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"QUI PERD SON REVE, SE PERD!"...DESTIN DES ABORIGENES D'AUSTRALIE(suite)

Publié le 17 janvier 2010 par Regardeloigne

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Onsignalé plus haut le talent etl'attention que les aborigènesportent aux différenciations de surface. Elle les conduit à examiner les sols afin de repérer les marques qui s'y impriment et à en décrypter la signification : quelle personne, quel animal est passé par ici ? Quand ? et pour aller dans quelle direction ? Pour le chasseur, hommes et animaux se déplacent en laissant des traces discontinues : Evoquer les traces, c’est se référer à ce qui subsiste d’un passé. Ces survivances, ces vestiges, ces ruines, peuvent témoigner d’un climat, d’un événement, d’une filiation, d’une activité humaine, d’une culture. Ces traces ont toujours intéressé les hommes dans la mesure où elles matérialisent ce qui a disparu, lui donnent une image, permettent de se le représenter, de l’étudier, de se souvenir, de commémorer, de montrer une évolution en remontant le temps.

Mais la trace n’est pas qu’archéologique : on peut inférer de cet indice la présence/absence d’un agent « virtuel »  en mouvement, animal, humain (ou être du Rêve) dont le chasseur peut justement reconstituer l’itinéraire. Dans la pensée aborigène (mais aussi la notre) certains lieux sont ainsi , pour paraphraser, Alfred Gell chargé « d’agency ». Pour les Aborigènes, la terre est couverte d'un système de signes, telles les empreintes que pistent les chasseurs et ils se déplacent non pas dans un paysage, mais dans un domaine saturé de significations

  


  

Les traces de pas des ancêtres ont ainsi laissé de véritables empreintes sur le paysage, dans les chemins qu'ils tracèrent sur le sol ou sur les gravures présentes sur les plateaux rocheux ou sur les rocs.

On peut relire sur ce thème, les articles concernant a .gell ou celui consacré à C.guinzburg et la « méthode indiciaire ».

Depuis notre départ d'Ernabella Jabiaba n'avait cessé de désirer vivement nous conduire au lieu de sa nais­sance, les trous de rochers de Niunya, et, sachant que c'est a ce lieu qu'appartient la femme mythique Kutunga, la mère des esprits d'enfants, notre désir de nous y rendre n'était pas moindre que le sien de nous y mener.

Arrivés à Niunya, nous découvrîmes qu'il n'y avait pas seulement les trous de rochers mais tout le pays d'alen­tour à se lier avec les légendes de Kutunga et de son amoureux importun, Milbili, l'Homme-Lézard.

Milbili avait poursuivi Kutunga un certain temps et avait fini par la rattraper et abuser d'elle aux trous de rochers de Niunya où, avant qu'il ne l'emmenât vers le nord-ouest, elle avait donné naissance à des quadru­plés dont deux étaient normaux mais les deux autres contrefaits. Ces enfants sont maintenant de grosses pierres en forme d'oeuf et deux d'entre elles renferment une réserve inépuisable d'esprits d'enfants pleins de santé, les petits yulanya aux cheveux d'argent, tandis que les deux autres, dont les contours sont moins réguliers, sont la source de tous les enfants mal venus. CHP. MOUNTFORD.op.cite

  


 


A l’inverse,les aborigènes accompagnent leurs narrations, qu'elles concernent les faits et gestes des humains ordinaires ou d'êtres prodigieux, de tracés dans le sable.

Ces dessins sont organisés suivant un enchaînement de scènes effacées l'une après l'autre, au fur et à mesure du déroulement de l'histoire. Ils sont composés principalement d'éléments non figuratifs — cercles, demi-cercles, lignes — destinés à décrire, non la morphologie des éléments auxquels ils se réfèrent, mais leur inscription dans le paysage. Les »itinéraires animaux et les humains par exemple renverrontaux lignes, leurs étapes, aux cercles, tandis que les demi-cercles correspondent généralement aux tracés laissés dans le sable par des individus assis, jambes écartées.

Ce marquage des surfaces renvoie au façonnage du relief, rattaché à l'ensemencement des sols par les êtres fondateurs. Ceux-ci surgissent du sous-sol terrestre où ils retournent après avoir sillonné le territoire en tout sens. En se déplaçant ainsi d'un lieu à un autre, ils contribuent à la formation du paysage. Le long des chemins qu'ils parcourent, ils laissent une multitude d'« esprits-enfants », agents spirituels et éternels de l'incarnation des divers êtres vivants.

Les esprits-enfants qui émanent des êtres prodigieux, comme la poussière des rochers, sont vus comme participant à l'animation des éléments contenus sous forme léthargique, « ensommeillée », dans les sols. Il en est ainsi de tous les êtres vivants. La matière embryon­naire immergée dans la poche fœtale des matrices fécondes est, à l'origine, informe et immobile. Elle doit, pour acquérir son indivi­dualité, être pénétrée par un des esprits-enfants survolant le terri­toire qui va induire sa mise en forme et son animation. La manifes­tation d'un esprit-enfant humain correspondra par exemple à l'apparition des pre­miers mouvements ressentis par une femme enceinte.

  

Les premiers voyageurs qui avaient parcouru l'Australie signalèrent que les aborigènes n'établis­saient pas de lien entre le sexe et la conception, preuve supplémentaire, s'il en était besoin, de leur irrémédiable mentalité « primitive ».

Observation dénuée de tout fondement, bien entendu. Un homme savait fort bien qui était son père. Mais venait s'ajouter une sorte de paternité parallèle qui liait son âme à un point particulier du paysage.

On croyait que chaque ancêtre, lorsqu'il chanta son chemin à travers le pays, avait semé derrière lui, sur ses empreintes, des « cellules de vie » ou des « enfants-esprits ».

« Une sorte de sperme musical », commenta Arkady, faisant rire tout le monde, même Flynn cette fois-ci.

Le chant était supposé reposer sur le sol en une chaîne ininterrompue de couplets, un pour chaque paire de pas, chacun formé à partir des noms qu'il « éjectait » en marchant.

« Un nom pour la droite et un nom pour la gauche ?

— Oui », dit Flynn.

L'image qu'il fallait avoir à l'esprit était celle d'une femme déjà enceinte vaquant à ses activités quotidiennes de cueillette. C'est lorsqu'elle posait le pied sur un couplet que l'« enfant-esprit » sautait soudain sur elle, atteignait son vagin par l'ongle de l'orteil ou bien par un cal ouvert dans son pied et parvenait ainsi dans son utérus en imprégnant le fœtus de son chant.

« Le premier coup de pied de l'enfant, dit-il, cor­respond au moment de cette "conception spirituelle". »

La future mère marquait alors l'endroit et se pré­cipitait chercher les anciens. C'étaient eux qui inter­prétaient la configuration du lieu et déterminaient quel était l'ancêtre qui était passé par là et quelles étaient les strophes qui constitueraient la propriété personnelle de l'enfant. Ils lui réservaient alors un « lieu de conception » coïncidant avec le plus proche point de repère sur l'itinéraire chanté. BRUCE CHATWIN OP.CITE

  


 

Les cérémonies aborigènes dont les rites d'initiation ne sont qu'une partie, sont des illustrations dramatiques, par la musique et le mime, des mythes de la tribu

. Leurs buts sont multiples : instruire les jeunes gens par le moyen de l’initiation; contrôler les forces complexes de la nature par des pratiques chamaniques et procurer ainsi la nourriture et l'eau voulues ; représenter les mythes plus simples qui expliquent la création des plantes, des animaux, du ciel et de la terre. Tandis que la majorité des chants qui dramatisent les histoires légendaires sont la propriété personnelle des aborigènes en rapport au territoire auquel le chant se rapporte, ceux des rites d'initiation sont connus et chantes par tous les membres de plein exercice de la tribu.

  


Du fait que les aborigènes ne possèdent pas de système d'écriture, on pourrait penser que leurs chants et leurs mélo­pées sont nécessairement très courts et n'ont aucun rapport entre eux.

Or, s'il en va effectivement ainsi pour la majeure partie des corroborées profanes, ce n'est pas le cas pour les « hymnes » et les « psaumes » sacrés et secrets. Que la mélopée seule ne comporte que quatre à cinq mots — type de texte bref — ou tout un développement détaillé — type de texte long —, elle s'intègre, en général, dans une suite de chants ou cycle. Les cycles de ce genre ont un fondement historico-mythologique.Ils relatent les voyages, les aventures per­sonnelles, les faits et gestes des héros, des ancêtres, des fonda­teurs, des explorateurs, et même des « déesses ». De telles pérégrinationsduraientfort longtemps:aussi leschants et les mélopées sont-ils souvent interminables.Ils doivent faire suivre les « chemins » et les itinéraires et indiquer tout ce qui revêt une signification particulière, car le présent est '-• sans cesse lié au passé et déterminé par lui. Dès lors, dans •chaque région, que ce soit dans les monts Petermann du Centre, dans le secteur nord-est du lac Eyre, dans les Kimberleys ou dans la Terre d'Arnhem, on chante toute l'épopée « locale » ou le cycle entier en des circonstances bien précises. Ceux qui dans chaque clan ou chaque patrie tribale président au culte font interpréter les passages du cycle qui intéressent   leur territoire, mais toute l'assistance peut joindre sa voix au chœur. acune leur propre cycle qui raconte ce qui est arrivé au héros quand il traversa la zone côtière du nord au sud et revint par la suite à son point de départ. Les mélopées et les chants s'enchaînent donc suivant un déroulement de faits où la géo­graphie et la chronologie fournissent des repères qui facilitent grandement la mémorisation. Les indigènes discutent sou-j vent du cours des événements passés, afin que les mélopées retracent ceux-ci dans l'ordre exact où ils se sont produits. A.pelkin op.cite.



Il existe par conséquent un véritable lien d’affiliation entre un aborigène et ces emplacements. Séparer l’un des autres équivaut à rompre un lien ombilical qui compromet à la fois la vie des hommes et la permanence du monde. Le nomadisme des Aborigènes n'est pas une errance, mais une construction sans cesse réactualisée de réseaux de mémoire et d'alliance inscrits dans des lieux. On pourrait ainsi concevoir leur société comme le résultat d'une dialectique entre la différenciation des groupes locaux qui rassemblent des individus autour de sites distincts et une sociabilité translocale qui permet à chacun de se constituer un réseau de liens propres (parents, alliés, corésidents temporaires ou partenaires rituels) et ainsi de s'identifier au cours du temps à des groupes locaux différents.


Ce que les Blancs avaient l'habitude d'appeler le walkabout, le « voyage à travers le pays », était, en pratique, une sorte de bourse-télégraphe de brousse, qui permettait de faire circuler des mes­sages entre des gens qui ne se voyaient jamais et qui pouvaient mutuellement ignorer leur existence.

« Ce commerce, dit-il, n'était pas un commerce comme vous autres Européens l'entendez, pas un Processus d'achat et de vente pour le profit ! Notre commerce était toujours symétrique

En général, les aborigènes considéraient toutes les « marchandises » comme potentiellement mau­vaises; ils pensaient qu'elles nuiraient à leurs pos­sesseurs à moins d'être sans cesse en mouvement. Il n'était pas nécessaire que les « marchandises » soient comestibles ou utiles. Les gens n'aimaient rien tant que troquer des choses inutiles — ou des choses qu'ils pouvaient se procurer eux-mêmes, des plumes, des objets sacrés, des ceintures de cheveux humains.

Le commerce des marchandises, poursuivit-il, ne devrait être considéré que comme les comptoirs d'échange d'un jeu gigantesque dans lequel tout le continent serait la table de jeu et ses habitants les joueurs. Les « marchandises » étaient les pions ser­vant à exprimer des intentions : poursuivre l'échange, renouveler la rencontre, fixer des fron­tières, procéder à des mariages réciproques, chan­ter, danser, partager les ressources ou les idées.

Une coquille pouvait ainsi passer de main en main, de la mer de Timor à la Grande Baie austra­lienne, le long des « routes » transmises depuis le début des temps. Ces « routes » allaient d'un point d'eau intarissable à un autre. Ces étapes devenaient, à leur tour, des centres cérémoniels où les hommes de différentes tribus se rassemblaient. bruce chatwin.le chant des pistes.BIBLIO.

Cette dialectique temporelleest elle-même un jeu avec l’intemporel puisque fondée par ce que les peuples du désert appellent « Dreaming », Rêve, et qu'ils définissent comme la Loi des ancêtres, représentation atemporelle et perma­nente de la société construite en référence au paysage ; en effet les formes topographiques, considérées comme la création du Dreaming, sont immuables, alors que les hommes s'identifiant à ces divers sites consti­tuent des groupes mobiles qui se redéfinissent dans le temps. Les lieux sont à la fois des signes pour interpréter les événements mythiques du Dreaming et des codes pour situer les événements contemporains. Ils font du pays un sys­tème d'histoires sans cesse « retravaillées » et « recréées. Ainsi Le concept ngurra illustre cette atemporalisation du temporel ; il signifie à la fois le « pays » en tant qu'ensemble de sites fixes et le « camp » mobile dont les corésidents varient à chaque déplacement .

  


En contraignant les Aborigènes à la sédentarisation forcée, à la déportation et à la séparation des générations, les administrateurs ont cherché à casser leur logique d'occupation territoriale et la fabrica­tion même du tissu social. Certains groupes ne s'en sont pas remis et souffrent encore quatre ou cinq générations après le traumatisme initial. Mais d'autres groupes, ou parfois des individus, ont réussi a se relever en reconstruisant mentalement ces parcours de mémori­sation spatiale, points d'ancrage pour continuer à vivre et créer.

Les Pitjantjatjara mentionnésdans l’étude deF.Viesner, Dynamiques territoriales des Aborigènes pitjantjatjara (Australie-Méridionale) vivent aujourd’hui en communautés. (Entité administrative qui réunit des familles en un site de peuplement très localisé). Celui-ci a toutes les apparences d’un village avec maisons en tôle et en briques, bâtiments administratifs, dispensaire et magasin d’approvisionnement (store). Ces communautés sont gérées par un conseil dirigé par un chairman. Les membres du conseil disposent de droits de propriété sur le territoire de la communauté . Le Pitjantjatjara Land Rights Act, voté en 1981, stipulait qu’une organisation privée rassemblant des Pitjantjatjara devait administrer le territoire de selon les volontés et les intérêts des propriétaires aborigènes traditionnels nguraritja. Propriétaire n’a cependantpas notre sens de possédantl’espacemais garde le sens d’espace domestique des nomades. la dialectique des « lieux » précédemment évoqueva se révéler précieuse pour l’adaptation :

«  nigur signifie en pitjantjatjara « appartenant à un campement, à un lieu » etdoitdonc être rapproché de la notion de foyer car le campement est le lieu où s’allume le feu domestique. Le nguraritja est par conséquent celui ou celle qui est « chez soi » dans un lieu déterminé. 

  


 On l’aura compris, l’objectif de l’État d’Australie-Méridionale est de constituer une enclave semi-autonome qui fonctionne comme un site d’expérimentation juridique et sociale. Pour prendre possession de leur territoire les Pitjantjatjara doivent adopter un modèle d’organisation radicalement différent de celui que leur tradition a produit. Cette obligation annihile tout espoir de « remonter » le cours de l’histoire et de faire table rase de la cohabitation avec les missionnaires et les éleveurs. Il est à noter que très peu de Pitjantjatjara veulent ce retour au passé pré-européen. Leurs efforts d’adaptation leur ont permis d’élaborer une nouvelle organisation sociale communautaire qui autorise le maintien de la culture cérémonielle et a mis un terme à la précarité alimentaire. Aujourd’hui, ce n’est qu’à l’occasion de conflits que l’on évoque le retour au modèle ancien. En effet, l’organisation actuelle des Pitjantjatjara les oblige à avoir recours à des conciliations et des mesures compensatoires lorsque deux groupes ou personnes s’affrontent. Certains aimeraient pouvoir redevenir des putingka nyinapaï, « ceux qui résident dans le bush », afin de reprendre les anciennes habitudes de la warnmalla (la vendetta). La présence d’une force de police aborigène prévient autant que faire se peut d’éventuels différends. Là encore, la nouvelle territorialisation garantit une sorte de paix sociale.

Bien que les relocalisations saisonnières aient été abandonnées au profit de la création de communautés, il ne s’est pas opéré de sédentarisation définitive, et la construction d’habitations n’a pas empêché les Pitjantjatjara de garder une certaine mobilité. Nous avons d’ailleurs choisi de parler de phénomènes de fixation plutôt que de sédentarisation. Car, comme le disent les Aborigènes : « Une maison, c’est bien. Tu peux y mettre ce que tu veux et la fermer à clé. Après, tu peux partir où tu veux ! »

Cette permanence de la culture pitjantjatjara s’observe de façon encore plus évidente quand vient le temps des cérémonies d’initiation. Les routes sont alors bloquées par des gardiens pitjantjatjara qui stoppent toute circulation sur le territoire. Les rares Blancs sont confinés dans leurs habitations et n’en sortent qu’à la clôture des cérémonies.

La réorganisation territoriale des Pitjantjatjara n’a donc pas compromis les fondements de leur identité culturelle. Elle leur a permis d’acquérir une identité australienne prenant en compte leur qualité de peuple indigène et a autorisé le contrôle des contacts avec le monde occidental. L’exemple pitjantjatjara nous montre que les Land Rights ont figuré un élément décisif dans la régulation des transformations FREDERIC VIESNER .op.cite

 


Dans le même ordre d’idées, il estévidemment difficile pourun descendant des Aborigènes déportés de légitimer sesdroits sur la terre où il a été déporté. En revanche, le fait de revenir vivre sur la terre de ses ancêtres, de se faire initier ou de réapprendre la langue sont autant de signes de sa légitimité existentielle reconnus par le groupe comme preuves du lien d’appartenance (et donc de « propriété ») par rapport à une terre d’origine ; Autrement dit, ceux qui se vivent comme « déracinés » peuvent se réenraciner à condition que la terre les accepte. Pour cela, il lui faut négocier avec les vivants et les esprits totémiques .

Enfin la reconquête du territoire et l’identification qui en résulte a pu s’accomplir de manière imprévue à partir des peintures de sable qui transposées dans des supports occidentaux(toiles,acryliques) ont donné naissance à un art désormais mondialement reconnu.

Les Pintupi étaient la dernière tribu « sauvage » à avoir été contactée dans le Grand Désert occidental et introduite à la civilisation blanche. Jusqu'à la fin des années 1950, ils avaient continué à pratiquer la chasse et la cueillette, nus dans les dunes, comme ils l'avaient fait pendant au moins dix mille ans.

C'étaient des gens insouciants et très ouverts d'esprit, qui ne connaissaient pas ces rudes rites d'initiation propres aux groupes plus sédentaires. Les hommes chassaient le kangourou et l'émeu. Les femmes cueillaient des graines, ramassaient des racines et tout ce qui pouvait se manger. En hiver ils s'abritaient derrière des pare-vent de spinifex ; et, même en pleine sécheresse, l'eau leur faisait rare­ment défaut. Une bonne paire de jambes était leur valeur la plus sûre et ils riaient sans cesse. Les quel­ques Blancs qui les visitèrent furent surpris de voir leurs nourrissons gras et en bonne santé.

Mais le gouvernement décréta que les hommes de l'âge de pierre devaient être sauvés... pour le Christ, si besoin était. En outre, on avait besoin du Grand Désert occidental pour y mener à bien des opéra­tions   minières,   éventuellement   des   essais nucléaires. Il fut donc ordonné d'embarquer les Pin­tupi dans des camions de l'armée et de les installer dans des lotissements du gouvernement. Nombre d'entre eux furent envoyés à Popanji, un camp situé à l'ouest d'Alice Springs, où ils moururent victimes d'épidémies, se prirent de querelle avec les hommes des autres tribus, se mirent à boire et à jouer du couteau.

Même en captivité, les mères pintupi, comme toutes les bonnes mères dans le monde, racontent à leurs enfants des histoires sur l'origine des ani­maux : Comment l'échidné a-t-il fait pour avoir des épines... Pourquoi l'émeu ne peut pas voler... Pour­quoi la corneille a un plumage d'un noir luisant... Et comme Kipling qui illustra les Histoires comme ça pour les enfants avec ses propres dessins, la mère aborigène trace des dessins dans le sable pour illus­trer les vagabondages des héros du Temps du Rêve. Elle raconte son récit dans un crépitement d'éclats de voix saccadés et, en même temps, marque sur le sol les « empreintes de pas » de l'ancêtre en faisant courir son index et son majeur, l'un après l'autre, en une double ligne pointûlée. Elle efface chaque scène avec la paume de la main et termine en traçant un grand cercle traversé d'un trait — un peu comme un Q majuscule.

Ce point indique le lieu où l'ancêtre, épuisé par les travaux de la création, est « retourné à l'inté­rieur ».

Les dessins sur le sable faits pour les enfants ne sont que des esquisses ou des « versions autorisées » des véritables dessins représentant les vrais ancêtres, lesquels ne sont réalisés que lors des céré­monies secrètes et ne doivent être vus que des ini­tiés. Néanmoins c'est grâce à ces esquisses que les jeunes apprennent à s'orienter sur leur terre, à en connaître la mythologie et les ressources.

Il y a quelques années, alors que la violence et l'ivrognerie menaçaient de devenir incontrôlables, un animateur blanc eut l'idée de fournir aux Pintupi du matériel de peinture artistique et de leur propo­ser de transposer leurs rêves sur la toile.

Il en naquit instantanément une école austra­lienne d'art abstrait.

BRUCE CHATWIN OP.CITE


Geoff BARDON et l'un des fondateurs de l'école de PUPUNYA


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