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Pierre Bergounioux, La mort de Brune

Par Alain Bagnoud

La mort du Maréchal Brune

On rapproche souvent Pierre Bergounioux de Pierre Michon. Même éditeur, même génération, même appartenance à l'extrême contemporain (voir ici et ici), même faculté à créer des symboles, à analyser un réel passé, à le prendre dans son épaisseur et l'attraper dans la densité d'une écriture.
Il y a des différences aussi. Bergounioux est plus sombre, plus obscur, alors qu'il y a toujours quelque chose de lumineux chez Michon, malgré tout. Si tous deux ont le culte de l'art, seule chose semble-t-il qui puisse s'opposer à la lourdeur et au non-sens du monde, chez Michon, celui-ci éclate et réussit, tandis que le désir de l'art chez Berounioux n'aboutit pas toujours, qu'il reste comme une voie de sauvetage convoitée mais impossible.
Ainsi dans La mort de Brune les deux artistes de la petite ville (Brive-la-Gaillarde). Le peintre, photographe pour gagner sa vie, qui exécute des paysages hors du temps, en épigone appliqué, finit par se pendre. Un autre, volailler, qui passe ses journées dans un mutisme sombre à saigner des poules et des chevreaux que sa femme et sa belle-mère vendront dans la boutique, est passionné d'art lyrique, s'arrange pour assister à des représentations à Paris au prix de nuits blanches et de fatigue, a une voix magnifique qu'il n'utilise qu'une fois par an aux fêtes de juin.
Autour d'eux, il y a la ville et l'enfance du narrateur enserré dans les devoirs et la vie provinciale de cet endroit figé. Les deux grands hommes ont été l'abbé Dubois, le premier ministre du Régent, et Brune, devenu maréchal sous l'Empire et tué dans la Terreur blanche qui suivit la deuxième Restauration. Et voici l'explication du titre.
L'écriture de Bergounioux, sourde, oppressante, dit bien cette tragédie de l'enfance prisonnière et tente de cerner l'indicible d'une angoisse par des scènes symboliques et des leitmotivs. Elle réussit à susciter en nous ce désespoir et ce refus du narrateur jeune qui refuse de toutes ses forces les lourdeurs à lui échues, qui souffre de cette

Pierre Bergnounioux
glaciation mise par le passé sur le présent, de ces obligations, de cet ennui, de ce manque d'horizon, et qui craint en voyant les adultes de finir comme eux: n'ont-ils pas été eux aussi des enfants pleins de frémissements et de désirs? Que s'est-il passé pour qu'ils oublient?
Et un élément de réponse: l'Histoire pèse de tout son poids sur les destinées individuelles et ce sont les Dubois et les Brune qui sont en partie responsables de l'étouffement que subissent les habitants de la ville. Voici la deuxième explication du titre: la mort de Brune, c'est aussi celle de cet étranglement, au moment final du livre, quand le jeune homme se libère.

Pierre Bergounioux, La mort de Brune, Gallimard Folio


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