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Obscurité (4)

Publié le 05 février 2010 par Feuilly

Quand il se réveilla, la voiture était arrêtée sur un parking d’autoroute et sa mère dormait, la tête appuyée sur le volant. Pauline aussi dormait et en voyant comme elle était belle, il repensa à son rêve troublant de la veille et surtout à sa fin horrible. Dehors, le soleil se levait et ce qu’il vit l’étonna au plus haut point. L’horizon, qui la veille au soir s’étendait dans le prolongement de champs de blé infinis, était maintenant tout proche et barré par une chaîne de volcans. Oui, c’étaient bien là des volcans et même s’il n’en avait jamais vu, il n’y avait pas de doute à avoir. Il y en avait de grands et de plus petits, tous bien sagement alignés et recouverts de végétation. Ils étaient éteints, bien entendu, mais cela n’empêchait pas de penser à l’agitation qui avait dû régner ici quelques milliers d’années plus tôt. Il semblait à l’enfant qu’il touchait du doigt le mystère de la création du monde. Des images de son cours de religion lui revenaient en mémoire : Dieu qui bâtissait le monde en sept jours et puis Adam et Eve chassés du paradis. L’épisode de la Mer Rouge aussi, avec ses eaux qui se fendaient en deux puis qui engloutissaient les méchants. Toutes ces merveilles du temps passé le fascinaient. Et puis il y avait aussi les dinosaures, qui peuplaient depuis toujours la forêt hercynienne, les aurochs et les mammouths, ainsi que toutes ces bêtes étranges qui avaient aujourd’hui disparu. Et voilà que maintenant, devant lui, un vestige de ces temps préhistoriques apparaissait dans toute sa splendeur. Il imaginait la lave coulant des cratères, les jets de pierres propulsés dans les airs et puis, surtout, les nuages de cendre, qui recouvraient tout, inéluctablement. Quelle époque ! Quel chaudron cela avait dû être ici… Et il lui semblait entendre des troupeaux de bisons cherchant leur salut dans la fuite et martelant de leurs milliers de sabots le sol de ce qui deviendrait plus tard un parking d’autoroute. Et on était en France ? Il y avait donc des volcans en France ? Une chose pareille n’était pas possible… En tout cas, on n’en avait jamais parlé à l’école. « C’est la chaîne des Puys », lui dit sa mère, qui venait de se réveiller et qui l’observait à la dérobée. « Les volcans d’Auvergne », ajouta-telle. « Ils sont tous éteints, mais on dit qu’un jour ils se réveilleront » Incrédule, il contempla ces montagnes verdoyantes et pensa qu’il était peut-être dangereux de rester là. On ne sait jamais !

Ils prirent le petit-déjeuner à la cafétéria du restoroute. L’atmosphère commençait à se détendre et pour un peu on se serait cru en vacances. Il est vrai qu’on était début juillet et qu’il n’y avait plus d’école, ce qui était déjà un beau poids en moins sur les épaules. Cependant, tout le monde savait, même si personne ne le disait, que tous ces sourires s’expliquaient par l’absence de l’Autre, celui qui était resté la-bas et à qui on avait faussé compagnie. Une sorte de soulagement semblait gagner la petite assemblée et à la fin du repas (croissants accompagnés de café ou de cacao, selon les goûts et les âges) l’ambiance était franchement à la rigolade. Cela faisait un bien fou ! En plus, le temps était radieux, que demander de plus ?

C’était si agréable, que la mère eut du mal à attirer leur attention car si c’était bien de rire, la situation n’en était pas moins grave pour autant et elle voulait leur exposer son plan. Ils se mirent donc à l’écouter avec attention. En fait, partir ainsi avec des enfants n’était pas légal et elle risquait des ennuis avec la police. Bien sûr, c’était l’Autre qui avait tous les torts, mais il faudrait le prouver et cela prendrait du temps. En attendant, les gendarmes ne se poseraient pas autant de questions s’ils les trouvaient. Elle, elle risquait carrément la prison pour enlèvement de mineurs et eux ils se retrouveraient à la maison et on savait qu’elle correction les y attendait. Le mieux, du moins au début, était donc de ne pas se faire prendre, autrement dit, il allait falloir se cacher. Ma foi, cette idée, loin de les effrayer, semblait enchanter les deux enfants. Des vacances tout seuls avec maman et un grand jeu de cache-cache en prime, voilà assurément qui ne leur déplaisait pas.

« Et en réalité on va aller où, dis ? » demanda Pauline, qui malgré son jeune âge semblait avoir une intelligence fort pratique. La mère expliqua qu’elle avait eu dans le temps, il y avait vraiment très longtemps, une grande amie. Une amie comme on n’en rencontre qu’une dans toute la vie. Elle l’avait connue au lycée et elles étaient devenues inséparables. Plus tard, après leurs mariages respectifs, elles s’étaient perdues de vue mais, il y avait à peine deux ans, elles s’étaient de nouveau écrit. Son idée était donc d’aller chercher refuge chez elle. Où elle habitait ? C’était cela le problème. Elle ne le savait pas vraiment, mais se souvenait que c’était en Corrèze, dans un petit village dont elle avait malheureusement oublié le nom. Est-ce qu’il y avait moyen de le retrouver ? Pourquoi pas, car elle se souvenait dans quelle région de Corrèze il se situait et cela à cause du nom de cette région, qui faisait rire tout le monde. Ils voulaient le connaître ce nom ? Vraiment le connaître ? Et bien voilà, son amie habitait sur le plateau de Millevaches. Là c’était trop et à ce nom les deux enfants éclatèrent de rire. « Mille vaches ? C’est pas possible un nom pareil ! » pouffa le garçon. « Et comment on va la retrouver, ton amie, au milieu de toutes ces vaches ? » demanda la petite, toujours aussi pragmatique. Alors ce fut au tour de la mère de rire de bon cœur. Puis elle expliqua que sur ce plateau il n’y avait pas plus de vaches qu’ailleurs, qu’il y en avait même plutôt moins, car on était en altitude et que l’herbe était assez rare. Non, c’était un nom qui venait probablement du celtique (Astérix, vous connaissez, hein ?) et qui signifiait mille sources, car toutes les rivières des environs trouvaient leur origine sur ce plateau.

Ma foi, voilà qui les faisait moins rire, mais tout compte fait, l’idée d’aller visiter ce pays étrange et merveilleux qui possédait autant de sources les séduisait quand même. « Ca me fait penser aux Mille et une nuits », dit Pauline en remontant dans la voiture. « Tu crois qu’on va rencontrer Shéhérazade ? » Et elle pensa avec un soupir au livre de contes qui était resté sur sa table de nuit à la maison.

(à suivre)

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