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Soeur bougie

Par Chroniqueur
Soeur bougie
Pour Georges
"Brûler haut, toujours plus haut, pour être sûr de donner de la lumière." (Gaston Bachelard)

Ô Soeur bougie, qui illumine toute chose avec douceur et minutie, quel est ton secret? En ta compagnie, je ne me sens plus seul. Tu traces un cercle doré autour de toi, et tu fais vaciller les ombres. Je ne te crois pas si innocente, même si tu es Sainte. Je connais tes pouvoirs de séduction. Après tout, ton frère Feu est ravageur. On te croit docile, mais t'agacer, c'est risque l'incendie ou la brûlure. Les papillons de nuit qui échouent à tes pieds ne t'intéressent pas; tu cherches des fidélités plus claires. Je t'ai vue danser corps à corps avec la nuit, j'ai vu comment, d'un déhanché agile, tu la domines. Je n'ai d'yeux que pour toi alors que tu accomplis ton spectacle au rythme des souffles nocturnes qui te frôlent. Ce soir, aucune ne te surpassera, tu es toutes les Esmeralda de mes songes. Au bout de la nuit, bohémienne de passage, tu t'éclipseras, ne me laissant que le temps d'une arabesque de fumée évanescente pour me dégriser.
Soeur bougie, confie-moi tes secrets, dis-moi quelle est cette présence bleue au creux de ta flamme? Comment se nomme-t-elle? Comment se fait-il que je me souvienne d'elle sans l'avoir jamais connue? D'où tient-elle tout ce savoir qu'elle ravive en moi? Comment communique-t-elle avec moi? Tu ne me réponds pas. Tu restes mystérieuse, comme un chat, cette autre flamme souple, dont tu es certainement parente. Quand je ferme les yeux, je te vois te refléter dans mon coeur. Tu es une déesse tutélaire ou une mère très attentionnée qui me raccompagne avec bienveillance dans la crypte de l'être, quand je m'égare. Là où tu brilles, tu offres un centre discret, comme une maison dont le portique serait entrouvert, un feu de cheminée y brûle, on est attendu, et c'est bien normal: on revient en soi, on entre chez soi. C'est pour cela que j'aime te regarder. Comme l'arbre et l'amour, tu m'invites à me redresser, à me verticaliser. En m'aidant à me recueillir, tu me permets de me relier à mes aspirations les plus profondes, d'accueillir mes désirs et mes rêves. Ta limpidité renvoie dans l'obscurité les voix noires de la peur, du doute, de l'angoisse. Soeur bougie, tu es un levier d'humanité.
Tu fais don de ta clarté, nonchalante de savoir quel jour elle aura favorisé. Tu es tout entière dédiée à cette seule vocation. Eteinte, tu ressembles à une très vieille dame toute simple, courbée et très sèche. On dirait que tu attends de la visite. Ta silhouette calcinée à la Giacometti émerge de ta robe de cire blanche, orange ou rouge; on voit que tu as beaucoup travaillé. C'est pour cela que j'ai confiance en toi et que je crois que brûler un cierge dans une église, c'est allumer un voeu ou donner feu à un souvenir pour le faire brûler longtemps dans un lieu propice à le transporter plus haut. Toutes ces chandelles regroupées sur le présentoir forment une ferveur murmurée. Le coeur se réchauffe de ces espoirs déposés là. Qui sait si toutes ces ondoyantes ne papotent pas entre elles, se confiant leurs secrets. Et puis, je les devine bienveillamment rusées. En s'offrant fragiles, en nous invitant à les protéger, à veiller sur elle, elles nourrissent notre fonds de bonté, comme tout ce qui nécessite que nous nous fassions plus petits, plus précautionneux, moins brutaux. Prendre soin, de soi, d'autrui, c'est le premier savoir-faire de la vie.
Depuis que je t'ai rencontrée, Soeur bougie, mes nuits sont veillées par une petite lumière, peut-être celle de mon enfance. Quelque chose est là, tout proche, qui ne m'abandonne pas, malgré tout. Tu veilles. Et tandis que tu te consumes, je me souviens que les abeilles participent, elles aussi, à la création des fleurs de cire chapeautée d'un petit étendard d'or. Tu as donc de la famille du côté du chat et de la fleur. Jolie filiation.
Image - Georges de La Tour, Job et sa femme.

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