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January 31, 1923 - November 7, 2007

Par François Monti

Il serait facile de ne se souvenir que d'un épouvantable dernier roman, il serait facile de ne se souvenir que de sa grande gueule, il serait facile de ne se souvenir que de ses bagarres, de ses prétentions, de ses échecs. Il serait facile de ne voir qu'en lui une incongruité, un souvenir d'une ère heureusement révolue. On peut discuter en long et en large de ses points, mais Norman Mailer ne saurait se résumer à ça. Il n'aura jamais été le grand écrivain américain du siècle qu’il était certain de représenter, il ne fera certainement pas partie de ma galaxie d'incontournables, mais il m'est insupportable de laisser passer sa mort comme on laisserait passer une autre.

Comme l'Amérique littéraire – une cinquantaine d'années plus tard quand même- j'ai découvert Mailer avec « The Naked and the Dead », sans doute pas le meilleur livre sur ou autour de la seconde guerre mondiale mais incontestablement une pièce maîtresse la littérature d'après-guerre. A l'époque se tramait déjà le conflit pour succéder à Hemingway et Mailer prenait ici une putain d'option avec ce récit mystificateur, auto-mythologique , ce fantasme de gloriole galonnée et de mort au champ d'honneur qui, d'une certaine façon, orientera le parcours d'un homme qui n'aura de cesse de se retrouver au premier rang, quitte à prendre des coups : il était toujours prêt à en rendre.

Je me souviens aussi de son troisième roman –le second, je préfère l'oublier-, le méconnu, diffamé et pourtant magistral « Deer Park », sensationnelle histoire de l'Amérique de McCarthy, de la naissance de la révolution sexuelle et des difficultés de l'auteur à s'intégrer dans le monde hollywoodien. Mailer, à l'heure de se mettre à travailler sur ce roman, oublia d'écrire avec sa pine et de barbouiller la page blanche de sa semence, (tendance lourde chez lui qui le poussa malheureusement à commettre «American Dream », épouvantable roman noir au freudisme à deux balle à travers duquel il tentait d'exorciser le coup de poignard qu'un soir il asséna à sa femme) et concentra véritablement ses talents dans la composition d’une œuvre subtile et polysémique.

On se souviendra aussi de « Why are we in Vietnam? », espèce de coup de poing dans la gueule où l'on aborde jamais directement la guerre tout en y apprenant les raisons profondes qui poussent l'Amérique à guerroyer aux quatre coins du monde – ni pétrole, ni communisme : une féroce partie de chasse quelque part en Alaska. Et puis ses putains d'armées de la nuit, et le chant du bourreau, le chant du bourreau ! De ce demi-siècle US le plus commenté, le plus important, il aura tout vécu, tout connu, tout dit, tout jugé, emballé , pesé. La mort de Mailer, c'est la fin d'une époque. Mort Styron, mort Bellow, mort Gaddis, il ne reste que Vidal, et franchement, on préférait Norman.

Au fil des années, Mailer avait perdu de sa pertinence et de son pouvoir de fascination, ses livres étaient accueillis avec plus de moquerie que d'intérêt véritable –surtout si on exclut de ce « véritable » tout ce qui a trait aux frasques et à la vie privée publicisée. Pourtant, en 1984, poussé par de sombres motifs financiers, il publie « Tough guys don't dance » roman qui sera jugé mineur mais que j'adore. Peut-être parce qu'en l'écrivant il pense plus à ses factures qu'à sa gloire, Mailer se laisse aller dans un espèce de monument comique, sorte de « Already dead » mouillé sauce côté Est, un machin dont la version ciné aurait dû être signée par les frères Coen. Et puis, une fois n'est pas coutume, un titre magistral qui est devenu un de mes leitmotivs. Rien que pour ça, je pleurerais Mailer.

Il n'a jamais succédé à Hemingway, il n'était pas un des grands postmodernes, mais il aura pris, j'en suis certain, une place spéciale chez tous les amants des lettres US et la tristesse que je ressens me surprend. Finalement, le bilan de l'œuvre de Mailer est celui d'un échec, mais il n’y a rien de plus émouvant que ça. So long, Norman !


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