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Ré, un péage pour rester chic

Publié le 04 février 2010 par Blanchemanche
Histoire. Vingt ans après la construction du pont, les Rétais craignent que la gratuité, prévue en 2012, entraîne un afflux de visiteurs qui dénature l'île et fragilise l'environnement.
Au large de La Rochelle, la chiquissime île de Ré s'inquiète. Une pétition circule pour «sauver l'île» d'une invasion barbare. Car en 2012, le péage du pont de 3 km au tracé en courbe, qui a aujourd'hui vingt ans, doit être supprimé (puisque l'emprunt contracté pour sa construction sera définitivement remboursé). L'île blanche, qui abrite 17 000 âmes, craint alors de voir affluer les foules, notamment parmi les 140 000 habitants de l'agglomération située de l'autre côté du pont. L'exemple voisin d'Oléron sert d'épouvantail. «La gratuité du pont de l'île d'Oléron [en 1991, ndlr] a été une catastrophe, causant l'essor d'un tourisme à la journée, de moindre qualité, et une saturation des routes», déplore Maxime Bono, député-maire (PS) de La Rochelle, à l'unisson du conseil général de Charente-Maritime et des élus rétais. Une très grande majorité des habitants sont sur la même longueur d'onde. Y compris chez ceux qui vivent du tourisme. «Le pont gratuit, c'est la mort de l'île», affirme une employée d'hôtel. Et sa patronne de renchérir : «On va assister à un défilé de voitures, de camping-cars, et de gens qui vont pique-niquer sur les plages.»
3 millions de passages par an. Il faut dire que depuis son ouverture le 19 mai 1988, le nombre de passages a doublé, passant de 1,5 à 3 millions. «Jusque-là, vivre ici était un privilège, estime Pascale, de La Flotte. On ne peut pas se permettre d'engorger l'île tous les week-ends où il fait beau.» Avec des bouchons de 10 km, le spectacle de la Pentecôte a ranimé la peur. De son bureau au bord de la route, Patrice Raffarin, le maire de Rivedoux-Plage, commune la plus proche du continent, raconte : «Rivedoux est le paillasson de l'île. Trois millions de passages par an, c'est autant de voitures qui ont traversé notre commune. On voit même des 4x4 passer par la plage pour rejoindre le pont !» Rares sont ceux qui osent s'interroger, comme Christine, de Saint-Martin-de-Ré, dans le journal local : «Pourquoi cette île ne serait-elle pas accessible à tous ?»
Avec la protection de l'environnement, les élus ont une caution en béton. Car si le sud de l'île est exposé au trafic, le littoral au nord est lui devenu très fragile : la magnifique plage de Trousse-Chemise perd ainsi plusieurs mètres de sable par an, selon Pierre Pailleret, président de l'association pour la sauvegarde des sites du village des Portes. Et avec celle-ci, cinq associations écologistes ont signé un accord contre la suppression du péage. Car, grâce à la loi Barnier de 1995, l'île bénéficie d'une écotaxe pratiquée sur le tarif été (16,50 euros) au péage du pont de Ré. Fixée à 3,05 euros, elle a rapporté 1,2 million d'euros en 2007 et sert «au financement exclusif de mesures de protection et de gestion des espaces naturels». Concrètement, à effectuer des acquisitions immobilières qui empêchent l'urbanisme sauvage, à aménager les dunes, à réaliser des études ou encore à veiller au respect des lieux. C'est la mission de deux écogardes, ambassadeurs à cheval de la cause écolo, rémunérés grâce au péage.
Mais la défense de l'environnement ne fait-elle pas aussi office d'alibi pour cacher une inquiétude moins avouable : la peur de voir baisser les prix de l'immobilier et entamer le patrimoine de beaucoup d'habitants ? «Ce qui fait les prix, c'est la qualité environnementale de l'île», souligne Lionel Quillet, président de la communauté de communes. En moyenne, les habitations se sont vendues 490 000 euros l'année dernière, avec un record à 4,7 millions. «La gratuité du pont peut entraîner une baisse si les gens qui venaient là pour être tranquilles mettent leur maison en vente», affirme Catherine Duplessis, gérante d'une agence à Saint-Martin-de-Ré. D'autres évoquent carrément la peur de la «racaille de Mireuil» (une banlieue de La Rochelle), qui emporterait avec elle son lot de délinquance et de cambriolages.
Mais le maire de Rivedoux, fils d'ouvrier, rappelle que «numériquement, le tourisme populaire est toujours majoritaire, notamment grâce à de nombreux campings». Il a pris le sujet à coeur et organisé plusieurs grands débats. Pour lui, pas question d'empêcher quiconque de venir, mais plutôt de limiter la circulation, notamment en développant les transports en commun et en construisant une voie souterraine. Ce serait le but du maintien du péage sous forme d'écotaxe. Aux yeux de Maxime Bono, qui proposera bientôt une loi dépassant le cadre de l'île, l'écotaxe doit ainsi financer la protection de l'environnement et une politique de transports adaptée.
«Belle connerie». Le point épineux concerne les Rétais eux-mêmes, qui passent gratuitement le pont depuis 2004 et sont responsables de la moitié du trafic. Seront-ils prêts à payer pour «sauver leur île» ? Beaucoup l'affirment, au moins pour un montant symbolique, reconnaissant que cette gratuité a été «une belle connerie». «Si on veut légitimer le projet d'une écotaxe, il va bien falloir qu'on mette la main à la poche», confesse une habitante de Saint-Martin.
Source: Libération

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