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La langue de nos ancêtres : à la découverte du gaulois (IV)

Par Amaury Piedfer

Les Gaulois de l’Antiquité n’employaient pas l’écriture seulement dans des contextes funéraires et sacrés. L’archéologie a également livré un grand nombre d’inscriptions sur des objets de la vie quotidienne, dont la nature pouvait être très variée : marques de propriété, de fabrique, message adressés au destinataire de l’objet.
Dans la Bourgogne actuelle, région des anciens Eduens, au centre, des Sénons, au Nord, des Mandubiens, au Sud, ont été notamment découverts de nombreux pesons de fuseaux, ces petits objets en pierre, perforés en leur centre et destinés à lester les baguettes sur lesquelles était filée la laine. Sur ces petits objets, on gravait à l’époque gallo-romaine de courts messages, en général destinés à des jeunes filles, comme par exemple :
NATA VIMPI CVRMI DA
Traduction : « Belle fille, donne de la cervoise ».
Le terme nata, qui rappelle le latin gnata/-us, signifie littéralement « celle qui est née », la fille. L’adjectif uimpi peut être rapproché du gallois gwymp, « joli ». Tout gaulois digne de ce nom aura reconnu dans curmi la racine de notre cervoise, de la cuirm irlandaise et de la koref bretonne. Enfin, le verbe da est une forme latine pour « donne ».
On voit que le message est une adresse à une fiancée par un prétendant : ces petits objets étaient très probablement des cadeaux traditionnels que les jeunes gaulois offraient à celles qu’ils espéraient séduire.

L'un des nombreux pesons inscrits en langue gauloise du Musée Rolin d'Autun


Puisque nous y sommes, nous allons rester dans le domaine de la boisson de nos ancêtres, mais partir cette fois un peu plus au sud, à Banassac, en territoire gabale (Gévaudan). Banassac est un très joli bourg installé sur les Causses, à la confluence du Lot et de l’Urugne (photo ci-dessus). Situé dans une zone de piémont, à une altitude variant entre 500 et 950 m, le village reçut un nom qui décrivait les caractères physiques du lieu, puisque Bannaciacum, le nom antique, est formé sur la racine celte banno-, « corne, pointe ». Il devint à l’époque gallo-romaine un grand centre de production de céramique, qui exportait dans tout l’Occident romain ; c’est sur cette solide tradition artisanale qu’est venu s’implanter un très important atelier monétaire mérovingien, qui produisait une grande part des espèces en circulation aux VIème et VIIème siècles ap. J.-C.
Sur les coupes à boire en céramique produites à Banassac, on trouve souvent des graffites en lettres cursives, incisés avant la cuisson. En voici un exemple intéressant, sur une petite coupe de 10 cm de diamètre et 3,4 cm de haut :
neđđamon
delgu linda

..........................................La coupe de Banassac
Traduction : « Je contiens la boisson des suivants ».
Dans ce texte gaulois, delgu est le verbe, à la première personne du singulier, qui a des équivalents en celtique insulaire, par exemple en breton, où le verber dalc’h signifie « tenir » ; nous avons donc « (je) tiens », « (je) contiens ». Le mot suivant, linda, est un accusatif neutre pluriel, qui se rapproche du vieil irlandais lind, « boisson ». Enfin, neđđamon est le génitif pluriel (cas d’appartenance, comme nous l’avons vu) d’un terme signifiant « le plus proche », comme le moyen breton nessaf (cf. anglais next, allemand nächst).
L’inscription figure sur un vase, vous l’aurez remarqué, beaucoup trop petit pour réellement servir de vase à boire : il s’agit certainement d’un objet de décoration, d’un souvenir, ou d’un objet destiné à être offert à un ou une fiancé(e), et dont le texte lui-même avait une grande importance. De plus, le sens de ce dernier est très intéressant : il révèle la pratique du banquet, selon laquelle les coupes à boire circulaient d’un convive à l’autre, comme on le faisait en Grèce et à Rome. On sait que les Gaulois, suivant peut-être l’exemple des Grecs du littoral provençal, adoptèrent la pratique grecque aristocratique du banquet rituel assez tôt ; les sites archéologiques du IIème siècle av. J.-C., en particulier, livrent en grand nombre les restes d’amphores à vin, consommé lors des banquets qui se déroulaient dans les sanctuaires.
La découverte de la langue gauloise nous plonge ainsi au cœur des questions de civilisation. Elle montre que les Gaulois d’avant la conquête romaine vivaient dans le cadre de sociétés complexes, héritières de longues traditions ; ils étaient porteurs d’une culture propre, commune à une grande partie de l’Europe intérieure, celle que les Grecs appelaient « celte ». Pourtant, on le voit, ces Gaulois partageaient aussi un fond commun avec leurs voisins Grecs et Romains : l’Europe s’animait déjà de cette diversité enracinée et féconde qui a constitué pendant des millénaires sa grande spécificité. L'étude de la langue gauloise démontre aussi que dans la vie quotidienne, l'usage de la langue ancetrale s'est prolongé bien au-delà de la conquête romaine, et que c'est peu à peu, au fil des siècles, que la langue de notre pays, et ses nombreuses variantes régionales, est devenue ce qu'elle est, une langue gallo-latine.
Si vous désirez en savoir plus sur le sujet, vous pouvez vous reporter aux ouvrages dont nous avons donné de brefs compte-rendus dans la première partie. Les deux instruments de travail les plus utiles sont bien sûr La langue gauloise de P.-Y. Lambert, et le Dictionnaire de la langue gauloise de X. Delamarre.

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Amaury Piedfer.

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