De l'assassinat de Descartes : entre l'anecdotique et l'improbable

Hier, nous évoquions les travaux de Theodor Ebert, qui publie un livre évoquant le possible assassinat de Descartes, le philosophe français, qui serait mort à grand coup d'arsenic.
Contacté par la rédaction de ActuaLitté Charles Ramond, professeur des universités à l'UFR de philosophie de Michel de Montaigne Bordeaux 3 nous donne son point de vue sur le sujet. (en savoir plus)
Charles Ramond : Par certains côtés, cette hypothèse rencontre bien d'autres lectures de la vie de Descartes, que je partage en partie : à savoir qu'il y a de fortes chances pour qu'il ait été protestant plutôt que catholique. De ce point de vue, on peut très bien comprendre le dédain opposé à ces hypothèses par quelqu'un comme Jean-Luc Marion. Mais de là à conclure à un assassinat...
Il y a tout de même une faille visible dans le raisonnement de votre auteur : on aurait pu admettre à la rigueur l'idée d'un assassinat "politique" : Descartes faisant; par son protestantisme discret, obstacle à la conversion d'une princesse vers le catholicisme, on aurait pu avoir envie de le supprimer - du moins, ce n'est pas une hypothèse totalement aberrante, tant la renommée de Descartes était importante.
On ne doit pas oublier que Descartes a passé 30 ans de sa vie (sur 54) dans une sorte d'exil volontaire en Hollande, où il a été d'ailleurs en butte plusieurs fois à de quasi-persécutions (affaires d'Utrecht et de Leyde). Ses inquiétudes connues n'étaient sans doute pas infondées, et il avait des ennemis.
Mais à cela s'oppose ce que reconnaît lui-même l'auteur du livre, à savoir qu'il n'y a aucune trace d'un plan "politique" de la part de Rome, que c'est même peu vraisemblable, etc; si bien qu'il finit par conclure que Viogué « ne voulait peut-être que faire son fanfaron » ?!! Légitimation extrêmement peu plausible, qui ne pourrait tenir que si on pouvait montrer, par exemple, que Viogué (attention, éventuellement, au canular) était fou, et en voulait personnellement à Descartes.
Mais si Descartes avait été assassiné par un fou (comme ça peut arriver à n'importe qui), cela n'aurait pas plus d'intérêt qu'un fait divers (comme s'il avait été par exemple écrasé par la chute d'un arbre). Et si Viogué n'est pas fou, le motif de l'assassinat manque, tout simplement... à ce stade, on reste donc entre l'anecdotique et l'improbable.
Sans rien exclure a priori, par principe, je reste donc très circonspect tant que tous ces points n'auront pas été examinés et éclaircis.