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« La loi va encadrer plus qu’elle ne va libéraliser»

Publié le 25 janvier 2010 par Delits

Alors que les sénateurs débattent actuellement de la libéralisation du marché des jeux d’argent et des paris sportifs en ligne, Délits d’Opinion a rencontré Jean-François Lamour, le rapporteur de ce projet de loi à l’Assemblée. Réagissant à notre analyse publiée au mois de janvier, il est revenu sur les détails de ce texte ainsi que sur les impacts que ce nouveau cadre législatif  aura pour le secteur et les parties prenantes.

Délits d’opinion : Une majorité de Français (54%) se disent au courant de la loi sur l’ouverture à la concurrence et la régulation des jeux et paris dont vous avez été rapporteur. Comment analysez-vous ce chiffre ? 

Jean-François Lamour : Ce chiffre me surprend mais confirme l’intérêt des Français pour ces questions. Cette « passion française » se trouve d’ailleurs chaque année confirmée par les chiffres d’affaires de la Française des Jeux et du PMU, seuls acteurs autorisés à proposer des paris en ligne à ce jour, mais aussi par l’importante fréquentation des casinos.

Ce chiffre souligne également le fait que les Français suivent la question de la libéralisation du marché car ils sont nombreux à s’être déjà essayés aux jeux d’argent illégaux en ligne.

 Le principal défi de la loi que nous avons voulu sera de répondre aux attentes des Français en proposant une palette de jeux à la fois riche et variée tout en veillant à la protection des individus. La situation actuelle fait la part belle aux sites illégaux derrière lesquels se cachent des acteurs eux-mêmes illégaux et c’est à ces risques que le projet de loi veut offrir une réponse.

Délits d’opinion : 4% des Français jouent à des jeux d’argent sur Internet, contre 72% pour le Loto et 69% pour les jeux de grattage. Comment expliquer un tel déferlement médiatique pour une question encore très confidentielle ? 

Jean-François Lamour : Ce chiffre est lui aussi relativement surprenant car les différentes études démontrent que les joueurs sur Internet sont entre 2 et 3 millions en France. En réalité ce chiffre indique que 4% des Français reconnaissent contrevenir à la loi en jouant sur Internet. On peut vraisemblablement penser que cette question « intrusive » a eu pour effet d’en effrayer certains.

L’emballement médiatique s’explique tout d’abord par l’attente des deux acteurs déjà en place, à savoir la Française des Jeux et le PMU. Pour eux, la loi va rebattre les cartes et impliquer des ajustements à la fois dans leur positionnement et leurs stratégies.

L’autre élément qui permet d’expliquer ce buzz c’est le sujet ou plus précisément le support concerné : ici Internet. Les forums et les blogs sont nombreux à avoir abordé cette question, entrainés par les nombreuses opérations de communication des futurs acteurs du secteur qui ont bien conscience que la libéralisation du marché va entrainer la disparition de nombreux sites aujourd’hui illégaux.

Délits d’opinion : Lors du dépôt de votre projet de loi vous avez insisté sur le besoin d’interdire le jeu aux mineurs et de protéger les personnes dépendantes. En quoi la libéralisation de ce marché va-t-elle répondre à ces questions alors que les mineurs sont les premiers internautes et donc des cibles de choix ?

Jean-François Lamour : Le constat que l’on a fait c’est qu’en 2009, n’importe qui pouvait de manière simple et rapide se rendre sur un site de paris illégal, miser de l’argent et en gagner. Notre projet de loi vise à encadrer une pratique aujourd’hui illégale et risquée ; c’est donc l’opposé d’une libéralisation sauvage et désordonnée.

Dans un monde Internet où l’application de règles et de normes est difficile, l’enjeu de notre projet législatif est de mettre en place les conditions d’un jeu légal et raisonné. Afin d’atteindre cet objectif, plusieurs outils seront utilisés. Tout d’abord, les joueurs devront s’identifier par le biais de documents officiels qui seront obligatoires à fournir. Le second niveau de contrôle concerne l’analyse des flux financiers du compte du joueur vers le compte bancaire. Si le transfert s’opère vers celui d’un mineur, il sera dès lors facile de procéder à un blocage du compte. Ces deux arguments feront du jeu sur Internet un terrain beaucoup plus sûr que dans la réalité où de nombreux mineurs sont en mesure de jouer au Loto et au PMU.

Du côté de l’opérateur, il existera également de nombreux contrôles des joueurs et des flux financiers existants. Il aura pour mission de dénoncer les pratiques frauduleuses ainsi que les mouvements suspects à l’ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux en Ligne).

Enfin, afin de lutter contre les dérives des jeux d’argent online, on va identifier les acteurs et réguler un marché aujourd’hui totalement débridé. Ce dispositif doit donc être analysé de manière globale et non pas comme un ensemble de mesures individuelles qui seules n’auraient pas la capacité de structurer ce marché.

Délits d’opinion : La monté en puissance des jeux d’argent dans le secteur sportif n’est-il pas trop risqué ?

Jean-François Lamour : La déréglementation et les dangers existent déjà sur les 25 000 sites illégaux qui prospèrent de part le monde. Cette question ne se pose plus aujourd’hui en ces termes car le législateur s’est engagé dans un combat qui vise à maîtriser un secteur qui demeure totalement sauvage et dérégulé.

Notre projet de loi ne va pas accompagner la monté en puissance des sites de paris. Au contraire, il va permettre une consolidation d’acteurs responsables pouvant être identifiés et reconnus par les joueurs et l’Arjel, faisant disparaitre une partie des menaces existantes sur des sites illégaux. Le danger n’est pas devant nous mais elle sera derrière nous une fois que la loi aura été votée.

Contrairement à ce que pensent de nombreux acteurs, la survie va coûter cher sur ce nouveau marché. Ce que beaucoup présentent comme un nouvel eldorado ne permettra qu’à quelques poids lourds de subsister en proposant une gamme très large de produits et de paris.

Délits d’opinion : Dans le projet de loi vous évoquez l’impossibilité pour ces nouveaux acteurs de devenir acteur du sport. Plus précisément, quelles limites allez vous fixez au champ d’action de ces acteurs un peu atypiques ?

Jean-François Lamour : Sur cette question comme sur l’ensemble de ce projet, il est évident que nous allons devoir faire de la pédagogie aux côtés des acteurs qui parviendront à se maintenir.

La loi précise que « l’incompatibilité » et le « conflit d’intérêt » ne permettront pas aux sites de paris d’intervenir à différents niveaux. Sur la question du sponsoring nous avons fait le choix de l’autoriser afin de promouvoir les sites qui font les démarches nécessaires pour devenir légaux ; affaiblissant ainsi les sites illégaux qui ne peuvent bénéficier de cette exposition.

Propos recueillis par Raphaël Leclerc


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