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Revers de fortune

Par Choupanenette

Le 7 novembre 1974, l'atmosphère joyeuse qui règne dans un pub à la mode du quartier de Belgravia, à Londres, est brusquement troublée par l'irruption d'une jeune femme la tête ensanglantée, qui hurle : "Il a tué la gouvernante". Au bord de l'hystérie, Véronica, comtesse de Lucan, peut dire, avant de s'évanouir : "Les enfants sont à l'intérieur... avec lui".
Quand la police se présente chez les Lucan, le sous-sol est plongé dans l'obscurité. L'escalier de la cuisine et la cuisine elle-même portent des traces de sang. Sandra Rivett, la bonne d'enfants, a été tuée à coups de matraque et son corps est enfermé dans un sac postal. Dans une pièce voisine, on trouve un bout de tuyau de plomb entouré d'un ruban adhésif. Le lendemain matin, de son lit d'hôpital, la comtesse explique que celui qu'elle a accusé la veille est son mari, Richard John Bingham, septième comte de Lucan, dont elle vit séparée. Elle ajoute qu'il a probablement tué Sandra Rivett, par erreur. Puis, s'apercevant de sa méprise, il s'est caché et a attendu que sa femme descende. Il a essayé de la tuer, affirme-t-elle, mais elle s'est débattue et a pu lui échapper. Vaincu, il s'est enfui dans la nuit.
Au moment où lady Lucan est arrivé au pub, lord Lucan se présente au volant d'une voiture de location chez des amis de Uckfield, Sussex, à 70 km de là. Après avoir bu un double scotch et retrouvé ses esprits, il écrit plusieurs lettres au sujet de cette "nuit cauchemardesque marqué par la plus invraisemblable des méprises". Ce soir-là, s'étant mis en tête de reprendre ses trois enfants, Lucan fait le guet devant chez sa femme : il espère trouver la faille qui lui permettra d'arriver à ses fins. C'est alors qu'il aperçoit par le vasistas de la cuisine un intrus entrain de lutter avec une femme qu'il prend pour Veronica. Ouvrant à l'aide de son trousseau de clefs, il se précipite au secours de la malheureuse. Mais en voulant neutraliser son agresseur, il glisse sur une flaque de sang. Le meurtrier en profite pour s'enfuir. "Les apparences sont contre moi, et je sait que Veronica va m'imputer le crime. J'ai intérêt à me tenir tranquille quelque temps", écrit-il. Après quoi, il part de chez ses amis en pleine nuit : on ne le reverra plus.
Le dimanche 10 novembre dans l'après-midi, la police retrouve la voiture de Lucan à Newhaven. Des taches de sang d'origine incertaine maculent les sièges et l'on découvre dans le coffre un autre bout de tuyau de plomb entouré d'adhésif. Le véhicule est garé là depuis le vendredi matin.Num_riser0001
La presse britannique s'empare aussitôt de l'affaire. L'histoire de cet aristocrate de trente-neuf ans impliqué dans un meurtre abominable ne manque certes pas de piquant. Lord Lucan se comporte comme son trisaïeul, qui lors de la bataille de Balaklava, pendant la guerre de Crimée, a donné l'ordre de la charge fatale à la brigade légère. Prisonnier du passé, Lucan mène une existence oisive, dilapidant sa fortune au jeu.
Mais la roue de la chance va tourner. Lorsque sa passion du jeu a fini par ruiner sa famille, il voit son mariage s'effriter et sa bonne étoile pâlir. Afin d'obtenir la garde de ses enfants, Lucan a vainement essayé de faire interner Veronica dans un hôpital psychiatrique. Après leur séparation, en 1973, il a intenté une action en justice qui n'a pas abouti davantage. Sombrant dans la mélancolie et l'alcoolisme, Lucan n'a cessé de déchoir.
Après le meurtre, la police épluche le carnet d'adresses de Lucan : elle interroge près de cent témoins qui tous se montrent extrêmement coopératifs. Le meurtre de Sandra Rivett ne donne lieu à aucun procès mais l'enquête conclut à la culpabilité de Lucan.
Chaque année, au mois de novembre, la police enregistre plusieurs dépositions concernant la disparition de l'aristocrate. Il aurait été vu en Afrique, au Brésil, en France et en Angleterre. Mais même ses plus fidèles amis doutent que Lucan ait pu supporter très longtemps une existence de paria. Sa crainte d'être jugé et condamné l'a probablement poussé à mettre fin à ses jours en se noyant au large de Newhaven.
Cependant, près de vingt ans plus tard, lady Lucan ne croit toujours pas à la mort de son mari.

L'image : Richard John Bingham, septième comte de Lucan (ici dans ses vêtemetns de cérémonie), fut surnommé l'"insaisissable comte". Il aurait assassiné la gouvernante des enfants, Sandra Rivett (sur l'image), avant de prendre la fuite.


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