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L'édition 2010 de la Folle journée de Nantes affole les compteurs

Par Jeanchristophepucek


gustave moreau circe Gustave MOREAU (Paris, 1826-1898),
Circé, sans date.
Huile sur toile, 105x80 cm, Paris, Musée Gustave Moreau.

N’en déplaise aux Cassandres qui prophétisent, à grands renforts de sondages et autres études mettant en lumière son vieillissement, voire sa décrépitude, l’extinction programmée du public de la musique dite « classique », les chiffres de la fréquentation de l’édition 2010 de la Folle journée de Nantes viennent de leur apporter un démenti d’importance : 128000 billets vendus sur 130000 proposés, ce qui représente 5000 places de plus qu’en 2009 et laisse loin derrière, mine de rien, les concerts de certaines des plus grandes stars de la pop music. Le constat est donc sans appel : pour peu que l’on prenne le public par la main et qu’on le décomplexe, il est possible de le conduire à écouter une musique dont ceux qui devraient se faire les promoteurs se font trop souvent les fossoyeurs, qu’il s’agisse du mépris ouvertement affiché à son égard par le pouvoir politique en place, des divagations, en termes de production, de communication comme de distribution, de majors (mais plus seulement elles, hélas) et de vendeurs de produits culturels qui, aveuglés par l’appât du gain immédiat, n’ont toujours pas compris qu’il est stupide de tenter d’aligner la façon de la vendre sur les pratiques ayant cours dans le domaine de la variété, ou de l’élitisme à la morgue parisianiste et poussiéreuse distillé par les canaux de la radio ou de la presse dites spécialisées, voire sur Internet.

Devant un tel succès, il conviendrait sans doute d’applaudir des deux mains sans chercher la petite bête, mais elle gratouille avec tant de vigoureuse obstination qu’il est difficile de passer sous silence ce qui démange. S’il est, en effet, absolument indéniable qu’en l’espace de cinq jours, spectateurs sur place ou auditeurs derrière leur poste de radio n’auront jamais pu écouter autant de Chopin, il est, à mon sens, bien loin d’être évident qu’ils aient saisi en quoi sa musique s’inscrit à la fois dans et hors de son époque, ni qu’ils aient pu se faire une idée précise des multiples influences qui ont façonné l’art du compositeur. Il est tellement plus facile de se pâmer en évoquant le génie, notion qui suppose un lien entre une entité transcendante – Dieu – dont l’existence n’est toujours pas prouvée et le créateur, qu’interroger les sources disponibles pour tenter de percevoir comment une personnalité musicale d’exception parvient à se forger. Outre que les interprètes « historiquement informés » ont été, à quelques exceptions près, dont une Symphonie fantastique de Berlioz bigrement intéressante dirigée par Jos van Immerseel, presque ignorés lors de cette manifestation (je me suis déjà exprimé sur ce sujet, je ne m’appesantis pas), comment peut-on remettre Chopin dans la plus exacte perspective en ne donnant à entendre ni les concertos pour clavier de Hummel, ni les Nocturnes de Field, ni, au minimum, un florilège d’œuvres de cette école de piano anglaise (Hummel, Field, mais aussi Clémenti, Dussek, etc.) dont Chopin n’hésita pas à s’inspirer ? On me rétorquera que ce n’est pas la vocation d’une telle manifestation, destinée à attirer le néophyte autant que l’amateur un tant soit peu éclairé, ce à quoi je répondrai que c’est justement parce qu’elle draine un très large public qu’il est essentiel qu’elle ne se cantonne pas uniquement au plus connu, mais fasse également œuvre utile en donnant à entendre des partitions peu fréquentées susceptibles d’éclairer le thème abordé. Une démarche véritablement pédagogique ne saurait se satisfaire d’une politique du moins disant.

Le thème de l’édition 2011 de la Folle journée, dévoilé, comme le veut maintenant la coutume, dans les dernières heures de celle de 2010, mettra à l’honneur, à l’occasion du centenaire de la mort de Gustav Mahler, les compositeurs postromantiques. Outre le nom de ce dernier, ceux de Brahms et de Bruckner commencent à circuler. À côté des orchestres traditionnels qui ne manqueront pas d’être conviés, René Martin osera-t-il laisser une place aux chefs qui tentent de renouveler l’approche de ces répertoires, comme, entre autres, John Eliot Gardiner dans Brahms ou Philippe Herreweghe dans Bruckner et Mahler ? Ira-t-il jusqu’à étendre sa programmation à des compositeurs français passionnants, tel Albéric Magnard, qui y trouveraient naturellement leur place ?  Honnêtement, au vu du contenu aussi foisonnant que, somme toute, convenu, car s’écartant bien peu de chemins interprétatifs soigneusement balisés, qui a marqué la Folle journée Chopin, j’émets de très sérieux doutes quant à la part d’originalité qui pourrait s’inviter lors de celle de 2011, même si j’espère secrètement trouver d’excellentes raisons de prendre un billet pour Nantes l’année prochaine.

Johannes BRAHMS (1833-1897), Symphonie n°3 en fa majeur, opus 90 (1883) :
[IV] Allegro

Orchestre Révolutionnaire et Romantique
John Eliot Gardiner, direction

brahms symphonie 3 gardiner
Symphonie n°3, œuvres chorales. 1 CD Soli Deo Gloria SDG 704. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.


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