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Umar TIMOL : extrait de projet de roman (Journal d'une vieille folle).

Par Ananda

Il faut reconnaître que la haine de soi, alors que l’on vit à l’ère de la pensée positive, est un sentiment plutôt sympathique. Car nous sommes, après tout, programmés pour positiver, les multinationales nous invitent à consommer leurs conneries pour ‘devenir ce qu’on est’, les gardiens de la foi nous rappellent qu’il ne faut pas perdre espoir car l’au-delà veille sur nous, les politiciens nous font des promesses saugrenues et la boite à images nous administre notre dose quotidienne de rêves et de mensonges. La haine de soi, en d’autres mots, le refus du positif, le refus de se laisser berner, le refus de jouer, de prétendre, le désir de la mort, ce cocktail explosif de dégout et de mélancolie est un lieu de subversion et de révolte. Je suis certain que personne n’y a pensé. Comme quoi la vieille folle fait preuve d’originalité.

Corps il est vrai amorphe mais intelligence très aiguisée.

Qui l’aurait cru ?

Je me déteste. Pour de nombreuses raisons, certaines farfelues, d’autres grotesques mais je n’y peux rien, c’est plus fort que moi. Je déteste mon corps pâteux, je déteste ces rides qui préfigurent le cadavre, je déteste vieillir, le lent et systématique délabrement de ma substance, je passe sur les aspects les moins reluisants, je suis après tout une bourgeoise, polie et respectable mais on dira que je passe désormais un temps fou en un lieu précis mais la pudeur m’oblige ici à taire son nom, je déteste ce corps assailli de partout, je déteste le savoir du non retour, je me déteste parce que je suis condamnée à l’anéantissement, à n’être qu’un sac d’os.

Je me déteste parce que je suis une adepte de l’usage de la médiocrité. Cette vie, commencée sous les auspices de la foi, devenue ensuite une caricature, vie minable, confinée dans ce maudit appartement, à subir les frasques de mon mari, ce sentiment d’être tout à fait inutile, là-bas, dans l’ile exotique, un rien suffit à vous faire exister, il se trouve toujours des gens pour vous rappeler à votre devoir d’existence, le moindre microbe est quelqu’un mais ici on n’est rien, on patauge dans le grand vide du froid et de la solitude, le microbe sait qu’il est microbe et il subsiste dans les égouts de la ville.

Il ne faut pas croire, pour autant, que je me complais dans la haine, je me suis longtemps battue pour m’en défaire mais il arrive un moment où il faut baisser les bras, il est des démons en soi et il est inutile de tenter de les vaincre. Je me déteste et j’y puise paradoxalement une grande satisfaction, une grande jouissance, cette haine est et me permet de revendiquer une présence au monde.

C’est sans doute pour cette raison que je t’aime, l’amour comme un antidote à la haine, mais non pas tout à fait un antidote mais plutôt un opiacé qui interrompt temporairement la vague prévisible de la douleur. Ainsi quand tu es la les vendredis il y a comme une énergie sombre qui m’envahit, une nouvelle vitalité m’engorge, je respire, je suis, j’existe, je sais le bonheur à portée de mains, je devine la cohérence de l’univers, je sais sa beauté, ses harmonies, je sais alors que tout est amour, je m’empêtre dans un vaste élan de compassion, je suis prête à tout aimer, tout comprendre, tout pardonner, je suis une sainte en devenir, je suis heureuse, à ma façon. J’ai presque envie de m’aimer. Mais pas pour longtemps. Heureusement. Il ne faut surtout pas abuser du bonheur.

La haine de soi, une nouvelle philosophie en ces temps de confusion. Je me vois bien, sans rigoler, à la tête d’une secte, la secte de la haine de soi. J’ai raté ma vocation, celle de guru et de maître spirituel.

Umar TIMOL.


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