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La bouffée d’oxygène

Publié le 06 novembre 2007 par Jlhuss
[réédition]

Il a bataillé pour la France un peu partout… Sur sa puissante poitrine pleine de cicatrices, de monstrueux gris-gris pendouillent au bout d’une ficelle crasseuse. Si vous lui demandez : “qu’est-ce que c’est? Il répond : “des femmes!”

Il habite maintenant les rues auxerroises. Les mois d’hiver sont longs et pénibles pour lui; son immense “charpente” supporte de plus en plus difficilement les frimas. Tout le monde le connaît au moins de vue. Les pompiers sont excédés; les policiers aussi, l’hôpital souvent. Les années passent et il devient de plus en plus dépendant et revendicatif; plus il sent ses forces déclinées plus il est agressif. Il ne parle presque pas; il essaye de faire peur avec des rugissements et des mimiques quand on lui refuse.

Il est arrivé avec les pompiers dans un piteux état : “il fait la carpe…” Paralysé d’un côté, la bouche tordue; il n’émet plus que des borborygmes. Sa respiration est irrégulière, sa conscience voilée. Cette fois-ci, ce n’est pas le “Préfontaine”, c’est l’hémiplégie … avec la tension artérielle au plafond, le cÅ“ur sans rythme déterminé et l’encombrement respiratoire… Donnons-lui la bouffée d’oxygène… Dieu fera le reste… Le Couloir n’est pas le lieu des états d’âme, des questions prématurées. Assurons, ventilation, circulation, fonctions vitales. D’autres, plus savants, pèseront les chances, mettront en route des thérapeutiques plus sophistiquées s’ils le jugent utile et … Dieu fera le reste… Une petite traction sur la mandibule, quelques goulées d’oxygène au ballon : il passera Le Couloir.

Cinq ans plus tard, il était encore dans une chambre du “long séjour”. Il l’avait transformée en véritable bunker, brûlant moquettes et literies avec ses éternels mégots. Il refusait obstinément le café hospitalier, se faisant apporter par toute âme charitable du Nescafé en poudre, qu’il mélangeait à l’eau chaude dans une vieille boîte de conserve : “c’est mon jus! nom de Dieu!”

Lors de son décès, tout arrive, l’administration a fait refaire entièrement la “carrée”! Tel est le prix d’une “bouffée d’oxygène”

Certains comptables nous engageraient à ne plus le payer. Les hôpitaux, la santé, coûtent chers. Beaucoup disent : “ça ne pourra pas longtemps continuer à ce rythme” …

Ce n’est pas au médecin confronté à l’urgence de prendre sur lui de faire ou de ne pas faire au nom d’un équilibre économique. Cette responsabilité appartient au peuple et à ses représentants démocratiquement élus. Le médecin, citoyen comme les autres, participera au débat en d’autres lieux, s’exprimera publiquement s’il le souhaite, mais doit utiliser tous les moyens mis à sa disposition dans son exercice. Son devoir vis à vis de tout patient est de lui apporter les meilleurs soins possibles. Jamais il ne doit faire passer des soucis économiques ou personnels avant cette seule préoccupation. Si des économies sont à faire; elles peuvent se concevoir par une prise de conscience des patients eux-mêmes, ou par une diminution programmée et progressive de l’offre des moyens disponibles, mais pas par le médecin de son propre chef.

Tous “les pouvoirs”, souhaiteraient une caution pour de tels abandons et lancent des appels à la responsabilisation médicale. Certains confrères tombent dans le traquenard. Ils perdront ainsi la confiance du patient, sans pour autant gagner l’estime des “gestionnaires”.

Chacun doit être à son poste et remplir sa mission. Au diable les mélanges de compétences. Les gestionnaires de la santé gèrent en fonction des moyens alloués par la Nation et des choix budgétaires décidés démocratiquement. Ils gèrent au nom de leurs mandants divers et variés. Les médecins dans leur exercice soignent avec tous les moyens dont ils disposent effectivement; ils ont le devoir de signaler les “manques”.

Faudrait-il refuser la bouffée d’oxygène, quand dans le même temps certains perfusent des nourrissons faméliques et condamnés pour les besoins d’images du 20h! Il n’y a pas la médecine pour les médias et une autre. 

En acceptant de devenir “gestionnaire” le médecin renie un peu son serment.


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