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Interview de Mabrouck Rachedi

Par Gangoueus @lareus
Interview de Mabrouck Rachedi
Mabrouck Rachedi est un auteur que j'ai découvert par le biais de l'opération Masse Critique de Babelio. J'ai aimé son ouvrage "Le petit Malik" et j'ai eu le plaisir d'en savoir plus sur ce romancier par le biais de son blog plein de bonnes "vibes" intitulé NRF, Nouvelle Racaille Française. Je vous invite à vous plonger dans cette interview qu'il a accordé à votre modeste serviteur.
En gras, mes questions.
Vous êtes l’auteur de 3 ouvrages depuis 2006, 2 romans Le poids de l’âme, Le petit Malik et un essai L’Eloge du miséreux. Pouvez-vous nous parler de la réception de tes ouvrages par le public français ?
J’ai écrit mon premier roman, « Le Poids d’une âme », bercé d’une insouciance totale. La consécration était dans la parution de ce projet que je portais depuis l’adolescence et pour moi, l’histoire était close. Quand mon attachée de presse chez Lattès a tenu à m’informer du caractère aléatoire de la vie d’un livre et que je serais peut-être déçu de ne pas avoir de couverture presse, je lui ai presque ri au nez en lui prédisant qu’il n’y aurait pas le moindre article. Je n’étais que l’un parmi les centaines de romans de la rentrée littéraire après tout ! Oui mais voilà, à ma grande surprise, la presse nationale dans toute sa diversité a relayé la sortie du livre : Le Figaro Magazine, L’Express, Respect Magazine, 20 minutes, Le Nouvel Observateur, L’Intelligent, Elle, Le Parisien/ Aujourd’hui, Biba, La Marseillaise… J’ai aussi été nommé à une dizaine de prix littéraires et sélectionné aux deux seuls festivals du premier roman en France, Laval et Chambéry. Le livre a eu une carrière impressionnante et étonnamment longue puisqu’on me demande toujours de le présenter trois ans et demi après sa sortie ! « Eloge du miséreux » est sorti en 2007 et il a été lui aussi plutôt bien accueilli, faisant le grand écart entre les médias d’information pure et dure comme France Inter, France Culture, Le Monde, le journal de LCI, une pleine page portrait dans 20 Minutes, et des émissions de divertissement. Je me rappelle par exemple ce jour un peu fou où j’ai enchaîné les enregistrements des « Grosses têtes » de Bouvard sur RTL puis « On a tout essayé » de Ruquier sur France 2. « Le Petit Malik » a lui aussi bien vécu sur des supports divers. La télé avec « Des mots de minuit » sur France 2, « Enquête exclusive » sur M6 , le 19/20 sur France 3, « Bouge la France » sur La Chaîne Parlementaire, la radio avec « Noctambule », « Noctiluque », « La librairie francophone » sur France Inter, « Le choix des livres » sur France Culture et, chose nouvelle, un intérêt assez soutenu des blogueurs comme un certain Gangoueus ! J’ai aussi pu sillonner la France dans plusieurs dizaines de salons du livre et des interventions scolaires, où j’ai recueilli des centaines de réactions directes du public, lesquelles étaient largement enthousiastes. Bref, je ne peux pas me plaindre de l’accueil fait à mes livres, d’autant que, cerise sur le gâteau, ils me conduisent maintenant de plus en plus hors des frontières et que « Le poids d’une âme » a été traduit en italien.
Je vous ai découvert au travers de votre dernier roman illustré, Le petit Malik sorti aux Editions Jean Lattès. L’histoire des premières années de vie (enfance, adolescence, adulte) sous forme d’anecdote d’un jeune des cités. On retrouve dans la forme quelques références cinématographique à La haine de Mathieu Kassovitz notamment ou encore littéraire avec le Petit Nicolas de Sempé. Est-ce un terreau qui vous a influencé ?
J’ai lu « Le petit Nicolas », j’ai vu « La haine » mais je ne pensais pas consciemment à ces deux références quand j’écrivais « Le petit Malik ».
Pour tout vous avouer, « Le petit Malik » n’était pas mon premier titre et je n’avais pas envisagé d’y ajouter des illustrations. C’est mon excellente éditrice qui, lorsqu’elle a lu le manuscrit, a opéré le rapprochement entre le ton de l’un et de l’autre. Elle m’a suggéré le titre, que j’ai immédiatement trouvé très bon. J’avais été moins séduit par l’idée des illustrations mais, à la réflexion, j’ai trouvé l’idée brillante à condition qu’elles soient réalisées par quelqu’un de talentueux connaissant très bien l’environnement urbain. J’ai associé immédiatement associé ces deux qualités à Eldiablo, le créateur/dessinateur des « Lascars » que j’avais eu la chance de côtoyer à Respect Magazine où nous collaborons tous les deux. Aussitôt qu’il a lu le livre, il a dit oui et a apporté son regard à la fois intelligent, drôle et caustique. Quant à « La haine », j’ai beaucoup aimé le film mais il ne m’a pas consciemment inspiré.
Je pensais à La haine, avec cette histoire en vingt quatre heures, d’une bande de trois potes dont la vie va basculer. Un juif, un noir et un arabe. Comme dans votre roman. Mais la comparaison s’arrête là. Le parcours de chaque élément de cette bande va prendre une tournure singulière. Voir dramatique. C’est votre vision de ce qu’on appelle « Cité », à savoir des parcours qui semblent aléatoires ?
Les destins de Salomon, Malik et Abdou sont contrastés. Salomon fait tout pour s’en sortir, Abdou s’enfonce dans l’apathie et Malik louvoie entre ces deux trajectoires. Cela dit, je précise que j’ai une ambition avant tout romanesque : je raconte une histoire, je n’ai pas la prétention d’asséner mon point de vue sur la cité. Les destins sont jusqu’à un certain point conditionnés par l’environnement dont je décris certains traits par petites touches, mais je m’attache surtout à la vie quotidienne des personnages, à les incarner plutôt que de revêtir les habits d’un sociologue que je ne suis pas.
Dans vos deux romans, les personnages se meuvent dans ces banlieues « chaudes » de France. Est-ce votre unique source d’inspiration ? Quel regard portez-vous sur le traitement de la thématique des banlieues et la question de l’intégration des jeunes issues de l’immigration ?
Pour mes premiers pas littéraires, j’ai décrit des univers que je connais, en me nourrissant de mon expérience de banlieusard. C’est un terreau fertile qui laisse libre cours à des possibilités multiples. Entre « Le poids d’une âme », récit d’une vie qui bascule dans le fait divers, et « Le petit Malik », chronique de la vie ordinaire, la différence est grande. « Le poids d’une âme » repose sur la construction croisée des destins et la dynamique de l’action, « Le petit Malik » prend plus son temps, s’attarde plus sur les personnages.
Mais ce n’est évidement pas mon unique source d’inspiration. Entre « Le poids d’une âme » et « Le petit Malik », j’ai écrit « Eloge du miséreux » qui ne parle pas du tout de banlieue. J’ai d’autres idées se déroulant dans d’autres cadres que je ne manquerai pas de coucher sur papier.
Quant au traitement médiatique des banlieues dans les médias, je déplore qu’on n’en parle qu’en cas d’explosions de violence. Entre deux accès, c’est comme si elles n’existaient pas. D’où l’intérêt pour moi de raconter ce qu’on ne voit pas par le petit bout de la lucarne télévisuelle, avec le temps et la liberté qu’offre l’écriture romanesque
Comprenez-vous la désertion de cette thématique par les plus grands auteurs de la littérature française quand on se remémore les récentes émeutes de novembre 2005 ?
Les écrivains parlent avant tout de ce qu’ils connaissent pour mieux incarner leurs personnages, pour crédibiliser les situations. Un écrivain, aussi grand soit-il, pourrait écrire un très beau roman en toc si sa plume se nourrissait d’un terreau artificiel. Plutôt que d’attendre qu’un écrivain « consacré » s’intéresse aux banlieues françaises, j’espère que l’un d’entre nous deviendra un grand écrivain.
Avez-vous le sentiment d’être estampillé « écrivain de banlieue » ou pas ?
Je pense que c’est de moins en moins le cas. Avec « Le poids d’une âme », je me retrouvais parfois dans des articles aux titres comme « La littérature black, blanc, beur », « La littérature de la rue », « La littérature de banlieue », où on me considérait autant comme un fait social plutôt que comme un fait littéraire. Aujourd’hui, après trois livres, on me voit comme un écrivain à part entière. La reconnaissance de mon travail, mes publications régulières m’ont donné droit à un certain respect. Le public, lui, ne m’a jamais donné d’étiquette et j’ai eu jusque-là beaucoup de chance d’avoir un contact franc et chaleureux avec mes lecteurs.
Vous êtes revenus en novembre dernier d’une résidence littéraire aux Etats-Unis. Que retenez-vous de cette expérience au pays de l’oncle Sam ?
Tout d’abord, cela a été à la fois une surprise et une récompense. Être le premier Français choisi depuis 10 ans par l’Université d’Iowa City, surnommée le « Harvard des écrivains », parmi des valeurs montantes de la littérature mondiale était inattendu et participe de la reconnaissance grandissante vis-à-vis de mon travail dont je parlais précédemment. Nous étions une quarantaine d’écrivains d’une trentaine de nationalités différentes. Poètes, romanciers, essayistes, dramaturges, scénaristes… la diversité était autant liée aux différences de nationalités qu’à nos différentes formes d’expression. Chaque jour, à chaque discussion, j’apprenais lors des nombreuses conférences, lectures, débats mais aussi et surtout dans les moments anodins de la vie quotidienne. J’ai vraiment vécu pendant trois mois le côté universel de l’humanité, ce que j’appelle notre identité internationale.
Comment avez-vous été accueilli outre-Atlantique ?
Excellemment ! Je venais avec l’étiquette de l’intellectuel français, label extraordinairement prestigieux aux Etats-Unis. Pour les Américains, j’étais le descendant de Sartre, Camus, ce qui a mis une certaine pression sur mes frêles épaules ! Mes interventions, mes lectures, mes débats ont ouvert les spectateurs américains à une autre réalité que celle du Paris des cartes postales ou, à l’inverse, des dangereux belligérants de la guerre civile en banlieue (parce qu’il faut savoir que les émeutes de 2005 ont été couvertes comme une véritable guerre civile par des médias comme Fox News).
Vous animez un blog passionnant, où je viens régulièrement lire des rubriques pleines de bonne humeur et dans lesquelles vous maniez la langue de Molière avec espièglerie. Le titre est La NRF : La Nouvelle Racaille Française. Un clin d’œil au président de la République ? Une revendication ?
Mon blog est presque aussi passionnant que le vôtre, que j’aime beaucoup.
Dans mon tout premier post, j’avais expliqué les raison de ce nom. Nouvelle parce que j’espère apporter un ton, un souffle, une fraîcheur. Racaille parce que c’est un mot démocratique, utilisé aussi bien par le Président que par Malik, Salomon et Abdou, mes voisins de pallier. Française car que c’est ma nationalité. Nouvelle Racaille Française, ce sont aussi des initiales, NRF, qui s’inscrivent dans la tradition culturelle de la belle littérature. Cela dit, c’est un nom plus humoristique que revendicatif !
Quelle expérience tirez-vous des nouveaux outils de communication fournis par le web 2.0 : blogs et réseaux sociaux ? Pouvez-vous nous en parler ? Est-ce que cela influence votre travail d’écrivain, à savoir cette interaction plus grande avec vos lecteurs ?
Je ne suis pas un grand théoricien des nouveaux outils de communication, même si je les utilise pas mal. Je suis devenu un Facebook addict, accro aux statuts et aux groupes ! C’est un outil de convivialité formidable. Le côté très sympa, c’est que cela met directement en relation le lecteur et l’auteur. J’ai reçu des dizaines et des dizaines de messages d’universitaires, de bibliothécaires, de professeurs, d’élèves, de lecteurs de plein de régions de France, des Etats-Unis, de Belgique, d’Algérie… Certains journalistes ou des organisateurs de festivals me contactent parfois directement et même deux éditeurs ! J’ai moi-même pu entrer en relation avec des personnes que j’admire. Des gens me découvrent aussi via mon blog ou ma page Facebook mais surtout, je noue des amitiés réelles, c’est ce qui m’importe le plus.
Sur votre blog, vous partagez un certain nombre d’expériences, notamment vos interventions dans des classes du secondaire. Est-ce une expérience satisfaisante pour vous ? En quoi consistent vos interventions et comment êtes-vous reçu par les élèves et les enseignants ?
J’adore les interventions scolaires où j’ai l’impression de donner un peu ce que j’ai reçu de l’école. Je dis souvent que la plume est mon arme d’expression massive et les interventions scolaires sont mes armes de transmission massive. L’accueil des profs, des documentalistes, des bibliothécaires et des élèves est extraordinaire. Les élèves ne calculent pas, ils disent de façon directe ce qu’ils pensent d’un livre. Il m’est arrivé plusieurs fois que des jeunes m’avouent avec enthousiasme que, grâce à moi, ils lisaient un livre pour la première fois. A Bezons, un élève a même acheté un exemplaire du « Petit Malik » à son CDI pour avoir une dédicace de ma main !
Pouvez-vous nous parler de votre travail d’écrivain ? Les conditions qui doivent réunis pour que vous puissiez écrire ? Une journée d’écriture chez Mabrouck Rachedi, c’est comment ?
La seule condition, c’est l’inspiration. Quand elle vient, je deviens monomaniaque et peut écrire des heures sans voir le temps passé, me réveiller en pleine nuit pour coucher une idée sur papier. Ma journée devient alors inféodée à cette muse versatile qui fait de moi l’instrument servile de sa volonté souveraine et me rend difficilement vivable. Sinon, les autres jours, je suis un garçon très bien qui dit « bonjour » et « au revoir » à ma boulangère !
Est-ce que vous travaillez sur un roman présentement ? Pouvons-nous avoir quelques pistes, quelques fuites sur cette nouvelle production?
Je travaille effectivement sur un nouveau roman. Par superstition, je préfère ne pas en parler pour le moment.
Quels sont vos auteurs préférés ?
Il y en a tellement… Si je ne devais en citer qu’un, ce serait Gangoueus !
Vous avez abandonné un métier très lucratif d’analyste financier pour vous lancer dans l’écriture, activité beaucoup plus précaire. Par goût du risque ou par vocation ? Sans regrets ?
J’avais le choix entre gagner pas mal d’argent ou vivre ma passion. J’ai choisi la passion, même si ça comporte certains sacrifices. Il m’est parfois arrivé de me demander si c’était le bon choix mais à ce stade de ma vie, avec tout ce qui m’arrive et ce qui, j’espère, est devant moi, je suis très heureux de ce choix.
Quels romans recommanderiez-vous aux lectrices et aux lecteurs de ce blog ?
« Le poids d’une âme » et « Le petit Malik », bien sûr !

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