
Guy Môquet au Fouquet’s, note de l’éditeur sur Fnac.com
Pierre-Louis Basse dénonce avec style et élégance l’opération de marketing politique – véritable hold-up de la mémoire - auquel se livre Nicolas Sarkozy avec la figure rimbaldienne de Guy Môquet, la sarkoïsation des esprits et les nouveaux conformismes contemporains.
Pierre-Louis Basse est né en 1958. Écrivain, journaliste, il est notamment l’auteur de Ma ligne 13, de Triangle d’or et de Guy Môquet, une enfance fusillée chez Stock.
Extrait :
Du Fouquet’s à Malte, de la Rolex qui semble vous fasciner à ces vacances somptuaires sur la côte est des États-Unis, vos ennemis politiques s’en sont donné à cœur joie. Ils parlent d’erreur, de frime, de vulgarité. Ils ont tort. Vous êtes à l’heure. Vous êtes le Président de notre temps. Le manager de notre époque. Le héros de Closer et Voici. Pour les plus naïfs de la bande, je leur conseille d’aller prendre l’air du côté de votre ville de cœur : Neuilly. J’ai marché là aussi, cherché désespérément quelques rues dignes de Guy Môquet. Guy, celui qui ne manquera pas de vous tirer quelques larmes supplémentaires pendant vos commémorations. Pas une rue, pas une fontaine, pas un parc portant trace de son sacrifice. Vous n’êtes pas en reste avec Louis-Philippe, le duc d’Orléans, Mac-Mahon, ou, plus significatif encore, ce bon Monsieur Thiers qui, pour une trace de poudre sur les mains des enfants des communards, les emmenait à l’abattoir.
Mais tout cela n’a guère d’importance : le faux dès lors qu’il pénètre durablement la société, devient le vrai d’aujourd’hui et demain. C’est la raison pour laquelle il vous fallait impérieusement en venir aux mains avec l’Histoire.
PL. Basse


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