Magazine Politique

Les réseaux sociaux de parti politique servent-ils à quelque chose ?

Publié le 21 janvier 2010 par Variae

Il y a un an, on faisait sensation en présentant un rapport sur l’utilisation d’Internet en général, et des réseaux sociaux en particulier par Barack Obama. Aujourd’hui, on en vient à se demander si un parti politique peut encore être un « key player » s’il ne dispose pas de son propre réseau social. Cette mode, née sous l’effet conjoint de l’obamania française et de l’immersion croissante de la population (et du personnel politique) dans le le web 2.0 (blogs, Facebook et autres Twitter), a d’abord touché des courants du PS (Espoir A Gauche et Besoin de Gauche), avant de triompher, en ce début 2010, au niveau des partis – Coopol pour le PS, Créateurs de possible pour l’UMP, et bientôt un réseau pour le Nouveau Centre aussi.

Les réseaux sociaux de parti politique servent-ils à quelque chose ?

Même si ces systèmes ne révolutionnent pas à proprement parler le militantisme, ou pas autant que leurs promoteurs le prétendent – en vérité, une grande part de leurs fonctions pouvaient déjà être assurées auparavant, mais de façon éclatée, par les e-mails, les outils en ligne collaboratifs type wiki ou agenda partagé et les sites Internet classiques – il est incontestable qu’ils mettent à la portée de tout un chacun des fonctionnalités simples et intuitives, clés en mains, permettant de faire de n’importe quel militant connecté à Internet un redoutable agent d’influence. Cela étant, la vraie révolution n’est pas l’apparition de réseaux sociaux officiels de parti, mais la naissance des réseaux sociaux eux-mêmes, et leur appropriation massive par la population (militante ou non). Au commencement était Facebook. Les réseaux de parti, et notamment celui que j’ai pu tester de manière approfondie depuis quelques semaines, la CooPol du PS, se contentent assez clairement de décalquer l’architecture de Facebook, en faisant quelques ajustements lexicaux ou techniques au passage. Je n’ai pas encore vu de fonctionnalité de la CooPol qui ne puisse être réalisée via Facebook. Et d’ailleurs, les militants et cadres PS utilisaient déjà fréquemment Facebook pour organiser campagnes et vie interne de parti. Alors la question se pose : quand on connaît le coût financier élevé de ces systèmes pour les partis, et si on émet l’hypothèse – probable – que les militants qui s’en saisiront le plus seront ceux qui sont déjà lourdement investis sur les réseaux sociaux généralistes, les réseaux sociaux de parti ne seraient-ils pas un effet de mode, un jouet dans l’air du temps, sans efficacité particulière ?

Précisons. Un réseau social a deux utilités principales en politique : premièrement diffuser de l’information, et deuxièmement organiser des groupes. La première fonction est d’autant plus utile que l’on touche un public large, et surtout un public à convaincre. Arroser d’informations ou d’argumentaires des personnes déjà acquises ou suffisamment informées ne sert à rien. La deuxième fonction peut déjà plus se satisfaire d’un public restreint et connu – par exemple, si on organise un rassemblement de militants déjà acquis – mais nécessite aussi parfois de brasser large – notamment si on veut inviter des personnes à un meeting de présentation d’un candidat ou d’un programme. Pour la première fonction surtout, mais pour la deuxième ensuite, il est à tous points de vue plus efficace d’être immergé dans un réseau social généraliste, où se croisent des populations très variées, que de se confiner au réseau d’un seul parti. Il est vrai que n’importe qui peut s’inscrire sur la CooPol, dans le cas du PS (militant, sympathisant, simple curieux). Mais qui fera la démarche de s’inscrire sur un réseau social propre au parti socialiste, à part des gens déjà très convaincus et/ou impliqués ? En communiquant sur la CooPol, on communique à la nébuleuse socialiste ; en diffusant la même information sur Facebook ou Twitter, on communique à toutes ses sphères d’amis et de relations, qui peuvent être très diverses, et qui ressemblent donc bien plus à la population réelle de notre pays.

Pourquoi, dès lors, les partis n’optent-ils pas plutôt pour une stratégie d’investissement massif des réseaux généralistes existants, en développant, comme le permet Facebook, des applications permettant de « greffer » des fonctions proprement politiques sur le réseau ? C’est d’ailleurs le choix qu’a fait Jean-Paul Huchon pour sa campagne en Ile de France, lançant cette semaine une application dédiée sur le réseau social n°1. Stratégie habile, sans doute beaucoup moins chère, et reportant sur Facebook toute une partie des frais de développement (un réseau aussi ambitieux que la CooPol, a contrario, aura probablement des coûts d’entretien et de mise à niveau lourds et réguliers pour le PS). Pourquoi ne pas avoir fait ce choix au niveau des partis ? Péché d’orgueil, course à l’armement entre droite et gauche, ou influence excessive sur les directions politiques – peu au fait de ces problématiques – de milieux geek et technophiles prêchant pour leur paroisse, voire pour leur propre business ?

Il y a au moins une bonne raison de défendre l’existence de réseaux de parti : la confidentialité des données et la maîtrise des fichiers. En déléguant toute l’infrastructure technique à Facebook, on aurait de fait abandonné toutes les données sensibles des adhérents au géant américain. Corollaire, j’ai constaté empiriquement que le fait que la CooPol soit un réseau social identifié et restreint a décidé un certain nombre de militants, rétifs à Facebook, à enfin faire le grand seau du web social. Sans compter que cette mise en place massive et nationale d’un outil informatique s’accompagne sur le terrain d’une vague inédite de réunions de formation technique pour les cadres et militants, ce qui pourrait bien, discrètement, faire enfin passer la majorité des adhérents du PS à l’ère de la politique assistée par les NTIC. Désirs d’Avenir et la campagne de Ségolène Royal en 2007 ont déjà vu des phénomènes de ce type, à une échelle moindre : c’est dans ce cadre que nombre de militants, par exemple, s’étaient mis à bloguer.

Il n’empêche : vu la similitude des deux types de réseau, réseau partidaire type CooPol, réseau généraliste type Facebook, ils vont naturellement entrer en concurrence, et on peut se demander sur quel équilibre d’usage cette tension va déboucher. Le temps des internautes n’est pas infini et un choix va devoir s’opérer, pour ceux – nombreux – qui sont à la fois sur les deux systèmes. Si les réseaux de parti se contentent de continuer à décalquer méthodiquement les fonctions des réseaux généralistes, ils risquent fort d’être en partie délaissés une fois la période de nouveauté et de curiosité passée (comme l’ont d’ailleurs été sur le web généraliste des réseaux concurrents de Facebook comme Friendfeed). Surtout que les réseaux généralistes permettent également de maintenir le contact avec ses amis, sa famille, ses collègues, et que l’on n’a pas forcément envie de limiter sa vie sociale sur le web à ses camarades de parti. Inversement, si les réseaux de parti imaginent des modalités innovantes et réellement originales, comme le système de troc de la Fraternité en action de Ségolène Royal, ils pourront trouver une niche intéressante, et peut-être même capable d’attirer des internautes au-delà de la sphère des sympathisants. Une autre piste serait de développer les possibilités d’interactions entre réseaux.

Dans tous les cas, la pire des choses, pour les partis, seraient de pousser leurs militants à s’enfermer sur leur réseau social interne ; une telle directive aurait pour effet paradoxal de les couper du « vrai web » (je n’ose dire du « web social d’en bas »), tout en leur donnant le sentiment d’être interconnectés comme jamais.

Romain Pigenel


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Variae 35066 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine