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Pornéïa

Publié le 16 février 2010 par Chroniqueur

Pornéïa


On a donné un nom à ces images de kidnapping du nu: on les a appelées "pornographie". La pornographie, c'est une mise en scène de l'absence. On a détouré le corps afin de n'en garder que sa seule carnation, en veillant à ce qu'aucun surplus d'être n'apparaisse. Une fois la tendresse de la chair court-circuitée, le script d'un simulacre de jouissance peut se jouer sur fond de solitudes, ad libitum. La nudité neutralisée par le glauque, affranchie de son enveloppe humaine, se métamorphose en une décomposition de clichés kaléidoscopiques réfléchissants d'infinies combinaisons sexuelles.
Les noces de la chimère et du râle trouvent leur origine dans la sphère brutale de l'imaginaire masculin. Mythe d'un rapt consenti, de la possession abrupte et malveillante de celle qui, dans le réel, est libre de s'échapper dans un éclat de rire papillonesque, insupportable pour le frustré. La consommation de ces scènes obnubilantes lui donne une vaine impression d'emprise sur celle qui se livre consentante dans l'angle du cru, celle à qui tout manque alors pour rester femme, qui n'est plus que louve évidée de sa beauté, de son charme, de sa sensualité, de toutes ces propriétés qui sont un défi pour le phallocrate impuissant à la conquérir. Empaillée, elle ne le blessera plus. Effacée, elle n'offrira plus de résistances à la domination de l'organe roi qui trône en majesté au côté de Pornéïa reine. Ces deux dictateurs des contrées du bas-ventre défigurent Eros, ce jeune dieu vigoureux. Tout ce qui fera obstacle à l'orgiaque dégorgement de fantasmes sera banni. Ici, le petit mâle peut se vautrer dans son stupre mental à sa guise.
Les femmes-jouets que Pornéïa met en scène n'ont ni regard, ni parole. Elles accomplissent une chorégraphie charnelle qui n'est de loin pas innée. Contrairement à ce que pourrait assez facilement croire l'adolescent qui, fort d'un détour sur les incommensurables décharges du web, pourra être intoxiqué durablement par cette vision préfabriquée de la sexualité. C'est une violence qui lui est faite, dont on ne mesure pas les séquelles, ce qui est d'autant plus dommageable que c'est précisément ce dont il ne parlera pas. Parce que maintenant, il lui faut être un homme, il doit être comme les grands qui sont là, en l'occurrence, représentés à l'échelle du minus. Heureusement pour lui, il s'apercevra rapidement que sa petite amie ne disparaît pas entre un "moteur" et un "coupez". Et pour cause. Il devra compter avec cette fille qui lui dit que ça ne lui convient pas, qu'il est brusque ou qu'elle ne comprend pas vraiment à quoi il veut en venir en lui mettant la tête à l'envers. Que non, sa meilleure copine ne s'y prêtera pas. Elle lui oppose une volonté qu'il ne se souvient pas d'avoir vue dans ces clips qui se limitaient à une simple dépense physique. Il doit apprendre à composer avec cette demoiselle beaucoup moins amusante que ce que muse Pornéia lui avait fait miroiter. La solitude-nullitude de son écran plat sur lequel défilent des bouts d'anatomies warholiennes haletantes et hyper-dociles, ce serait donc du vrai faux spasmique ? Son grand malheur du reste serait de rencontrer une de ses créatures mâlement normées, qui a cru la fable qui conte qu'on l'aimera si elle permet tout et surtout tout ce qu'elle ne veut pas. Celle-ci pâtira de l'illusion de toute puissance qu'elle contribue à alimenter chez son bourreau.
Le mensonge de Pornéïa, c'est de faire croire à la possibilité d'une jouissance où l'autre aurait quitté la place, dont l'humanité serait aliénée pour ne devenir que pures convulsions, dépouillées de toute identité, infiniment interchangeable, n'ayant de spécificités qu'anatomiques. La négation d'un visage est un viol. Il est donc urgent de dire au jeune adolescent qui s'approche de ces premières et si chères expériences que, dans l'ordre humain, la vigueur du plaisir est intimement liée à la reconnaissance non négociable d'une voix et d'un visage. En les accueillant, le temps d'une nuit ou d'une vie- peu importe - il se fera le garant du bien le plus précieux: la dignité. C'est bien pour cela que le pied géant, c'est un "encore" murmuré durant l'étreinte: donne-moi encore la joie de me sentir pleinement être, respectée, en train de savourer cette émotion jubilatoire dans tes bras. Autant dire qu'à cet instant, Pornéïa et son cortège de chimères mortifères, s'évanouissent comme des feux follets.
Image: www.jeanyveslemoigne.com


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