Magazine Régions du monde

Aux abois à Bouaye

Publié le 10 novembre 2007 par Eric Mccomber
Je me croyais invincible, on dirait. Enfin, à Varades, je suis parti manger sur Rosie en pleine noirceur sans m’informer de la température, sans mes lampes, rien, à 2 km de la chambre. J’ai eu froid, c’est vrai. Mais j’ai rien chopé. Puis, toutes ces quasi-morts, tous ces presque accidents, et cette peine censée me tuer, que je croyais assez forte pour me terrasser cent fois. Et puis non. Je suis encore là.
M'est arrivé un pépin, à Nantes. Petit rappel de la véritable froideur de la race humaine. Ça m'a glacé le sang. Passé la nuit à me tortiller et à tourner dans tous les sens. Réveils horrifiés, angoissés…
Je me suis levé le lendemain matin avec la crève.
Elle me colle au cul depuis. J’ose pas trop m’arrêter, de peur qu’elle ne se saisisse complètement de moi. Je vais de ville en ville, j’ai bien ajouté 150 km au compteur, toussant, éternuant, crachant, dans un flou mental et physique étonnamment confortable. Par moments, je sens que mon corps va lâcher, je deviens apathique, mes genoux refusent de s’abattre, mes pieds n’enfoncent plus les pédales, ma vitesse glisse sous les 10 km/h. Mais reste une seule idée, une seule obsession dans ma culasse, la volonté de poursuivre. Je continue, quelque soit le rythme. Je pleure, je hurle, je chante, je ris, je dégoutte sur la route avant de grelotter à nouveau…
Carpé, en danseuse, bien assis, relevé, d’une main, couché, je ne lâche pas. Ce mouvement de va et de vient… Cette oscillation. Toutes ces cadences, des montées et des descentes, des villages et des champs, du soleil et de l’ombre, des arbres et des pierres… Tout ça m’habite, petit. Cette fresque s'élabore, graduellement, et un coup de pinceau à la fois, efface ma souffrance. Petite charade. Petit mensonge. Petit vilain. Petite fraude. Tu n’es rien. Tu n’es rien sans elle. Et sans moi en elle. Tu est nous. Non. Tu n’est pas nous, tu n’es que le futur de ce nous qui est mort. Il n’y a pas nous. Il n’y a pas toi. Tu n’es que le futur qu’un passé projetait, un passé mort. Enterré. Décomposé.
Je te parle durement, petit. Mais demain je verrai la mer. Tu es mon amour. Je t’aime autant que je t’aimais. Et mon être n’a pas encore trouvé de façon d’envisager l’existence sans la tienne. Tu es l’horizon. Et à ta mort, tout ce qui est resté devant mon guidon était la désolation. Je te parle depuis des semaines. Jour après jour. Heure après heure. Je te donne tout ce que j’ai. Tout ce que je n’ai pas encore perdu, jeté, donné, vendu. Je te donne tout, que tu l’emporte avec toi dans les limbes. Je te leste pour que tu coule au fond. Que tu ne remonte pas. Tu es le véhicule de mes deuils, tu sais. La pirogue funèbre de toutes mes terreurs. Tu n’es rien aujourd’hui que l’écorce du rêve. Pars, petit. Pars. Aussi vrai que je t’aime de tous les protons de tous les atomes de toutes les molécules de chacune de mes cellules, pars. Laisse-moi. Je vis.
La première journée de crève, je me suis arrêté à Bouaye. C’est à 20 km de Nantes, à vol d’oiseau. Mais Rose et moi ce jour-là... On était si perdus et distraits qu’on s’est fait un bon 40 km juste en lacets autour du pot. J’en ai eu marre. J’ai regardé mon petit guide. J’ai téléphoné. Un trois étoiles. Le tout premier du voyage. Bof. C’est propre.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Eric Mccomber 400 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog