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Serge Gainsbourg (vie héroïque) de Joann Sfar

Publié le 22 janvier 2010 par Stéphane Kahn

photos-culture-cinema-serge-gainsbourg-vie-heroique-en-imag.jpgLe film que Joann Sfar consacre à Serge Gainsbourg n’est pas un mauvais film, c’est surtout un film ambitieux mais raté, qui, ne sachant vraiment sur quel pied danser, se condamne d’emblée à l’échec. À la vision du film, on demeure pourtant assez surpris qu’un tel projet ait pu se monter (qui plus est s’agissant d’un premier film) tant les intentions de Sfar, excellentes mais diffuses, ne suffisent jamais à contaminer complètement un scénario, qui, dans sa deuxième partie principalement, finit par tomber dans l’écueil de l’illustration vaine, de l’imitation, et du postiche pour tout horizon de jeu.

C’est vraiment dommage car la première heure, pourtant bourrée de défauts, emporte plutôt l’adhésion : c’est l’enfance pendant la guerre, l’apparition du double enraciné dans la propagande anti-juive, la jeunesse bohème de Lucien Ginsburg, apprenti-peintre et pianiste de bar, les premières chansons écrites pour d’autres (la savoureuse séquence avec les Frères Jacques, la belle intuition fantastique juste avant la rencontre avec la féline Juliette Greco). Durant cette première heure, Sfar, le dessinateur de BD, est bel et bien là, se permettant des scènes si gonflées qu’on leur pardonne des maladresses passagères (Yolande Moreau en Frehel, était-ce vraiment nécessaire ?). Durant cette première heure, Eric Elmosnino est, c’est vrai, épatant. C’est que les années 50 et le début des années 60 de Gainsbourg sont, pour nous, moins documentées, que les images filmées en sont plus rares que pour les deux décennies suivantes. Du coup, le comédien a du champ pour jouer, on se moque de la ressemblance, encore plus de la vraisemblance. Le film s’apparente alors à une rêverie où les éléments biographiques avérés, les mensonges et la fantaisie totale se mêlent. La fiction s’en porte d’autant mieux… Peut-être Sfar n’aurait-il pas dû filmer le Gainsbourg d’après… Ou peut-être aurait-il dû s’affranchir de la chronologie, en rester à un assemblage impressionniste…

Las ! Dès lors que le film doit devenir plus raccord avec le personnage public, les archives audiovisuelles et la mythologie afférente, il s’enlise. À la moitié du film, les maigres articulations narratives entre les époques deviennent mécaniques, voyantes et incombent surtout à la succession métronomique des égéries (France Gall, Brigitte Bardot, Jane Birkin puis Bambou), plus jamais à la musique, à l’itinéraire de l’artiste. Dans le récit, le chanteur cède clairement la place au séducteur et le parcours musical passe au second plan. Pourquoi pas, c’est un parti pris, mais comme le film veut aussi remplir le cahier des charges jusque dans ses marges, il se fait catalogue servile, petit précis de fétiches, boulevard, surtout, pour les courtes performances d’actrices succombant sous le poids des clichés. Laetitia Casta et Lucy Gordon viennent singer leur modèle et ce n’est vraiment pas très heureux (palme de l'embarras face à Laetitia Casta ne réussissant à créer la moindre distance par rapport à un modèle si archétypal – BB – que la moindre des choses eût été de le malmener plutôt que lui servir la soupe).

Dans la deuxième heure de Gainsbourg (vie héroïque), l’absente de marque, c’est la musique. On ne cesse de l’entendre, mais on ne la comprend jamais. On est bien loin des jolies intuitions du début où Sfar filmait un duo imaginaire entre Boris Vian chantant Je bois et Gainsbourg chantant Intoxicated Man en dépit de tout bon sens chronologique. Je t’aime moi non plus est réduite à un sketch pour Chabrol qui cachetonne, on fait l’impasse totale sur Histoire de Melody Nelson, sur le cinéma de Gainsbourg et il ressort de ceci une sorte d’affadissement assez regrettable puisque gommer cela c’est aussi nier les propositions les plus provocantes du chanteur… Passé 1966, les chansons deviennent juste des signes de reconnaissance, les marqueurs du temps qui passent, mais jamais ne seront évoqués ces moments où Gainsbourg est passé de la chanson à la pop, de la pop au reggae, ou du reggae au funk… On ne demandait surtout pas au film d’être didactique, mais il gomme si vite les années séparant Chez les Yéyés des Sucettes qu’il semble en permanence effleurer son sujet. Ainsi en va-t-il de la piste passionnante de la Lolita dévoyée, topoï gainsbourien en diable expédiée en une séquence hilarante mais définitivement trop courte pour convaincre vraiment (on se demande d’ailleurs ce qu’en pense France Gall…). Le plus raté peut-être c’est aussi de voir soudain Gainsbourg en Jamaïque et que cela soit imposé comme une donnée que l’on doit accepter d’emblée, qui ne sera jamais questionnée. Il est évident que Sfar, à ce moment-là, ne sait comment traiter l’irruption du reggae dans son récit et dans le cours de la vie de son personnage, que tout ce qui l’intéresse  au fond (et c'est légitime) c’est d’en arriver à l’enregistrement de La Marseillaise, séquence qui lui permettra de filmer l’épisode des paras à Strasbourg, de la vente aux enchères du manuscrit original et d’exhumer quelques mots scandaleux écrits dans le journal par le sinistre Michel Droit.

Il y a clairement deux films – l’un bon, l’autre pas – dans ce Gainsbourg (vie héroïque) et la séquence la plus pertinente l’est peut-être involontairement, vers la fin : Gainsbourg est seul au bar d’une boite de nuit, un mec bourré l’aborde et lui lâche qu’il l’a vu hier dans les Guignols, alors il commence à l’imiter comme l’imitait jadis Patrick Sébastien. Sous le grimage, sous la barbe de Gainsbarre, l’acteur Elmosnino a abdiqué, la marionnette l’a emporté. L'homme et son double ne font plus qu'un, se mélangent. Le cliché est roi. Dans ce repli d’une scène anodine, Sfar semble nous concéder qu’il sait la vanité de son projet, qu’il ne peut plus, à ce moment-là, contaminer de ses rêveries l’image que Gainsbourg avait patiemment construit de lui-même, qui au final l'a dévoré. C’est la limite d’un film parfois très beau, mais le plus souvent douloureusement entravé…


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