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"Suddenly last summer" : polar freudien

Par Vierasouto

Violette et Sebastien, c’est ainsi que Mrs Venable voyait ses relations de mère abusive avec son fils unique mort quelques mois auparavant.
Avant même d’apparaître, on entend la voix de Violette Venable (Katarine Hepburn) depuis l’ascenseur privé de sa somptueuse maison, elle répète déjà à l’envi "Sébastien disait…"  Le Dr Cukrowicz (Montgomery Clift), jeune neurochirurgien expérimentateur d’une variante de lobotomie, vient lui rendre visite, à sa demande. Et surtout à la demande pressante du directeur de l’hôpital psychiatrique où le médecin est obligé d'opérer dans des conditions rudimentaires. On parle d’un million de dollars de don à l’hôpital, Mrs Venable a déjà mis ses avocats sur le coup, en échange d’un petit service…
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La première scène du film montre une opération du Dr Cukrowicz effectuant une lobotomie selon sa méthode devant des étudiants en médecine, le projecteur tombe en panne… Affolé, le directeur trouve une solution pour renflouer les caisses : la proposition tombée du ciel de Violette Venable…
Pendant leur première entrevue chez elle, Violette Venable parle surtout au docteur C de son fils Sebastien qui l’obsède mort comme vivant. De son voyage cet été en Europe, il n’est jamais revenu, mort d’une crise cardiaque. Sebastien était un poète, un artiste, un esthète, mais cet été, il n’a pas rédigé son poème annuel, preuve que quelque chose n’allait pas… Et ce quelque chose, Le Dr C ne tarde pas à l’apprendre, c’est que, contrairement à tous les étés de sa vie, Violette Venable n’a pas accompagné son fils en voyage… C’est Catherine, sa nièce, qui a pris sa place… Cette nièce dont Violette prétend qu’elle a perdu la tête le jour de la mort de Sebastien. Enfermée depuis son retour à l’institution Sainte Marie, Catherine, sujette à des crises de nymphomanie, a tenté de violer un jardinier sexagénaire, mais le pire, c’est qu'elle invente des horreurs sur son cousin. La lobotomie du Dr C semble à Violette le remède qu’il faut à Catherine pour qu’elle cesse de salir la mémoire de Sebastien...
On transfère alors Catherine à l’hôpital public où exerce le Dr Cukrowicz. Auparavant, a lieu la première rencontre du Dr Cukrowicz avec Catherine (et la première apparition de Liz Taylor) à l’institution Sainte Marie. Surveillée par une revêche religieuse qui l’empêche de fumer et l'accuse de l'avoir brûlée intentionnellement, le Dr C comprend immédiatement que la jeune femme est traumatisée mais pas malade. A l’hôpital public, le Dr C a mis Catherine dans une chambre seule pour lui épargner le contact avec une population digne d’un asile du siècle dernier. Les scènes de Liz Taylor penchée au dessus de la «fosse» (salle de récréation...) depuis une mezzanine, la première scène où elle y atterrit par mégarde, devenant la proie des hommes aliénés parqués dessous, la seconde scène où, au dessus de la «fosse» des femmes cette fois, en robe noire très chic, elle escalade la mezzanine pour tenter de se suicider, sont cultes. Liz Taylor y est époustouflante.
Comme dans beaucoup de ses livres dont ceux adaptés au cinéma, par exemple, "Un tramway nommé désir" ou "Le Visage du plaisir", Tennessee Williams met en scène un sujet qui lui tient à cœur : la femme enfant vieillissante qui refuse son âge de façon pathologique jusqu’à en perdre la raison : la Blanche Dubois du "Tramway", la riche veuve américaine à Rome du "Visage du plaisir" (toutes deux jouées par Vivien Leigh) : "vous vous attendiez à une vieille femme?", fait Violette, coquette, au Dr C quand elle le rencontre. Non seulement Violette Venable est amoureuse de son fils mais elle s’illusionne qu’ils forment un couple couple de stars du même âge et d’une beauté égale, d’une élégance sans équivalent. Second thème de prédilection de TW, corollaire du précédent : la valeur beauté et la perte de la beauté imputable au vieillissement. Bien qu’elle déteste sa nièce, Violette Venable est frappée par sa beauté, elle ne peut s’empêcher de le faire remarquer, inconsciemment, elle sait ce qui a attiré son fils, préoccupé d’esthétique et de séduction avant tout. En contrepoint, la mère de Catherine, moche, ruinée, sotte et craintive, l’exaspère, le portrait est cruel, la femme ne cesse de jacasser pour aligner des banalités, obséquieuse, surnuméraire, maladroite, veule, elle accepte de signer l’enfermement de sa fille pour ne pas perdre l’héritage de Sébastien. C’est peu dire que Tennessee Williams charge le personnage invisible de Sebastien, décrit comme faux artiste, un infirme social, un parasite, un incapable tyrannique luttant contre la dépression en faisant le tour du monde ou en installant une jungle dans le jardin de sa mère. Troisième sujet omniprésent dans les pièces de TW : la dénonciation de l'homosexualité honteuse (Violette prétend que son fils est chaste) qu'on lui reprochera à lui, en son temps, en tant qu'écrivain. Enfin, la jeune soeur de l'écrivain fut victime dans la vie d'une lobotomie...

Le récit final de Liz Taylor permet de revoir la scène où elle porte ce fameux maillot de bain blanc que son cousin lui fait porter parce qu’en sortant de l’eau, il devient transparent… (photo en haut de mon blog ! ! !) Un récit peu crédible (sil était isolé) mais tout à fait dans la logique du drame parfaitement scénarisé. La chaleur qu'il faisait ce jour-là, l'absence d'air et d'ombre, Liz Taylor installe, tout en racontant, une ambiance chauffée à blanc sur une plage tropicale hostile, le tout sur une musique lancinante, en superposant les images de la récitante et celles de ses souvenirs... De Sebastien, on ne verra jamais le visage, illustrant bien en cela l'idée que le jeune homme est plus une image idéalisée partagée entre sa mère et sa cousine, plus une création fantasmatique qu'une réalité, vivant, il était momifié, et, mort, il restera vivant... La fin est indulgente, Violette Venable fera un pas de plus dans le déni, préférant la folie douce à la vérité, ce qui épargnera sa nièce puisque son fils n’est plus mort... (brillante prestation de Katarine Hepburn).
Bien que tout le film soit outré et très récitatif, chacun raconte et se souvient (Violette, Catherine surtout), les monologues sont très longs, le récit de la vie et la mort de Sébastien captivent, le pouvoir de l’absent étant décuplé par les réactions passionnées des vivant(e)s. Mais, comme son prénom l’y prédestine, le récit est une variante du martyre de Saint Sebastien décliné depuis son séjour aux Galapagos avec sa mère, où il s’identifie aux petites tortues naissantes sorties de l’œuf dévorées par les rapaces, jusqu’à sa fin tragique à Cabeza de Lobo… Violette insiste que ce jour-là, Sebastien a vu Dieu, tout le film aura ainsi des consonnances de récit biblique éclairé par la psychanalyse, science qui elle-même enprunte la plupart de ses références à la mythologie (je viens de lire que la mère d'Oedipe s'appelait Violette en grec..). Joseph Mankiewicz sait installer dès le départ une ambiance menaçante, utilisant les plans des instruments tranchants de chirurgie qui glacent le sang, voire même le simple plan de la pancarte de l’hôpital. Entre la psychiatrie, les névroses des uns et les traumatismes des autres, l’homosexualité inavouée du fils et la folie destructrice de la mère, la coupe est pleine. Et pourtant, ça fonctionne, un film admirable qu’on n’oublie pas de sitôt…
Ce film vient de sortir en reprise sur les écrans mercredi dernier.

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