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La vie est une blague !

Publié le 13 février 2010 par Perce-Neige
La vie est une blague !
Souvent, ce sentiment de ne pas avancer (du moins, pas assez vite, ou pas dans la bonne direction, l’enfer...). Ou bien, la crainte de ne plus se souvenir de rien. Vous aussi, peut-être, parfois… Justement, et tout cela tombe très bien, au fond, je lis ceci, de Stephen Dixon, dans « La vie est une blague » (traduit par Christine Rimoldy) : « La lumière pointe à travers la fenêtre. Je n'aime pas la lumière. Je baisse le store. La pièce est plongée dans l'obscurité. Je n'aime pas l'obscurité. J'allume le plafonnier. Je n'aime pas la lumière. J'éteins la lumière. Je n'aime pas l'obscurité. J'allume une bougie. Je n'aime pas la lumière. Je souffle la bougie. Je lève le store. La nuit est tombée. Lumière de la lune qui se lève. Lumière de la lune qui s'est levée. Je n'aime pas la lumière de la lune. Je baisse le store. Je n'aime pas l'obscurité dans laquelle la pièce est plongée. Je craque une allumette. Je n'aime pas la lumière. Je secoue l'allumette pour l'éteindre. Je lève le store. La pièce est toujours plongée dans l'obscurité. Dehors aussi c'est l'obscurité. Pas d'étoiles. La lune a disparu. Pas de lumière dans les maisons ni dans la rue. Tout est plongé dans l'obscurité. Je n'aime pas l'obscurité. J'allume la lampe électrique. Cette lumière n'est pas désagréable. Pas agréable non plus. C'était la seule lumière que je pouvais encore aimer. Je n'aime pas la lampe électrique. Je me mets sous les couvertures avec cette lumière que je n'aime pas. J'éteins la lumière. C'est l'obscurité. Le noir. Je n'aime pas cette noire obscurité. J'essaie de m'endormir. Je n'arrive pas à dormir. J'essaie. Je n'arrive pas à dormir. Je cesse d'essayer. Je n'arrive toujours pas à dormir. Je reste allongé à penser au fait de dormir. Que je n'arrive pas à dormir. Que je veux dormir. Des choses défilent dans ma tête. Des visages. Des films de cinéma. Des lunes. Des étoiles. Des flashes. Des photos. Des éclairs zébrés. Des étoiles filantes. Des signaux électriques. Des explosions. Des feux. Des visages. Encore des visages. Des visages familiers. Pas simplement des visages qui passent, mais des visages qui marquent. Un frère mort. Des grands-parents morts. Une mère morte. Une sœur morte. Un ami mort. Beaucoup d'amis morts. Des amantes mortes. Des chiens morts. Des mouches mortes. Un père mort. Un cheval mort. Une maison morte. Des piles mortes. Des rues mortes. Des arbres morts. Des dents mortes. Des postes de radio morts. Une langue morte. Un rein mort. Une terre morte. Des artères mortes. Des veines mortes. Je me retourne pour ne pas être obligé de voir toutes ces choses, toutes ces créatures ni ces parties et ces touts morts. Des pensées me traversent l'esprit. Endors-toi. Ne dors pas. Va te promener. N'y va pas. Ne te promène pas. Allume la lumière. N'allume pas la lumière. Ferme la porte. Ne la ferme pas. Ouvre la fenêtre. Ne la ferme pas. Saute. Mange. Ne le fais pas. Bois. Ne bois pas. Assieds-toi sur le pot, vomis, nettoie. Ne le fais pas. Essuie. N'essuie pas. Pisse. Ne pisse pas. Rampe, cours, joue, habille-toi, prie, apprends. Ne le fais pas. Dors. Ne le fais pas. Dors. Essaie. Siffle. Essaie. Souris. Essaie. Lève-toi, assieds-toi, regarde, ris, danse, rebondis. Essaie. Parle. Essaie. Parle. Essaie, essaie, essaie. J'essaie de parler. Je dis un mot. Ce mot, c'est « Uh ». « Uh » n'est pas vraiment le mot que je voulais dire. Et « Uh » ne doit pas être un mot. Peut-être dans certaines langues. Dans certains dictionnaires. Mais je ne pense pas qu'il existe dans ma langue ni dans mon dictionnaire. J'essaie de dire un autre mot. Ce mot, c'est « Uh-Uh ». Ce n'est pas le mot que je voulais dire. Et ça ne doit pas être un mot. Ça doit être deux mots. Qu'est-ce que ce « Uh-Uh » ? Je réfléchis. Deux mots ou un seul? Uh ne doit pas nécessairement être un mot pour que « Uh-Uh » en soit deux ou même un seul. Je ne trouve pas. Au fait, qu'est-ce que je cherchais à savoir? Endors-toi. C'est ce que je pense. Mange. Bois. Essaie. Lève-toi. Ce sont ces choses que je pense. Lève-toi. Marche. Parle. Essaie. Tombe. Assieds-toi. Roule. Essaie. Continue. Essaie. Continue d'essayer. Je m'assois. Me dresse. Je me lève. Je fais trois quarts de tour autour du lit. Je tire le lit pour qu'il ne touche plus le mur et que je puisse faire le tour complet. Je fais le tour complet du lit. Je le fais deux fois. Je repousse le lit contre le mur. Je saute sur le lit. Je saute par terre. Je tombe par terre. Je rampe sous le lit. Je reste sous le lit jusqu'à ce que j'en sorte en roulant. J'essaie de piquer un somme sur le sol. Je pense: pourquoi ne pas piquer un somme sur le lit ? Je pense: pourquoi piquer un somme? Je pense: pourquoi piquer? Je pense: pourquoi? Je pense. Je. Je me relève. Du sol. Je me mets à faire des exercices. Au sol. Voyons si j'y arrive encore? Pas sûr. Je touche mes orteils. J'y arrive encore. Je fléchis à fond les genoux. Pas mal, j'ai envie de dire. Trois pompes. Pas mal du tout, j'ai envie de dire. Allongé, mains derrière la nuque, je me redresse six fois de suite. Excellent, j'ai envie de dire. J'essaie de le dire. Je n'y arrive pas. Je réessaie de dire le mot excellent. Je n'y arrive pas. Je dis « Uh ». Je dis « Uh-Uh ». Ces mots. Ou ce mot. Je ne sais pas. Je pense que j'ai dû le savoir. J'essaie de me souvenir. Je n'arrive pas à me souvenir. » Bon, d’accord, la vie est une blague. Ca change tout !

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