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Les Deux Magots

Par Jean-Jacques Nuel

De tous les cafés littéraires de Paris, Les Deux Magots est probablement celui qui a vu défiler le plus grand nombre d’écrivains au cours du dernier siècle. Son nom étrange a pour origine l’enseigne d’un magasin de nouveautés, situé initialement 23 rue de Buci, et transféré en 1873 place Saint-Germain-des-Prés. De cette époque témoignent les deux statues qui ornent la salle de l’établissement. Vers 1885 le magasin de nouveautés est remplacé par un café liquoriste, à la même enseigne.

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Ce café a toujours joué un grand rôle dans la vie intellectuelle et littéraire parisienne. Dès la fin du 19esiècle, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé le fréquentent, ainsi qu’Oscar Wilde, alors exilé. Tandis que les grandes maisons d’édition (la NRF, Mercure de France, Grasset) s’installent dans le quartier, les écrivains envahissent progressivement le lieu. Ramuz, Milocz, Gustave Kahn constituent le premier cercle d’habitués, avant Alfred Jarry, Paul Léautaud. Puis les surréalistes l’adoptent, notamment André Breton, Desnos, Crevel, Eluard, Louis Aragon qui raconte l’une des « expériences surréalistes » : « Au café, dans le bruit des voix, la pleine lumière, les coudoiements, Robert Desnos n’a qu’à fermer les yeux et il parle, et au milieu des bocks, des soucoupes, tout l’océan s’écroule avec ses fracas prophétiques et ses vapeurs ornées de longues oriflammes. »

A la fin des années 20, le café au summum de sa gloire attire auteurs et peintres. Devant sa terrasse, les artistes piétinent, attendant qu’une table se libère. Parmi eux, Roger Vitrac, Antonin Artaud, Jean Cocteau, Jean Tardieu, Jacques Chardonne, Roland Dorgelès, Jean Paulhan, Jacques Audiberti, Pierre Reverdy… et James Joyce, qui est une figure familière du café. Hemingway rencontre Joyce sur le boulevard Saint-Germain et raconte : « Il m’invita à prendre un verre et nous allâmes aux Deux Magots où nous commandâmes des sherry secs. »

Des auteurs de langue allemande en exil se retrouvent au café : Robert Musil, Max Brod, Bertolt Brecht, Anna Seghers, Stefan Zweig ; Heinrich Mann voisine avec Giraudoux, Michaux, Saint-Exupéry et Gide. On y voit aussi Aldous Huxley, Paul Nizan et les philosophes Julien Benda et Emmanuel Berl.

De nombreuses revues littéraires sont nées sur place de ces rencontres et de cette émulation : La Courte PailleBifur, comme auparavantVers et ProseLes Soirées de Paris.

Dans les années 30, le café est toujours au cœur de la vie intellectuelle de Paris. Thibaudet note : « il y a deux terrasses, celle du boulevard Saint-Germain et celle de la place Saint-Germain-des-Prés. Chacune des terrasses a son public, son école, son esprit. Elles sont séparées par la terrasse d’angle, mal commode et peu fréquentée, comme lesDeux Magots et Lipp sont séparés par Diderot, comme les Deux Magots et le Flore sont séparés par la rue Saint-Benoit. Ceux qui fréquentent indifféremment et simplement selon le soleil l’une et l’autre terrasses sont des bilatéraux. On ne les prendra donc pas au sérieux. »

L’élite tient à être vue en ce lieu et les écrivains viennent s’y faire admirer : Giraudoux lit chaque matin les journaux en grignotant des brioches avant de se rendre à son bureau du ministère des Affaires étrangères, Paul Morand prend son « café-crème avec lait », Saint-Exupéry est accompagné de sa secrétaire Françoise Giroud.

Après la Libération, Les Deux Magots deviennent une annexe pour Jean-Paul Sartre et ses fidèles, comme le note Philippon : « A dix heures, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir viennent travailler aux Deux Magots. Ils s’installent à deux petites tables voisines et écrivent sans relâche, pendant deux heures en grillant cigarette sur cigarette. Les importuns les cherchent au Café de Flore, et ils peuvent travailler en paix. » Les surréalistes reviennent, comme d’anciens combattants d’une cause littéraire, le maître André Breton entouré de ses disciples âgés ; Sartre y rencontre Camus et Genet. Puis, tout comme le Flore, le café devient à partir des années 50 le rendez-vous du Tout-Paris, des gens à la mode, comédiens et célébrités.

Créé en 1933, le Prix des Deux Magots (doté de 7700 euros) marque sa vocation littéraire. Raymond Queneau, Antoine Blondin, Albert Simonin, Raymond Abellio, André Hardellet, Roland Topor, Pauline Réage, Christian Bobin, Jean-Claude Pirotte ont été notamment distingués.

Un livre, « Les Deux Magots », retraçant l’histoire du célèbre café est en vente sur place ou à commander par son site internet (29, 73 €).

(Article inspiré par l’ouvrage Les Cafés littéraires de Gérard-Georges Lemaire, éditions de La Différence)

Les Deux Magots, 6 place Saint Germain des Prés, 75006 Paris. Tél 01 45 48 55 25

www.lesdeuxmagots.fr


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