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Un monde sans fin

Publié le 11 février 2010 par Vance @Great_Wenceslas

Un roman de Ken Follett (2007), éditions France Loisirs 2009

Un monde sans fin

: 1327. Quatre enfants sont les témoins d'une poursuite meurtrière dans les bois : un chevalier tue deux soldats au service de la reine, avant d'enfouir dans le sol une lettre mystérieuse, dont le secret pourrait mettre en danger la couronne d'Angleterre.

L'architecte de génie, la voleuse éprise de liberté, la femme idéaliste, le moine dévoré par l'ambition...

Mus par la foi, l'amour et la haine, le goût du pouvoir ou la soif de vengeance, chacun devra se battre pour accomplir sa destinée dans un monde en pleine mutation - secoué par les guerres, terrassé par les famines et ravagé par la peste noire...

. Il y avait bien longtemps que je n'avais lu un tel monument. Peu pratique, en outre, malgré une agréable couverture souple et des pages très fines comme celles d'un missel. Le trimballer aussi souvent que possible a malheureusement eu quelques légères répercussions sur son état, ce qui m'agace profondément (je n'aime pas voir un livre abîmé) : oui mais voilà, on est membre du C.L.A.P., et à ce titre, il y a des efforts de lecture à fournir... Ah, il en aura vu des salles de cinéma ! Je l'ai achevé la nuit dernière, dans la tiédeur d'une chambre endormie : il restait trop peu de chapitres pour que j'accepte de reporter la fin au lendemain. Et puis, ça ne se fait pas.

Je connais mal Ken Follett. J'avais lu voici longtemps déjà l'Arme à l'œil, livre qui m'avait un peu choqué par le ton volontairement crû adopté pour certaines scènes. Mais j'étais jeune alors. Cela dit, le bougre n'a pas changé. Dans un royaume d'Angleterre dans lequel commencent à poindre les prémisses d'une Renaissance (d'abord intellectuelle, puis artistique), l'auteur a planté un décor qui lui permettait de s'en donner à cœur joie dans la misère, la souffrance, la violence et le sexe. Malgré l'application de la Magna Carta, le servage paysan est encore la clef de voûte honteuse d'un système féodal que des seigneurs peu scrupuleux cherchent à entretenir au mépris de la rentabilité et du réalisme économique. De fait, un membre de la noblesse a un statut tellement supérieur à celui de la populace qu'il est censé protéger qu'il peut pratiquement tout se permettre sur leur personne : Follett ne lésine pas sur les humiliations et les vexations, les abus psychologiques auxquels s'adonnent ceux qui sont nés avec les rênes du pouvoir.

Un monde sans fin
Un pouvoir qui peut, malgré tout, s'acquérir, pour peu qu'on ait la chance de montrer sa valeur à qui de droit, en guerroyant sur le sol français que le jeune roi d'Angleterre revendique (à juste titre d'ailleurs) comme sien - et en survivant à ces campagnes meurtrières. Ainsi Ralph, l'un des quatre " conjurés " de circonstance (voir le résumé de 4 e de couverture), jeune gaillard robuste à l'esprit obtus, ne cherchant que la reconnaissance qui s'est refusée à ses parents (petits seigneurs de province, ils se sont retrouvés criblés de dettes), trouvera-t-il sa place dans l'aristocratie anglaise. Son ascension, au mépris même des lois, fascine et écœure à la fois : brutal et sanguinaire, il est en outre particulièrement rancunier. Par son entremise, nous aurons toutefois la possibilité de vivre le récit de la bataille de Crécy, qui fut une des plus lourdes défaites françaises de l'Histoire. Etonnamment, Follett nous la narre avec passion mais une certaine retenue aussi : l'ost français, très largement supérieur en nombre, est présenté dans toute sa complexité. Arrogants, les chevaliers sont aussi des hommes d'honneur et se révèlent incapables de massacrer l'ennemi avec des tactiques fuyantes bien qu'opportunes : cette fierté fera leur perte et là où ils auraient dû laminer les troupes anglaises en les harcelant avec leurs arbalétriers et en attendant les renforts, ils préfèrent foncer dans le tas, charger de front des Britanniques roublards et opportunistes. Du coup, bien qu'écornée par le goût amer de la défaite, l'image de la noblesse française ne vacille pas : elle s'avère juste incapable de s'adapter à des conditions de combat nouvelles.

C'est néanmoins en Angleterre que se déroule la majeure partie de l'ouvrage et nous suivrons la vie de ces quatre enfants jusqu'à un âge avancé. A travers eux, c'est un Moyen-âge cruel et sombre qui se dévoile, où les gens s'accrochent à de petits bonheurs afin de mieux oublier les tragédies. Et quand on parvient à contrecarrer les vues narcissiques d'un prieur ambitieux, c'est la peste qui frappe, sans prévenir. Et met au jour l'inutilité des méthodes médicales héritées de l'Antiquité : les moines médecins pratiquent encore les saignées et appliquent des remèdes ancestraux dont beaucoup s'avèrent plus pernicieux que le mal qui ronge les patients. Mais au milieu d'eux se débattent de jeunes enfants prometteurs, qui s'adaptent aux progrès et ont l'esprit assez vif pour interpréter et assimiler. Merthin, le frère de Ralph, deviendra bâtisseur, au grand désespoir de ses parents : malgré les sommes colossales qu'il finira par gagner, ils auraient préféré qu'il trouve sa place dans la noblesse. Caris, fille d'un lainier prévôt de la cité de Kingsbridge, manifeste également cette indépendance d'esprit. Et, chez une fille, c'est aussi audacieux que dangereux. Sa modernité lui vaudra l'inévitable procès en sorcellerie.

p. 160, §8 : Mattie la Sage prépare un philtre d'amour pour Gwenda.

L'homme qui prépare les onguents et les médecines a pour nom apothicaire. Lorsque c'est une femme qui exerce cette activité, on l'appelle sorcière. [...] Les hommes aiment bien tuer une femme de temps en temps.

p. 359, §2 : Caris réfléchit en assistant au mariage du compte de Monmouth.

Elle ne voulait pas des contraintes dont s'accompagnait le mariage : elle ne voulait pas d'un seigneur et maître, elle voulait un amant ; elle ne voulait pas consacrer sa vie à un homme, mais vivre à ses côtés.

Merthin et Caris s'aimeront au premier coup d'œil, et leur relation ne sera pas simple. L'époque le veut. Et surtout l'auteur, qui s'obstine à les rapprocher puis les éloigner. Ils sont clairement les héros du roman, observateurs éclairés d'une époque trouble. Leur histoire transformera à jamais la structure même de la ville de Kingsbridge. Le pont s'effondre ? Qu'importe, Merthin a une idée de génie pour le reconstruire. Le toit de la cathédrale s'effrite ? Merthin encore sait ce qu'il faut faire. Las, son supérieur, jaloux de sa notoriété et de son savoir-faire, fera tout pour l'empêcher de toucher au fruit de son intelligence. Caris, elle, reprendra les rênes de l'entreprise de son père et la sauvera de la faillite, enrichissant même certains villageois. Mais les hommes aiment encore moins la vivacité d'esprit féminine et elle sera victime des pires vilénies, dictées par une jalousie et une suspicion maladives. Elle devra d'ailleurs, pour sauver sa propre vie, renoncer à tout ce qu'elle aimait.

Reste la dernière, Gwenda. Peut-être le seul des personnages à ne pas avoir été décrit avec de gros traits légèrement caricaturaux. Ralph, foncièrement mauvais, fait écho aux différents prieurs de la cité (pas stupides, mais infatués et obtus). Caris et Merthin, progressistes, font le bien autour d'eux et sont aimés en retour. Gwenda, elle, commence dans la vie au sein d'une famille de journaliers, qui ne vit que de ce que le père peut trouver comme travail. Les hivers sont rudes, souvent mortels. Elle apprend donc à voler. Ca ne lui pose pas de problème, mais elle finit par devenir amie avec Caris. Avant que son père ne la vende à des malfrats, la forçant à se sauver en en tuant. De sang-froid. Pour arriver à ses fins, Gwenda, pauvre, plutôt laide, ne dispose que d'une volonté farouche. Son opiniâtreté attire aussi les mauvais coups : une vie de souffrance l'attend, à laquelle on assiste avec ébahissement. Follett se complait souvent à la maltraiter, et ce sadisme de l'auteur est un peu dérangeant. Il permet toutefois de la faire rayonner. Et on n'assistera pas à un bête happy end pour elle : née pauvre, ses ambitions sont pauvres aussi. Elle ne cherche qu'un bonheur simple, et la liberté.

Ces quêtes personnelles vont souvent s'associer, ou se heurter. Au milieu de tout cela, l'intrigue de la lettre royale semble n'être qu'une balise, un détail : on s'en fiche un peu à vrai dire. N'allez pas y voir une enquête rigoureuse à la Iain Pears. Certes, ça ressemble à la Petite Maison dans la prairie au Moyen-âge, mais c'est bien dans cette saga familiale qu'on s'accroche. Un aussi gros pavé n'a d'intérêt que dans ses personnages. Le fond historique est intéressant et la réalité politico-économique plutôt bien rendue : bien que la ville soit complètement inventée (de l'aveu même de l'auteur, il s'est inspiré de Salisbury - voir photo ci-dessus - pour la cathédrale). Ce qui aurait pu être indigeste s'avère assez agréable - quoique long, c'est vrai, et parfois même un peu répétitif.

p. 300, §6 : Mère Cécilia annonce que le comte Roland a repris ses esprits.

p. 398 : Merthin examine le corps de sa bien-aimée Caris.

pp. 431/2 : Philémon discute avec sa sœur Gwenda de la possibilité de faire appel au comte de Shiring.


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